Skip to main content

Full text of "Thomas Hodgskin 17871869"

See other formats


Thomas 



Hodgskin 

(1787-1869) 





Élie Halévy 



Ri:ri:ivi:n i\ Exc'iiax(;k 



U. of M, law library 



iiiiniitiijiiiitii 



Digitized by Google 



iiiiiiiiiiiiiimi g 





^H«lfflllllllllllllHIIIII»lllll<Htl»ft* ?»^ ?illlllllllHnillHII>IIIIIMimilHlllini;| j | 



Regkived in Exoiianoe 

I 

FHOM * . 

IJ., of M. lavr library 



53 



Digitized by Google 



i 




1 '^S'^- 1 OGO) 



ELIE HALÉVY 



100 3 



THOMAS HODGSKIN 



( X 987- X 869) 



PAR 



ÉLIE HAIiÉVY 



1 1 



I 

PARTS 

SOCIÉTÉ NOUVELLE DË UBRAIRIE ET D'ÉDITION 

* (Librairie Gtorgeê Beilais) 
17, auK cojAS» Vc 

1903 
Tous (iitilb rt servéit 



Digitized by Google 



Digitized by Google 




AVANT.PROPOS 



« Le disciple illustre de Thomas Ilod^^skin, 
Karl Marx.. (i) » : ainsi s'expriment Mr. et Mrs. 
Webb dans leur « Histoire du Trade Unionisinc ». 
Mais Karl Marx a eu tant de maîtres, et si divers, 
que Ton yeut savoir sur quels points, et dans 
quelle mesure, il a sid>i lïniluence de llodgskin. 
Notre étude contribuera, peut-être, à élucider 
cette question, en même temps qu'elle fera 
connaître un penseur oublié, original cependant 
et intéressant par lui même. Nous nous bornerons, 
pom* raconter Thistoire des idées sociales et 
économiques de Thomas Hodgskin, à présenter 
le recueil, aussi bien ordonné que possible, des 
citations nécessaires, empruntées à des lettres 
inédites, à des opuscules épuisés, à des articles 
anonymes égarés dans ues revues vieilles de 



(I) iiUt. of Trade Unioniam, 1896 ; p 147. 




H. - 1. 



Digitized by Google 



THOBIAS UODGSKIN 



cinquante ans. Miss Mary D. Hodgskin nous a 
fourni des éclaircissements sur plusieurs points 

obscurs de la biographie de son père ; M. Pierre 
Muret, agrégé de TUniversité, a bien voulu 
faire, pour nous, au British Muséum, quelques 
recherches complémentaires. 



CHAPITRE PREMIER 
(1383-18213). 



Enfancb. — Années db navigation. — L' «Essay 
ON Naval Discipline » (i8i3). — Votaob sur 

LE CONTINENT : LES « TllAVELS IN THE NoUTH OF 

Gebmany » (i8ao). — Séjour a Edimbourg et 

GORRESPONDANGB AVEC FrANCIS PlACE (i8i9- 
18221). 



Oigitized 



Thomas Hodgskin naquit, le la décembre 1787, 
à Chatham, près de Londres, où son père exerçait 
les fonctions de storekeeper, de coiuniissaire aux 
vivres, dans les docks de rAmirauté. Entre un 
père égoïste, vaniteux, dépensier, qui, avec un 
traitement annuel de sept cents livres sterling, 
finit par réduire sa famille à la misère, et une 
mère qui, pendant trente années, lutta patiem- 
ment, mais en vain, pour dissimuler le gaspillage 
et l'inconduite du chef de la famille, Thomas, 
ses frères et ses sœurs, eurent une enfance sans 
plaisirs et sans joies (i). Il avait d'ailleurs 
douze ans à peine lorsque son père , abrégeant 
son éducation, décida de se débarrasser de lui 
et, piolitant de l'inUuence que lui donnait sa 
position à l'Amirauté, Tembarqua comme cadet 
à bord d'un bâtiment de guerre. Thomas Hodg- 
skin navigua pendant une dizaine d'aunées, croi- 
sant dansla Méditerranée, sur les côtes d'Afrique, 
où il put observer, chez les peuples sauvages delà 
région, les formes rudimentaires de l'échange (a), 

(1) Hodgskm à Place, lettre non datée, Paris, juillet 
1816 (lettre communiquée par Miss Hodgskm). 
(a) Popnlar PoUUcal Eeonomy^ p. i53« 



Digitized by Google 



6 



THOMAS HODGSKIN 



dans les Mers du Nord, où nous le voyons se 

distinguer, en 1807, lors de Tcxpéditionde Copen- 
hague. 11 lisait le plus qu'il pouvait ; mais les 
livres qu'il lisait étaient choisis, nous dit- il , 
sans méthode, à la manière des marins (i). 

La réflexion devrait suivre l'acquisition des 
connaissances ; mais J'ai commencé à réfléchir aux 
heures de faction nocturne, sur le pont solitaire, sur 
le vaste Océan, en face des scènes de la nature les 

plus sauvages et les plus paisibles, dans le calme 
plat des tropiques, dans les teiiipôtes d'hiver, avant 
d'avoir accumulé des matériaux en suflisance (2). 

11 n'éprouvait ni sympathie intellectuelle pour 

les camarades parmi lesquels la volonté pater- 
nelle lavait jeté, ni goût pour le métier qui lui 
avait été imposé. La discipline du bord ne con- 
venait ni à son teuipérament ni aux principes 
qu*il avait adoptés déjà. « J'avais décidé, nous 
dit-il, d'opposer à Toppression, toutes les fois 
qu'elle me blesserait^ une résistance énergique ». 
Longtemps, cependant, il continue d'obéir à 
contre-cœur, par lâcheté, par habitude. Un jour, 
enfin, il éclate. « Je me plaignis, écrit-il, à un 
commandant, d'une injustice dont il s'était rendu 

coupable envers moi, dans les termes que méri- 

• 

(i) Esaax on Naval DUeipUnê, p. xziv. 

(a) Hodgskm à Place, Paris, si mars 1816 (cqmmn« 
niqué par Miss Hodgskin). 



Digitized by Google 



CHAPITRE PREMIER J 

tait» à mon sens, Finjustice commise : il m'avait 

injustement interdit tout espoir d'avancer par 
mon mérite, ce qui revenait à m 'interdire tout 
espoir x> (i). Par son incartade, Thomas Hodgskin 
aggrave son cas. 11 est mis en non - activité, à la 
demi - solde. A peine âgé de vingt-cinq ans, les 
circonstances ont déjà fait de lui « un homme 
mécontent et désappointé (2) ». 

L'absm*dité des lois et des coutumes de la marine 

m'a fait un mal profond. J'en ai une opinion si abso- 
lument mauvaise que, sentant sur ce point comme 
beaucoup d'autres, je n'éprouve pas de honte à en 
avoir subi la flétrissure. Si elles ne m'avaient coûté 
la bonne opinion de la société^ qui se fonde trop 
généralement sur le succès; si elles ne m'avaient 
coûté, en partie, l'estime de mes amis ; si elles ne 
m'avaient complètement fermé,avec la carrière mari- 
time, où ma vie entière s'était écoulée, tout accès à 
la réputation et à la fortune, je n'aurais pas souffert 
du châtiment. C'est un devoir pour moi d'essayer de 
les modifier en agissant sur l'opinion publique (3). 

Il s'acquitte de ce devoir lorsqu'il publie, en 
i8i3, un « Essai sur la Discipline Navale (4) ». 

où il consigne les résultats des expériences de sa 

(1) Xav. Disc, p. xm. 

(2) Xav. Disc, p. XIV. 

(3) Xav. Diae.^ p. x-xi. 

An Esttay on Naval DiseipUne* — Voirie titre com- 
plet à la Bibliographie» 



Digitized by Google 



8 



THOMAS HODGSKIN 



vie de marin. Il se donne, dans cet ouvrage, 
pour le disciple de Locke (i), de Paley (i))» de 
Malthus (3) : n'est-on pas fondé à croire qu'il a 
subi aussi F influence de Godwin» bien qui! ne le 
cite jamais ? Il est chrétien, mais il se pose aussi 
en adversaire des idées innées (4), en utilitaire, 
en individualiste. 

Se soumettre patiemment à l'oppression parce 

qu'elle vient d'un suprrirur ost un vice;. . . surmonter 
cette crainte du supérieur et y résister , est une vertu. 
C'est là que doivent me conduire mes raisonnements, 
soit que Je prenne Tutilité pour Ûn obligatoire de 
mes devoirs moraux» soit que je m'adresse à cette 
religion qui me dit de faire la justice et d'aimer la 
pitié : la forme la plus sacrée de la justice, c'est la 
justice qu'un homme se doit à lui-môme ; s'en 
acquitter pleinement, c'est la façon d'agir qui se 
trouvera, en fin de compte, le plus compatible avec 
l'intérêt et le bien réel de la société. Une telle conduite 
peut déplaire à un maître avide, à un supérieur 
jaloux, mais elle est rigoureusement d'accord avec 
cette utilité qui est la fin delà moralité; elle est ver- 
tueuse et demeurera toujours vertueuse, tant que la 
vertu consistera à bien agir, selon Tétendue des 
connaissances de celui qui agit, dans l'espoir de jouir 
du bonheur éternel (5). 



(i) Nav, Dise,, p. i8. 

(a) P. i66. 

(3) P. 99. 

(4) P. 7l. 

(5) PP. xn-xiii. — Cf. pp. XIV, i68. 



GUAPITUr: PREMIER 



9 



L expérience lui a enseigné que a les hommes 
ont partout été créés semblables ; que leur bien- 
faisant Auteur a donné à tous les hommes le 
même entendement et les mêmes passions (i) »• 
Si cepeiuliint ils dilTèrent les uns des autres, c'est 
en raison de circonstances indépendantes des 
individus eux-mêmes. Pourquoi, de tous les 
peuples de la terre, le peuple anglais est-il le plus 
heureux et le plus vertueux ? Parce qu'il est mieux 
gouverné que les autres ou, plus exactement, 
parce qu'il est moins gouverné. Pourquoi les 
hommes qui servent dans la marine anglaise ont- 
ils des tares qui les distinguent du reste de la 
nation (a) ? Cest qu'ils sont soumis à un régime 
d'exception, tyrannique et arbitraire. Ce régime 
doit être réformé. Qu'on modifie le système 
barbare par lequel on les recrute actuellement ; 
qu'on abolisse la presse; que Ton fasse des enga- 
gements à court terme. Mais, alors, trouvera-t-on 
le nombre d'hommes nécessaire ? Qu'on améliore 
la solde en se réglant sur le salaire normal du 
travail : «c le salaire est bon quand il permet 
au travailleur d'élever une famille, d'avoir le 
nécessaire et un peu de superflu (3). Que, d'autre 
part, on porte, 8*il le faut, des lois somptuaires 



(1) Tac. Disc, p. X. 

(2) Chapitres V et VL 

(3) P. 1S7. 



Digitized by Google 



10 



THOMAS HODGSKnr 

0 



Gomment osei* dire que les bras manquent, alors 
que la domesticité des riches est si nombreuse (i)? 
La propriété exerce une « influence injuste et 
néiaste x> : car a elle enlève d'une façon absolue 
(quand même ce serait dans une proportion très 
faible) au journalier pour donner au bourgeois 
oisif » (a). On pourrait donc, en cas de besoin 
extrême, interdire d'entretenir plus de deux 
domestiques, sauf pour les travaux agricoles et 
industriels (3)« Surtoat,qne Ton prenne garde à ne 
pas abuser, contre les marins, des lois pénales. 
Uamour de la gloire est plus fort que la crainte 
de la mort. Il a plus d'influence qu'un million de 
lois pénales. Le droit de punir constitue, sous la 
forme absolue qu'il revêt dans la marine, une 
sorte d'usurpation sur la Providence (4). 

La grande autorité de l'opinion publique nous 
enseigne que Ton ne saurait prendre trop soin d'évi- 
ter la promulgation de lois pénales; elle nous 
enseigne que Thumanité deviendra beaucoup meil- 
leure si Ton se forme d'elle une opinion meilleure (5). 

• 

S'il faut des peines , que du moins ces 
peines soient déiinies par des lois constantes 

(x) iViap. Duc, p. 102. 
(a) P. 133. 

(3) P. i^. 

(4) P. 42. 

(5) P. 16. 



CHAPITRE PREMIER 



II 



et non plus par le caprice discrétionnaire d'un 
ofBcier, et qae les cours martiales prennent pour 
modèle les tribunaux anglais, qui « ne punissent 
pas l'innocent ni ne laissent échapper le cou- 
pable (i) ». Lan<:fage peu révolutionnaire : l'indi- 
gnation qui fit de Hodgskin un écrivain n'en est 
pas moins an accès de colère antigouyemementale, 
un désir de protester, dans un cas défini, contre 
l'iniquité des règlements et des lois. Lni-méme le 
confesse, un peu plus tard, sous une forme plai- 
sante, dans une lettre intime. 

Tons les visionnaires, depuis M** Kmedener 
jusqu'à Mr. Owen et à Thomas Hodgskin, nourris de 

leurs seules pensées, et que rexcenlricité même de 
leurs ()})inions empôche de confronter ces opinions 
avec celles de leurs semblables, sont des gens pleins 
de confiance, Igniorant tout en dehors du petit cercle 
de leurs idées ; ils prennent chaque commencement 
de passion oo de pensée pour une immuable vérité. 
Vous devez savoir que mes opinions sont nées de la 
passion. J'étais en colère d'avoir été puni, alors que 
je croyais remplir mon devoir d'honnête homme et 
de bon citoyen ; mon devoir, je m'en aperçus, était 
d'être non pas cela, mais un bon esclave patient. La 
colère me fit lire des livres sur la matière, et c'est en 
vain que je cherchai, et cherche encore, dans les 
ouvrages des auteurs célèbres, une justification du 
droit de punir. Le résultat a été uu système d'opinions 



(i) Nav, Disc, p. i34. 



Digitized by Google 



13 



THOMAS HODGSKIN 



que je puis, en somme, poar autant que j'aie lu, 
considérer comme m'éianl propre (i). 

C'est vers cette époque qu'il fit la connais- 
sance de Francis Place, le maltre-tailleur de 
Charing-Cross, ragitateui* politique de West- 
minster» Tami de Bentham et de James Mill, 
l'ami aussi de William Godwin, alors vieilli, 
couvert de dettes et méprisé : T a Essai sur 
la Discipline Navale » peut avoir attiré sur 
Hodgskin rattcntion des radicaux de Londres. 
Place nous le décrit tel qu'il le connut alors, 
« d'une tournure d'esprit plutôt triste, singuliè- 
rement modeste et discret, excitable, mais plus 
porté, dans ses moments d'excitation, à la galté 
qu'à la colère. Il avait un tour d'esprit spéculatif 
et soutenait, comme il fait encore, certaines 
thèses psychologiques très curieuses (â))>, celles, 
sans doute, sur lesquelles il fonde ce système anti- 
gouvernemental, « anarchiste », dont nous avons 
vu l'origine. Il est triste, parce qu'il se sent 
dévoyé, sans carrière, et dépourvu de Tesprit 
pratique nécessaire pour en trouver une. Le voici, 
pour Tinstant, à Édinibourg, occupé à mettre ses 
idées philosophiques au clair, et à écrire tout un 

(1) Hodgskin à Place. Dresde, lin de i8i 7 (communiquée 
par Miss Hodgskin). 

(2) Brit. Mus. add. mss. 27.791, f. 268. Le récit de 
Place renferme des inexactitudes. 



Digitized by 



CHAPITRE PREMIER 



l3 



traité sur « l'esprit » (i). Quelle est alors sa phi- 
losophie ? Les lettres qu'il écrira, un peu plus 
tard, à Francis Place» permettant de le deviner. 
Contre Tutilitarisme benthamique, qui réduit tous 
les actes vertueux à des calculs explicites de la 
prudenee indiyiduelle, il prend la défense des 
sentiments moraux, mêlés sans doute de préjugés 
et d'erreurs, mais qui expxûment toute Texpé- 

rience de Fespèee et sont nécessaires pour agir 

avant que Ton puisse savoir et prévoir. Contre 

rathéisme benthamique, il alHrme Texistence de 
Dieu, — non pas le Dieu des prêtres et des 

persécuteurs, mais 1 uniformité providentielle des 
lois de la nature. 

Les perceptions que nous appelons la matière sont 
constamment accompagnées par les sig^ncs de l'uni- 
formité des lois qui la régissent, par les signes d'un 
pouvoir qui produit, détruit, conserve et recrée. Nous 
nous fondons sur des signes seulement pour conclure 
à l'existence de Pesprit de nos semblables. C'est 
sur des signes que je me fonde pour conclure, 
pareillement, à l'existence d'un esprit ou d'une cons- 
cience constamment associés à la matière. Un autre 
mot pour désigner cet esprit, c'est Dieu, Ou encore* 
la Matière^ Dieu elia Nature m'apparaissent comme 
trois mots presque synonymes, le premier et le der^ 
nier servant à exprimer la continuité de nos percep- 



(i) Place à Mill, ao Juillet z8i5, Brit Mm,^ add. nu». 
33.i5a, f. 141. 



Digitized 



THOMAS HODGSKIN 



lions, tandis que le terme du milieu exprime les signes 
de la puissance bienveillante et uniforme dont eUes 
sont accompagnées. Voilà mon Dieu, c'est aussi le 
Dieu de Berkeley, et c'est le Dieu de l'écrivain sacré 

qui a dit qu'en lui nous vivons, nous nous mouvons 
et nous avons notre être (i). 

Et c'est enfin sur cette croyance à l'existence 
d'une harmonie naturelle et providentielle qu'il 
se tonde pour réfuter la philosophie pénale de 
Bentham, pour nier le droit de punir : 

Votre ami Mr. Bentham devrait, je crois, récrire le 
début de son « Traité », et, adoptant Topinion de Ber- 
keley, selon laquelle les sensations de chaque individu 
sont tout ce qui lui est connu, conclure avec moi que 
peine et crime sont des expressions presque syno- 
nymes, différant seulement en ceci que le second 
s'applique à Taction, le premier à son résultat, et / 
qu'il est absurde et injuste d'ajouter une peine nou- 
velle, alors que les impressions sensibles subies par 
chaque individu sont la mesure précise, et la seule, du 
crime qu'il a commis (a). 

Le manuscrit du traité « sur Tesprit » 
est apporté à Place ; mais Place ne trouve pas 
d'éditeur. Gomment Hodgskin va-t-il gagner, 
comment va-t-ii remplir sa vie ? Depuis la publi- 

(x) Hodgskin à Place. Paris, x8 février iSiO-lcommu- 
niquée par Miss Hodgskin). 

(a) Hodgskin à Place. Rome, 5 février 1817 (eommu« 
niquée par Miss Hodgskin)* 



Digitized by 



CHAPITRE PRBMIBR 



cation de son pamphlet, sa carrière militaire est 
brisée : il restera, jusqu'à sa mort, un o£Bcier en 
demi-solde , lieutenant d'abord, puis comman- 
dant. Que devenir alors? Se faire médecin? 
Mais il faudrait savoir le latin ; et d'ailleurs les 
sciences de nomenclature lui répugnent. Se faire 
avocat ? Il faudrait n'avoir pas le sentiment de 
la justice. II comprend qu'il aurait besoin de 
faire son éducation manquée, et que, d'autre 
part, il n'est plus assez jeune pour cela. C'est 
alors qu'il forme un nouveau projet, suggéré 
probablement par Place, qui vient d'envoyer son 
fils à Paris, et songe lui-m^me, avec James Mill, 
à s'en aller faire un séjour sur le continent. Il 
profitera du retour de la paix pour entreprendre, 
à travers l'Europe/une enquête philosophique, 
à la manière d'Arthur Young; il ira étudier, dans 
les pays du continent, les « causes des habitudes » 
des peuples et Tinfluence qu'exerce, sur le caractère 
des nations, la diversité des formes de gouver- 
nement (i). Il obtient un congé de l'Amirauté 
et se met en route au mois de juillet i8i5. 

n passe de longs mois à Paris, mais, toujours 
timide et réservé à l'excès, ne se sert pas de 
J.-B. Say, à qui il a été recommandé, pour 
étendre le cercle de ses relations. Il est trop 

(i) Place à Hodgskîn, 22 novembre i8iô, BriL Mm. 
add. mss. 35.i5a, f. 184* 



Digitized by Google 



i6 



THOMAS BODG8K1N 



Anglais pour sympathiser avec le génie des 
peuples étrangers : il est déconcerté par la 
gaîté française, où il est tenté de voir une 
perpétuelle affectation, scandalisé par la liberté 
des propos et des mœurs, puis, brusquement, 
lorsqu'il pénètre dans un intérieur, étonné par 
' la simplicité et le sérieux de la vie de famille, 
n est trop méditatif, surtout, pour être bon 
observateur. Il reçoit d'ailleurs de mauvaises 
nouvelles de sa famille, réduite à accepter de 
Francis Place des secours d'argent. Il s'attriste, 
il s'ennuie, mais il continue à préciser sa philo- 
sophie antilégislatiye. Il dénonce incessamment 
le système gouvernemental à la française, la 
police, rinstruction publique» les académies. Il 
répudie de même — il en avertît Place — le 
système d'Owen, où il rencontre encore « des 
règlements, des lois et ce qu'on appelle l'ordre ». 

Son système suppose des maîtres et des 

serviteurs, quelqu'un pour gouverner et quelqu'un 
pour obéir, et fonctionnerait très bien dans une 
partie de la société, pendant que ces lois mêmes 
dont il dénonce la rigueur subsistent pour façonner 
les esprits des uns à la soumission et protéger les 
autres dans l'exercice du commandement. Je suppose 
que la société soit généralement composée de maîtres 
manul'acluriers et de serviteurs, et qu'il n'y ait pas 
de lois pour pro léger les maîtres si ce n'est celles qui 
résultent de la raison collective. Les servitenrs,voyant 



CHAPITRE PREMIER 



qu'ils sont anssi utiles aux maîtres que le capital des 
maîtres est utile à eiix*mêmes, qae chacun des denx 
termes est nécessaire à la réussite de Pentreprise 

commune, existeraient l*ég:alilé des privil^^j^es et des 
profits : la première loi de cette société consisterait 
probablement à abolir cette distinction entre maîtres 
et serviteurs qui remplit le plan de Mr.Owen et existe 
aujourd'hui en raison de ces lois mêmes, dont les 
effets sont si néfastes (i) . 

Déjà, en raison de ses opinions sociales sur 
la distribution artificielle de la richesse, il se 
sépare du malthusianisme de Place et des 
autres Benthamites : il reproche à Gray, dans 
son ouvrage « sur la Population i», de confondre 
deux choses : la quantité d'individus oisifs et la 
quantité de travail. 

Nos dépenses ont été, depuis trente ans, énormes; 
pendant cette période, le système s*est généralisé, 

dans le pays , de payer les hommes selon leur 
travail, et non plus selon le nombre d'heures de 
travail ; la conséquence en est que beaucoup plus 
de travail a été fait par le même nombre d'hommes; 
en conséquence, plus de marchandises ont été 
produites. Si, pendant cette période, le pays a gagné 
en richesse, telle en a été la cause immédiate; M.Gray 
a tort de confondre avec elle la cause éloignée : Ténor- 
me dépense laite pour entretenir des individus oisifs, 
dépense qui entraîne, dans une certaine mesure, une 



(i) Hodgskin à Place, Parls^ 90 aoflt 1816 (commu- 
niquée par Miss Hodgskin). 



Digitized by Google 



i8 



THOMAS HODGSKIN 



augmentation de travail. La condition des travail- 
leurs a fini par devenir assez misérable pour attirer 
Tattention du législateur et prouve que les oppres- 
sions qui les ont contraints de produire davantage et 
accroissent ainsi la population, ont ajouté delà sorte 
à la misère des masses (i). 

£u septembre, il quitte Paris et gagae l'Italie, 
faisant la route à pied. Il constate, en passant, 
la misère du paysan français, après vin<^t ans de 
troubles et de guerres ; la misère, plus grande 
encore, du paysan italien. II séjourne quelque 
temps à Florence, pousse jiis(ju'ii Rome, revient 
au Nord visiter la vallée du Pô et le Tyrol. Mais 
il s'ennuie eu Italie comme en France. Il y trouve 
trop d'églises, monuments de la superstition 
méridionale ; trop d'œuvres d'art, auxquelles il 
avoue ne rien comprendre et dont il finit par 
avoir « mal au cœur ; et, d'autre part, trop peu 
d*hommes qui sachent s'intéresser aux questions 
vraiment humaines, aux choses de la politique. 
Toujours à pied, il traverse le Saint-Bernard 
dans la neige et passe en Suisse. 

n visite la Suisse, descend le Danube jusqu'à 
"Vienne en radeau, traverse la Bohême, parcourt 
la Saxe et le Brandebourg. Il a décidé mainte- 

(i) Hodgskin à Place. Paris, i8i6(non datée. Probable- 
meitt juillet. Communiquée par Miss Hodgskin). 

(a) Hod«;skin à Place. Florence, lajanvieriSl? (commu- 
niquée par Miss Hodgskin). 



Digitized 



GHAPlTaB PREMIEA 



19 



tenant, snr le conseil de Place, d*écrire le récit 

de soji voyage dans rAUemagne du Nord ; et les 
longues lettres qu'il écrit à Place ne sont plus que 
desnotes détaillées, toutes prêtes pour la rédaction 
future de son livre. Arrivé à Hanovre, en juillet 
1818, il délimite encore l'objet de son travail et, 
muni d'un questionnaire que Bentham a dicté 
pour lui à James Mill (i), entreprend une enquête 
sur le gouvernement, la religion, le commerce, 
ragriculture du royaume où il haijite. Puis il 
revient en Angleterre, passant par les bords du 
Rhin ; son voyage finit mal : il prend froid, se 
couche en arrivant à Francfort» se remet à peine 
quand, ayant descendu le Rhin en bateau, il 
arrive à Amsterdam. Mais sa doctrine écono- 
inique vient d^accomplir un nouveau progrès : 
il a lu Tarticle de la « Revue d^Édimbourg» où 
MacCuiloch recommande à l'attention publique 
les « Principes», nouvellement parus, de Ricardo; 
et il a tout de suite aperçu quel parti il pou- 
vait tirer des théories de Ricardo et sur quels 
points aussi il se séparait de lui. Il approuve 
Ricardo de voir dans la quantité de travail la 
source unique de la valeur ; mais, s*il en est 
ainsi^ dit-il, 

(i) Le qiiestionnaii*e se trouve BriL Mus» add. mss. 
33.163, t 3 sqq. 



Digitized 



20 



THOMAS HODGâiviN 



je ne vois pas de cause naturelle pour que le 
capital, qui consiste purement dans Tépargnie du 
travail et qoi, par lui-même, ne produit rien, soit 
considéré comme affèctant le prix réel si celui-ci doit 
toujours être considéré comme mesuré exactement 
par la quantité de travail. Le capital [doit être] con- 
sidéré coumie consistant, soit dans une quantité des 
choses que les hommes désirent, soit dans la disposi- 
tion de ces choses. L'argent est une de ces choses qui 
produit un prix artiliciel au lieu d'un prix réel. Ses 
profits sont purement et simplement une portion du 
produit du travail, que le capitaliste, sans autre droit 
que celui que les lois lui contèrent, prend pour lui- 
même. Ce qu'il prèle n'est jamais rien de plus que le 
pouvoir de disposer des denrées nécessaires à la 
subsistance du travailleur , pendant qu'il produit 
assez pour remplacer ce qu'il a consommé pendant le 
temps de la production et pour laisser un surplus au 
capitaliste (i). 

Quelques jours plus tard, il se demande pour- 
quoi la Frise est, à son gré, mal cultivée ; et il 
en trouve deux raisons : les dépenses plus fortes 

du gouvernement, et, surtout, raccumulation 
capitaliste. 

Le capital, comme moyen de production, ne peut 
consister que dans les instruments et objets de pre- 
mière nécessité que le travailleur emploie et consom- 



(I) Uodgskin à Place , Amsterdam, s5 septembre 
i8iS (commaniqaée par Miss Uodgskin). 



Digitized by 



CBAPITHB PREMIER 21 

me pendant qu'il produit; ~ une accumulation de ces 
objets entre les mains du travailleur en abaisse le 
prix et abaisse également le prix de ce qui est pro* 
duit pendant qu'ils sont consommés. Mais une accu- 
mulation de Targent qui représente ces objets ou 
mCine de ces objets eux -mômes entre les mains d'au- 
tres que les travailleurs, l'ait tout renchérir. Les per- 
sonnes en question, les capitalisteS|Sans produire,non 
seulement prélèvent un intérêt sur la personne qui 
travaille le sol, mais encore cette même accumu- 
lation permet qu'un intérêt soit exigé de tous les 
autres travailleurs qui emploient ce capital. Le cultiva- 
teur doit payer encore, outre le prix réel, l'inlérétque 
d'autres travailleur payent sur tous les articles que 
lui, cultivateur, consomme... Je ne veux pas dire 
qu'une plus g^rande quantité de travail sera requise 
pour produire, mais que tout homme qui produit doit 
donner une plus forte proportion de ses productions 
pour les objets que son propre travail ne produit 
pas* , • Je suis favorable à cette économie qui épar- 
gne aujourd'hui afin que demain ne soit pas sans 
nourriture, mais jamais en moi la raison ni le sen- 
timent n'ont été favorables à cette accumulation, 
qui, commençant trop généralement par la [)arcimomc . 
et l'injustice, m'apparaît comme un des plus puis- 
sants moyens d'accomplir l'injustice et d'encourager, 
de la part du petit nombre, un prodigieux gaspillage, 
qui aboutit à l'oppression du grand nombre. Je suis 
hostile à ces doctrines des économistes politiques 
qui louent l'accumulation du capital. Elles confèrent 
une sorte de raison à cette recherche de la richesse, 
qui est actuellement le fléau de l'univers, elles encou- 
ragent les riches à se faire encore plus riches, au prix 
de toutes sortes d'exactions, en les persuadant que 



Digitized by Google 



22 



THOMAS HODGSKUî 



leurs accumulations laYorisent l'industrie et la 
richesse générales (i). 

Enfin, après trois ans d'absence, en novembre 
i8i8, ïhomas Hodgskin arrive à Londres. Il se 
dérobe aux instances de Bentham et de ses fidèles, 
qui voudraient le faire venir à Ford Abbey, dans 
la résidence d'été du grand réformateur, défendre 
et soumettre à la discussion sa philosophie d'en- 
nemi des lois (2). Il part pour Edimbourg, où il 
retrouve une jeune Allemande dont il s*était 
épi'is à Hanovre et qui sera la compagne intel- 
ligente et courageuse des cinquante années qui lui 
restent à vivre (3). Sans délai, à peine marié, il 
se met à l'œuvre. En janvier 1820, paraissent ses 
« Voyages dans le Nord de rAilemagne (4) 1^; on 
y sent le progrès accompli par sa pensée, 
— progrès en précision, progrès en dogmatisme 
aussi^pendant six ans de voyages et de réflexions. 

Hodgskin a vu se propager, pendant quil 
parcourait les routes d'Allemagne, l'agitation 
libérale, d'inspii^ation irançaise, mais peut-être 

(x) Hodgskin à Place, Amsterdam, la octobre x8i8 
(communiquée par Miss Hodgskin). 

(a) Hodgskin à Place. Deptford, 8 nov. 1817. BrU.Mnê» 

add , mss. 33,i53, f. Sa. 

(3) Place à Hodgskin. 8 sept. 1819 ; Brit. Mua,, add« 
mss. 33.153, f. 73. 

(4) Travels in the North of Germanjr. Voir le titre 
complet à la Bibliographie. 



Digitized by Google 



CHAPITRE PREMIER 



encore davantage anglaise, contre le régime de la 
Sainte-Alliance. Voyageant à pied, il n'a fréquenté 
ni hommes d Etat, ni diplomates, ni généraux» 
mais il a causé avec des commis-voyageors, des 
ouvriers, des paysans ; il n'a pas connu ceux qui 
font les lois, mais ceux qui les subissent, ceux 
qui paient les impôts et les amendes. Il a compati 
aux souffrances de ces Allemands « très gou- 
vernés (i) ; il a vu dans l'Allemagne l'exemple 
typique d'un pays « où Ton gouverne trop, quoi- 
que avec de bonnes intentions » (a). Uodgsidn 
glissera donc, dans ses récits de voyage, toutes les 
anecdotes que l'éditeur exigera, pour rendre 
l'ouvrage amusant(3). 11 donnera, sur l'Allemagne 
du Nord, et particulièrement sur le Hanovre, où 
règne le roi d'Angleterre, siu* le commerce et 
l'industrie, sur les lettres et la philosophie, une 
abondance de renseignements intéressants, nou- 
veaux pour un public qui, depuis vingt ans, a 
presque oublié l'existence d'une civilisation conti- 
nentale. Mais, surtout, il accompagnera ses récits 
et ses renseignements d'une sorte de commentaire 
perpétuel, qui consistera dans une critique réflé- 
chie des notions de gouvernement et de loi. 



( I ) Travels^ vol. I, p* 210. 

(2) Vol. 1, p. 166. 

(3) Hodgskin à Place, a6 juillet 1819; BriUMus. add. 
mss. 33.iâ3, f. 77. 



THOHAS HODOSKUf 



Dil'e : gouvernemeut, c'est dire : nation, c'est- 
à-dire frontière factice, multiplicité inutile de 
règlements souvent contradictoires. Que de gou- 
vernements en Allemagne! Et cependant, partout, 
les hommes sont semblables : pourquoi les sépa- 
rer les uns des autres par des divisions imagi- 
naires? « U leur suûirait d'expulser leurs maîtres 
divers pour sentir que leur intérêt est pai*tout le 
même. » Faudrait-il donc appeler de ses vœux la 
venue d*un conquérant, absorbant dans Funité 
d'un empire tant de petites nations rivales ? 
Hodgskin repousse Thypothèse. 11 compte sur le 
progrc's général et spontané de la raison humaine, 
sur la fin du culte absurde, de la a sotte vénération » 
des grands hommes, sur la propagation insen- 
sible de ces sciences bienfaisantes « dont les 
vérités ont été systématisées et incorporées à 
Facquis de l'espèce par Smith, Say, Malthus, 
Paley, Bentham )>. Il ne veut pas de l'unité 
« mécanique et quadrangulaire » qui résulterait 
d'un despotisme universel el qui reproduirait, 
sur une plus grande échelle, les vices des gou- 
vernements abolis (i). L'infirmité du gouverne- 
ment d'un seul est géométriquement démontrable. 

Supposer que, lorsqu'une nation tout entière 
prend part à l'examen et à la confection des lois, 

(i) Travels^ vol. Xi, pp. ao4-âo5. 



Digitized by Google 



CHAPITRE PREMIBR 



95 



elle ne sera pas mieux organisée que lorsque les lois 
sont faites par on seul» c'est supposer que la sagesse 
de l'espèce tout entière est inférieure à la sagesse de 
la pins petite partie de cette espèce (i). 

Et la substitution du régime parlementaire 
au gouvemement d*un seol n'arrangerait pas 
les choses : Hodgskin a Tisiblement, sur ce 
point, adopté la doctrine de Godwin. Des assem- 
blées législatives ne garantissent pas des lois 
sages. Si, moyennant quelques abus supprimés, 
une nation devait accorder à son Parlement une 
confiance aveugle, elle se serait, purement et 
simplement, donné un nouveau raaitre. Ce qui 
fait Texcellence de la Constitution anglaise , 
ce n'est pas Texistence d'une Chambre des 
Communes^ c'est Texistence d'une opinion publi- 
que défiante , avertie par une presse libre et 
perpétuellement occupée au contrôle des actes 
du Parlement (a). Que cette défiance vienne k 
disparaître, et la Chambre des Communes, 
trop peu nombreuse pour ne pas subir l'in- 
fluence de la Couronne, reproduira les vices 
du gouvernement d'un seul sous l'apparence 
trompeuse, et qpi endort l'inquiétude populaire, 
du gouvemement de tous (3). 



(i) TravelSt vol. II, p. 444. 
(a) Vol. I, pp. 459 sqq 
(3) YoL J, pp. 466-466, 468. 

1. 



Digitized by Google 



36 



THOMAS UODGSKiI«i 



Eu iait^ les gouTernements ne sont, en Teriu 
de leur essence même, ni intéressés à bien 
gouverner, ui capables de bien gouverner. Que 
i'aut-il en conclure? De cette faillite de la 
sagesse humaine, répond Hodgskin, 

ii résulte clairement que les limites en deçà des- 
quelles il faut restreindre la puissance du gouverne- 
ment et au delà desquelles elle devient pernicieuse 
sont encore absolument inconnues ; et, si Ton remar- 
que d'ailleurs que la puissance d*une nation est en 
raison inverse de la puissance et de l'activité du 
gouvernement, ne sera-t-on pas presque tenté de 
tenir l'opinion courante, suivant laquelle les gouver- 
nements sont nécessaires et bienfaisants, pour un de 
ces préjugés universels, héritage des siècles d'igno- 
rance et de barbarie, et dans lesquels une science 
plus étendue, une civilisation plus développée, révé- 
leront autant d'erreurs funestes ? (i) 

Si Ton admet, en effet, avec Adam Smith» 

que la société est soumise à ropcratioii de lois 
naturelles et nécessaires, ou bien les prescrip- 
tions de la loi positive seront contraires, ou bien 
elles seront conformes aux commandements de 
la nature. Il est évident que, dans le premier cas, 
elles sont nuisibles ; mais, dans le second cas, 
il peut sembler qu'elles sont seulement inutiles : 
en réalité elles sont nuisibles encore. D'une 



(X) TraveU, voL I, p. 4i7» 



Digitized by Google 



CHAPITRE PREMIER 



27 



part, en effet, il iaut rétribuer les fonctionnaires 
chargés de veiller à l'exécution des lois ; et cette 
rélributioa dérange I harmonic naturelle des inté- 
rêts. Pour prévenir le crime, on institue une 
police ; on prélève' la rémunération des policiers 
sur le produit du travail national ; la police coûte 
d'autant plus cher que la profession est impo- 
pulaire et que le nombre des agents est accru. 
« Le travailleur est réduit à la pauvreté ; i, inéga- 
lité de sa condition est encore augmentée ; d*où 
un nombre de crimes plus grand que n'en 
peut supprimer la poUce la mieux organisée (1)». 
D'antre part , passer de la constatation d'une 
loi de la nature à la promulgation d une peine 
contre celui qui Tenfreint, c'est entretenir, dans 
r intelligence des administrés , uue confusion 
funeste d'idées. 

Les auteurs des lois sur les corporations ont erré, 
comme errent presque tous les faiseurs de lois, pour 
n'avoir pas distingué deux choses, qui sont en elles- 
mêmes essentiellement distinctes. Ce sont une liffne 
de conduite que l'on désire voir suivre, et une loi 
pour imposer cette ligne de conduite. C'est une chose 
de dire qu'un homme doit accomplir un certain acte; 
c'en est une autre de faire une loi pour lui imposer de 
raecompliTy et de le punir sH néglige de Taccomplir. 
[n est, par exemple, désirable que l'on ne fabri- 
que pas de fausse monnaie.] Mais ce sont deux 



(z) TraveU, vol. p. 333. 



TmMAS HODGSKUf 



choses parfaitement distinctes de faire une loi pour 
interdire aux hommes de fabriquer de faux billets de 
banque et de les condamner à être pendus 8*ils sont 
pris sur le fait. Le résultat de cette manière de pro- 
céder, c'est d'encourager une ligne de conduite direc- 
tement contraire à celle qu'on désire. L'expérience 
l'a prouvé ; et, lorsqu on dit aux hommes qu'ils ne 
doivent pas accomplir une certaine action sous peine 
d'ôtre pendus, on les persuade immédiatement qu*il 
y aurapour eux grand avantage à Faocomplir, pourvu 
qu'ils évitent d*étre sorpris (i) . 

Les gouvernemeuts allemands protègent les 
lettres et les sciences : ils ont tort. Sans doute le 
régime des universités allemandes est préférable 
à celui des universités anglaises, pour toujours 
soumises à des lois plusieurs fois séculaires, 
« gothiques y> : les universités allemandes obéis- 
sent à rimpulsion capricieuse du souverain et de 
son ministre, qui, du moins, appartiennent à leur 
siècle et peuvent avoir, par accident, le goût des 
i lumières (a). Mais, en principe, tout enseigne- 
i ment d'État est conservateur et routinier (3). 11 
coûte cher, en outre, et contredit les leçons de 
Féconomie politique. Dans la mesure où les 
\ sciences et les arts sont utiles, ils sont Tobjet d'une 
; demande et trouvent, sur le marché, la rémuné- 

I 

(I) TravelSy vol. II, p. 179. 

V2) Vol. II, pp. 266-267. 

(3} Vol. 11, p. a58. 



k 



Digitized by Google 



GBAPITaB PRBMIBR ^9 

ration qui leur est due ; et le fait même que bien 

des savants, bien des artistes, ue ti^ouvent pas 
l'emploi de leurs talent8,prouye,non qu'ils doivent 
être secourus, mais que l'oUVe, en ces uialières, a 
été forcée au-delà de ce qu'exigeait la demande (i). 

Les gouvernements allemands protègent l'in- 
dustrie, règlent la distribution de la propriété 
foncière. Mais les pépinières d'État, les salines 
d*État, que Hodgskin a visitées, lui ont paru 
médiocrement prospères. Les lois du Hanovre sur 
la propriété foncière ont eu, Hodgskin le recon- 
naît, quelques bons eflets : elles ont empêché 
l'émiettement, empêché aussi une concentration 
excessive des propriétés. Mais ces maux eux- 
mêmes, contre lesquels certaines lois peuvent 
avoir utilement réagi, proviennent, en dernière 
analyse, selon Hodgskin, d'autres lois : car les 
lois, œuvre des riches, ont pour fonction essen- 
tielle de protéger la richesse. « Ne subvenir aux 
besoins d'aucun homme etlaisserà chaque homme 
le produit de son propre travail, voilà quelle 
serait la meilleure loi agraire » (2) ; et Hodgskin, 
non sans quelque apparence de paradoxe, oppose 
à l'exemple de l'Allemagne celui de l'Angleterre, 
où, à l'en croire «la propriété i'uncière est restée 
entièrement libre », où « le possesseur est resté 

(l) TraçelSf vol. II, p. 378. 
(a) Vol. U, pp. 86-8;. 



Digitized 



THOMAS HODOSRnr 



libre de disposer de son bien comme il a jugé à 
propos », où, par suite, « Tintérêt personnel a 
effectué un grand bien général, sans restriction 
ni prescription législative » (i). 

Les gouvemements allemands ont voulu 'pré- 
venir la misère par des règlements d'assistance 
publique : c'est toujours la même volonté absurde 
de substituer les prescriptions de la loi à celles 
de la nature. Hodgskin, qui déjà se détacbe de 
Malthus, continue à penser, en ceci, comme 
Malthus. On ne peut se marier entre pauvres, au 
Hanovre, qu'avec la permission du magistrat. On 
en conclut que tout mariage autorisé par le 
magistrat est légitime et sacré. En réalité, la 
misère qui en résultera, voilà la seule raison 
naturelle pour laquelle il ne devrait pas être 
conclu ; et « le magistrat, par la substitution de 
son autorisation à la raison naturelle, empêche 
les parties contractantes de connaître cette impor- 
tante vérité » (a). Les classes gouvernantes, qui 
sont aussi les classes rîches,ont la vanité de croire 
qu'il est en leur pouvoir, par des lois, de sou- 
lager la misère ; mais la loi, œuvre des riches, 
est, par essence, la cause de la misère; comment 
pourrait-elle, sinon par accident, diminuer la 
misère ? 

(i) Travcls, vol. II, p. 96, 
(âj Vol. 11. pp. 94^100. 



Digitized 



CHAPITRE PRBIIIBR 



3l 



Le propriétaire foncier et le capitaliste ne produi- 
sent rien. Le capital est le produit du tr;ivail, et le pro- 
fit ii*est rien qu'une portion «le ce produit, impitoya- 
blement extorquée contre la permission accordée au 
travailleur de consommer une partie de ce "que lai- 
même a produit. Quand cela lui est accordé à titre 
d*aumône, s*il n'est pas opprimé, il est toul an moins 
insulté. Ceux qui s'imaginent être bienfaisants, parce 
qu'ils concèdent au travciilleur une bribe de ce qu'ils 
lui ont extorqué, se paient d'un ca/it hypocrite, qui, 
même s'il est consacré par les lois, même s'il s'accorde 
avec les habitudes de la société., n'a jamais été sur- 
passé par le eant des religions les plus absurdes. Par 
votre travail, vous mangerez votre pain ; voilà le 
langage de la sagesse divine, et celui qui ne gagne 
pas ce qu'il consomme par sa propre industrie,mangc 
un pain dont la nature a l'ait la propriété d'un autre. 
Les pauvres sont la terreur des riches et le fléau de 
la société. Mais ceux qui vivent dans l'abondance 
n'ont guère le droit de se plaindre quand leur repos 
est troublé ; car c'est eux qui infligent la pauvreté à 
leurs semblables et, en mùnie temps, leur enseignent 
à désirer la richesse. Les maux de la société ne sau- 
raient trouver de remèdes dans des lois du Parlement. 
On paraît généralement supposer, parce que les 
riches font les lois, que les pauvres ont seulement 
besoin d être réprimés et réformés. C'est une erreur. 
C'est la classe gouvernante de la société qui a besoin 
d'une réforme et qui mérite le plus de blâme pour 
les maux sociaux existants (i). 

L'erreur allemande réside, en dernière analy se , 



(I) TraveU, vol. U, pp. 97-98. 



Digitized by Google 



39 



TH0MA3 UODGSKIM 



dans une fausse conception de Féconomie poli- 
tique, entendue comme « la connaissance des 
moyens de développer la prospérité du peuple, 
au moyen du gouvernement » (i), alors qu^en 
réalité elle consiste dans la connaissance des 
lois naturelles, conformément auxquelles se 
réalise, sans- intervention gouvernementale, 
1 intérêt général (12), La conséquence de cette 
méprise, c'est que Ion rejette sur la nature la 
responsabilité des crimes dont les gouverne- 
ments et les lois sont les véritables auteurs. 
Au lieu d'expliquer le crime et la misère 
par un état «artiiiciel» de la société, où une 
« aristocratie de richesse » exerce une influence 
peut-être aussi pernicieuse que celle de Fan- 
cienne « aristoci^atie de naissance » (3), où 
« celui qui produit tout ne reçoit presque rien, 
tandis que ceux qui ne produisent rien abon- 
dent en superiluitésx>, où « Tindustrie estresclave 
de la paresse et, par son association constante 
avec les idées de pauvreté et de mépris, est 
devenue plus détestée, plus abhorrée que le 
crime » (4), on aime mieux faire retomber tout le 
mal sur I mdustrie et le commerce. Cependant, 

(1) Travels, vol. I, 4i4' 

(2) Vol. I, p. 467. 

(3) Vol. II, p. m. 

(4) Vol. 1, p. 3o2. 



CHAPITRB PREMIER 



33 



le fait d'employer des espèces différentes de tra- 
vail à la satisfaction de besoins différents ne peut 
jamais produire la pauvreté et la détresse. Et, dans 
l'intérêt de i'humanitéy si Ton veut que nulle espèce 
d'industrie ne soit injustement discréditée, il faut 
livrer à la censure les règlements sodaux qui nous 
ont infligé tant de pauvreté et de détresse. Toutes 
les espèces diverses de travail productif doivent être 
bienfaisantes, mais la manière dont le produit du 
travail est distribué dans la société est distincte du 
travail lui-même et résulte des règlements sociaux. 
C'est pour avoir confondu ces deux choses, et avec 
la préoccupation sincère du bien-être national, que j'ai 
entendu plusieurs hommes intelligents, au Hanovre, 
exprimer le vœu de ne pas voir leur patrie devenir 
commerçante (i). 

Mais, si la distribution actuelle de la propriété 
est à la fois (au tond, pour Hodgskin, les deux 
choses se ramènent à une seule) injuste et artifi- 
cielle; si elle est due à llntervention législative 
« d'un petit nombre d'individus séparés et dis- 
tincts, agissant, en tant que gouvernement, au 
nom de la société entière » (a), c'est une illusion 
de considérer le mouvement général de l'Europe 
vers l'émancipation industrielle et commerciale 
comme autre chose qu'une révolte irrésistible des 
lois de la nature contre les lois de l'homme. 



(1) Travela, vol. II, pp. iiz«ii9. 

[2) Vol. I. p. a^. 



Digitized 



THOMAS HODOSKIN 



Ceux-là seuls, dans la société actuelle, ont raison 

de s en alarmer, 

qui mettent tout leur bonheur à voir leurs besoins 
satisfaits par des esclaves impayés et tremblants. 
A leur point de vue, la moralité consiste dans l'accep- 
tation paisible de la misère si elle est infligée con- 
formément à la loi, et toute tentative faite par les 
hommes pour échapper à cette misère légitimement 
infligée est flétrie comme immorale (i). 

Gèux-là seuls peuvent espérer entraver le mou- 
vement qui croient à raction des causes acciden- 
telles dans rhistoire. 

Les mœurs d'une nation ne peu vent être changées 
subitement ou détruites par un événement isolé. . • 
Jamais événement miraculeux ne s'est produit ni ne 
peut se produire dans les démarches d*une nation 

tout entière. . . Les lois morales de la nature sont 
aussi régulières et inaltérables que ses lois physiques. 
Le pouvoir qui gouverne le monde n'est pas un tyran 
sanguinaire qui fait ses délices, par des orages subits 
et inattendus, de ruiner les plus belles espérances de 
l'humanité. Des lois régulières sont établies dans le 
monde moral, et nous avons la faculté de les découvrir 
et de régler sur elles notre conduite assez bien pour 
pouvoir diminuer ou détruire le mai sous toutes ses 
formes (a). 

Pendant que paraissent les <( Voyages dans le 
Nord de T Allemagne », Hodgsldn travaille à 

(i) Travels, vol. II, pp. 40i-46a. 
(a) Vol. U, p. 465. 



Digitized by 



CHAPtTRB PRBBOBR 36 

organiser son existence dans la grande ville intel- 
lectuelle, fière de ses grands hommes, de son 
Université, de ses Revues critiques, oà, depuis 
un an, il s'est fixé. Il est en relations avec 
Constable, Téditeur de la « Revue d*Édimboui^ » ; 
avec Napier, le directeur du u Supplément de 
rEucyclopédie Britannique » ; avec MacCulloch, 
le rédacteur en chef du Scotsman, 11 cherche 
à gagner sa vie par des articles de Revue : sa 
connaissance de la langue et de la civilisation 
allemandes ne doit-elle pas Taider à trouver des 
occasions ? Sa femme, en même temps, apprend 
l'anglais et cherche à donner des leçons d'alle- 
mand. Il continue cependant — et jamais son 
travail ne fut plus fécond — ses recherches per^ 
sonnelles. Le point de départ de ses reflexions, 
c est le radicalisme utilitaire. Depuis le moment 
où il a été conseillé et protégé par Francis Place, 
ses relations avec le groupe des amis de Bentham 
ont été étroites et constantes ; et, en fait , snr 
tous les points où les Benthamites défendent 
la cause du libéralisme, le radicalisme de Hodg- 
skinne diffère pas du leur. Il se félicite du progrès 
que fait, en Angleterre, l'idée du libre-échange. 
Il écrit à la suite d'une discussion à la Chambre 
des Lords sur le commerce extérieur : 

La confession, faite des deux côtés, que notre 
législation a jusqu'ici été mauvaise et que, si les 



Digitized 



36 



THOMAS HODGftKDf 



lois devenaient permanentes, les hommes conforme- 
raient à elles leur conduite, m'a paru importante. 
Le premier aveu est un aveu d insuffisance, et le 
second prouve que les hommes s'accommoderaient 
môme des lois de la Nature si lord Liverpool voulait 
nons permettre de les snivre : rien n'offre plu» de 
constance qu'elles n'en ont, et rien qui ressemble à 
une loi n'est plus changeant que les règlements des 
deux Chambres (i). 

Il applaudit à la campagne libre - échangiste 
que mène MacGulloch dans la a Revue d^Édim- 
bourg » (a), <( Cela ue fait pas de doute x), éciit-il 
à Place» 

l'abolition de toutes les restrictions , quelles 
qu'elles soient, est le grand but à atteindre. Ce qu'il 
nous faut, c'est une législature destructive, dont la 
grande alfaire soit d'en Unir avec les lois promulguées 
par les précédentes (3). 

Entre MacGulloch, qu'il voit constamment, et 
Francis Place, avec lequel il est en correspon- 
dance, il sert d'intermédiaire, lorsqne Mac- 
Gulloch, d'accord avec les radicaux de Westmin- 
ster, commence à faire campagne en faveur de 

(i) Uodgskin à Place, 3o mai iSjo, BriU Mua., add. 
mss. 33.153, f. j59, verso. 

(a) Hodgskin à Place, avril i8ao, Brit, Mus, add. 
mss. 33.163, f. i3j verso. 

(3) Hodgskin à Place, 27 août 1819, Brit, Mas, add, 
mss. 33.163, f. 98 verso. 



Digitized by Google 



CUAPlïlŒ PUËMIER 



l'abolition de la loi sur les coalitions (x). Avec 
les radicaux, il s'indigne contre la réaction 
régnante, proteste conti*e le massacre de Man- 
chester, étonné seulement de voir que Toppo- 

sitioii libérale se prt3occupe surtout de chei*clier 
si le massacre n'a pas été contraire aux lois» 

L^horrible violation des lois à Manchester semble 
n'avoir servi que de cri de guerre et de mot d'ordre 

pour les défendre. Quelque uiisère qu'elle ail produite, 
e'esl notre misérable Conslilulion que l'on enjoint 
maintenant de déi'endre et de soutenir. 1* raucheuient» 
ces bôtises me font mal au cœur. Je voudrais con- 
naître une loiy une seule loi, qui vaille qu'un honaôle 
homme se donne du mal pour la défendre. Ce n'est 
pas la loi du Parlement, ni la loi des juges, ni les 
lois relatives au libre-échange, ou à la liberté de 
parler et d'écrire ; moi, Je n'en connais pas une qui 
vaille la peine d'être soutenue, mais tout le monde 
semble croire qu'il vaut mieux être sabré par des 
hussards ou enfermé dans des Bastilles selon les 
règles que d*avoir confiance en ses semblables. Ils 
semblent croire qu'il vaut mieux être tondu selon 
les règles que de courir le plus léger risque de vivre 
selon la raison (2). 

Dans un article qu'il porte au Scotsman^ en jan- 
vier 1820, et que le Scotsiuan refuse , Hodgskia 

(i) Hodgskin à Place, !«' septembre 1S19, BriU Mus* 
add. mss. 33.i53, t ^. 

(a) Hodgskin à Placera sept. 18199 BriL Mas. add. mss. 

33.154, f. as. 

H. 



Digitized by Google 



38 



TliOMiLS UODUSKIN 



développe cette idée que la grande œuvre accom- 
plie par les nouveaux philosophes, «Adam Smith, 
Malthus, Bentham et tous les économistes poli- 
tiques, et tous ceux qui ont écrit sur la législa- 
tion depuis un demi-siècle », c'est d'avoir discré- 
dité les lois existantes et profondément modifié 
« les sentiments éprouvés par les peuples à 
l'égard des gouvernements » (i). Mais son anar- 
chisme va plus loin que leur réformisme : il 
n'attaque pas les lois existantes en détail, mais 
toutes les lois sans exception ou, mieux encore^ la 
notion même de loi. 

La philosophie économique des Benthamites 
est antilégislative : pourquoi en est-il auti*e- 
ment de leur philosophie juridique ? C'est 
/d'une façon absolue que la notion de loi positive 
est inconciliable avec Texistence de lois natu- 
relles : voilà ridée qui s'est emparée de l'esprit 
j de Hodgskin dès ses premières réflexions, dès 
! ses premières lectures. Mais, alors, comment 
^ expliquer Texistence, Torigine des lois posi- 
' lives? Hodgskin étend à toutes les lois sans 
restriction Texplication^ donnée par les Ben- 
fhamiles, de Torigine des lois mauvaises ou, 
comme ils disaient en leur langage, « sinistres». 
Elles ont été faites par des oligarchies pour 

(i) Hodgskin à Place, so janv. i8ao« Brit Mua. add. 
mss. 36.153, t iso verso. 



Digitized by Google 



CHAPITRB PRBMIBR 



la défense de leurs intérêts particuliers contre 
riutérêt de la masse des sujets. Hodgskin se 
livre donc à des recherches sur l'origine des 
lois, demandant à Place de le renseigner sur 
certains détails relatifs à l'antiquité biblique : 

Est-ce que toutes les nations de l'antiquité dont 

nous avons connaissance n'étaient pas composées de 
maîtres et d'esclaves ? ei les lois pénales ne peuvent- 
elles avoir pris naissance, n'ont-elles pas eUective- 
ment pris naissance dans un état social de ce genre ? 
ne forent-elles pas créées principalement pour iaire 
régner Tordre parmi les esdavés (i) ? 

Il se fait adi^esser par Francis Place les «Traités 
de Législation » de Bentham (a)» et réussit à faire 
passer, dans le Magazine que dirige Constable, 
un article sur le droit pénal, très modéré de ton, 
où il rend hommage à Bentham. Mais un second 
article, qui devait l'aire suite au premier, est 
refusé (3). .Pour un temps, Hodgskin cesse de 
s ^intéresser à Fétude de ce problème fondamental. 

Sur d'autres points, aussi bien» le bentha- 
misme appelle la critique. En matière de droit 
constitutiouiiel^ les radicaux utilitaires attaquent 



(1) Hodgskin à Place, 8 février i8ao, BriU Mus. add. 
mss. 33.153, f. 124 verso. 

(2) i5 féyr. x8ao Brit.Mua, add. mss. 33.i53, f. ia6 verso. 
Cf. ao avril, f. i33. 

(S) i5 févr. x8ao, BHt Mu», add. mss. 3?.i53, 1. ihq. 



Digitized by Google 



40 THOMAS BODGSKIN 

le régime monarchique et le régime aristoera- 
tique, mais c'est pour proposer un parlementa- 
risme démocratique, où se irouTera garantie» par 
des procédés en quelque sorte mécaniques, Tliar- 
moniedes intérêts entre gouvernants et gouvernés. 
Hodgskin, qui a déjà prémuni les lecteurs de son 
« Voyage en Allemagne » contre la superstition du 
régime représentatif, est sceptique sur 1 eiiicacité 
de ce mécanisme législatif. Un instant, il songe 
à entreprendre une histoire critique de la légis- 
lation parlementaire en Angleterre (i). Puis James 
Mill, dans la publication de Napier, publie son 
fameux Essai sur le Gouvernement qui fixe le 
programme constitutionnel des Benthamites ; et 
Hodgskin, dans une lettre à Place où il discute 
James Mill, oppose à lldée d*un gouvernement 
démocratique l'idée d'une société sans gouverne- 
ment : si Topinion publique fait toute la force 
d'une constitution, pourquoi Topinion publique, 
sans mécanisme constitutionnel, ne pourrait-elle 
suffire à constituer une société stable? Contre 
James Mill, il ressuscite la docti*ine de Godwin* 

11 (Mr. Mil!) postule la seule proposition que je 
serais disposé à contester, à savoir que Tobjet du 
gouvernement (la protection de la propriété) est 
atteint quand un grand nombre d'hommes s'unissent 



(i) Hodgskin à Place; m avril i8ao. Bril. Mu8. add. 
mss. a3.i53, f. i33. 



Digitized by Google 



CHAPITRE PRËMIEU 



et délèguent à m petit nombre le pouvoir nécessaire 
pour les protéger tous. Concédez-lui cela, et toute la 
suite de ses raisonnements est magistrale, elle fournit 
des arguments nouveaux et bons contre le mauvais 

gouvernement. Mais je ne suis pas disposé à lui 
concéder cela. L'c xpériencc me dit que les hommes 
peuvent s'associer pour se protéger l'un l'autre sans 
délégation de pouvoir à un petit nombre. C'est ainsi 
qu'à présent le peuple, mû par un désir commun, 
s^est uni pour la protection de la reine et Ta en fait 
protégée contre le pouvoir d*un mauvais gouverne- 
ment sans délégation de pouvoir. Scmblablement, je 
crois que l'on ne saurait postuler, en argumentant 
contre la démocratie, que le peuple doit être assemblé 
pour faire des lois. 

Dans l'état actuel de la société, il n'y a pas de 
raison pour cela. L'opinion d'un individu quelconque 
sur un sujet donné quelconque pourrait être connue 
en peu de mois, sans réunir la nation. Et cette trans- 
mission d'opinion serait assez rapide pour servir à la 
coni'ection des lois. Je suis donc porté à me séparer 
de Mr. MUl sur cette partie de son sujet et à penser 
que, dans la mesure où il s'agit de LégiêUUianf «la 
collectivité en masse n'est pas mal adaptée aux fonc- 
tions du gouvernement». Je crois que Tanalogie d'une 
société de secours mutuels {benefit club) n est pas 
complète. Car une société de secours mutuels, si je ne 
me trompe, ne fait que nommer des fonctionnaires, 
et ne permet ni à eux, ni au conseil d'administra- 
tioDi de foire des lois ; or cela est impliqué dans 
ridée courante des pouvoirs gouvernementaux et 
semble être compté au nombre de ces pouvoirs par 
Mr. Mill. Si la législation n'est pas un des pouvoirs 
qu'il faut remettre au petit nombre^ je n'ai presque 



4a 



THOMAS HODGSKIM 



pas d'objections à faire au système; raais si elle l'est, 
alors le système paraît mal fondé, parce que les ins- 
titutions de contrôle (checks) établies par le peuple, 
et à qui Ton attribue ensuite la fonction de faire en 
sorte que le gouvernement ail les mêmes intérêts que 
le peuple, pourraient certainement protéger le peuple 
sans intervention de ce gouvernement (ou du petit 
nombre des délégués) aussi bien qu'elles le protègent 
contre lui ou contre eux. Ou encore, le contrôle qui 
suppose (ju'on laisse au pt uphî un pouvoir de décla- 
rer ee qui est juste est, en vérité, l'essence de la 
législation, et non seulement ne doit pas, mais 
semble ne pouvoir pas, pendant que Ton conserve 
des contrôles, être délégué. Si l'on retient le pouvoir 
de légiférer sur ce point important, qui consiste à 
exercer un contrôle sur le petit nombre des délégués, 
je ne vois pas pourquoi on ne le conserverait pas 
sur tous les points, — je ne vois pas, en d'autres 
termes, de raison pour que le pouvoir de la iégisla- 
tionnesoltpas exercé par la nation tout entière sans 
délégués aucuns. Le cas est différât cependant en 
ce qui concerne les deux branches de l'Administration 
et de la Justice. Elles doivent être conlîées à des 
individus délégués, mais toutes deux probablement, 
considérées au point de vue nationcd, seraient enfer- 
mées dans des limites beaucoup pins étroites que 
leurs limites actuelles, et très différentes* Je ne pré* 
tends pas dire, cependant, jusqu'à quel point, mais 
je suppose que les relations des nations entre elles, 
seule occasion où soit requise une administration 
nationale consistant en rois et en ministres, seraient 
très rares 

Mr. Mill semble avoir été quelque peu induit en 
erreur pour n*avoir pas pris garde à la vraie source 



Digitized by GoogI 



CBAPlTaS PRBHIHR 



43 



des pouvoirs ilu gouvernement. Ils ne sont, bien cn- 
teoda, rien de distinct de la richesse el des privilèges 
que Tapinion dn peuple en favenr da gouvernement 
lui confère ou lui permet de s'approprier. Ou encore, 
le gouvernement n'a de pouvoir pour protéger la pro* 
priété que celui qu'il dérive de l'opinion. Si l'opinion 
est capable de cotislitiier, de restreindre et de douer 
de pouvoirs déiinis, avec les variations de l'opinion, 
chaque gouvernement, je ne saurais dire pourquoi 
Topinion ne pourrait, en première instance, protéger 
la propriété (c^est la fin pour laquelle le gouverne- 
ment est institué) sans l'intervention d'une machine 
aussi encombrante. Mais je n'en dirai pas davan- 
tage sur ce sujet. Si l'on accorde (^le la meilleure 
manière de protéger la propriété est, pour un 
grand nombre d'hommes, de déléguer h un petit 
nombre les pouvoirs administratif, judiciaire et 
législatif, si l'on suppose que le fait du gouverne- 
ment résulte nécessairement du désir qu'ont les 
hommes de s'appro[)rier les objets de désir, alors 
rarlicle est excellent (i). 

Mais ce n'est pas seulement la philosophie 
du droit pénal, ni la philosophie du droit public, 
c'est la philosophie économique elle-même, qui, 
chez les Benthauiites, ne satisfait pas Ilodgskin. 
La littérature du parti radical s'est enrichie, 
pendant (pie Hodgskin voyageait en Italie et en 
Allemagne, du grand ouvrage de Ricardo, qui a 
défini une seconde fois et enrichi de traits nou- 

(I) HodirslNin à Place, 17 sept. i8ao. BriL Mu8, add. 
mss. 33.1 53, 1. iG^ sqq. 



44 



THOMAS HODGSKIN 



veaux la doctrine d'Adam Smith ; or, Hodgskia 
croit devoir condamner les innovations de Ricardo 

parce qu'il y voit autant d'infractious au grand 
principe de la philosophie nouvelle, au principe 
de l'identité naturelle des intérêts. Âdam Smith 
avait aflîrmé que, dans le monde de l'échange et 
de la division du travail, les lois naturelles de la 
production et de la distribution des richesses 
étaient harmoniques et bienfaisantes ; cette har- 
monie naturelle ne pouvait être dérangée que 
par des accidents historiques, appropriation du 
sol ou accumulation du capital. Puis Malthus 
était venu, qui avait trouvé à la misère une 
cause indépendante de la volonté humaine dans 
l'accroissement, naturellement excessif, de la 
population, dans la désharmonie naturelle qui 
existe entre le nombre des consommateurs et la 
quantité des subsistances : la rente foncière, 
prélevée sur le produit du travailleur par le 
propriétaire du sol, lui était apparue comme un 
effet nécessaire de la stérilité relative et de la 
rareté du sol cultivable. Maintenant, Ricardo se 
donne pour tâche d'incorporer les théories de 
Malthus à un système intégral d'économie poli- 
tique. Dans les lettres qu il adresse à Place le 
néo-malthusien, Hodgskin proteste contre le 
système de Ricardo, et réclame le retour «\ Adam 
Smith par Télimination des élément^ malthu- 



GHAPITRB PEEMIRR 



45 



siens que renferme la doctrine de Ricardo. 

A rinstant même où Godwin, après vingt- 
einq années de silence, réplique à l'ouvrage de 
Malthus, Hodgskin, à tant d'égards disciple de 
Godwin, conteste, lui aussi, le principe de 
population. Il attache^ sans doute, à raccroisse- 
ment numériqae du genre humain, la même 
importance que Malthns dans l'interprétation de 
Thistoire. Seulement, sa philosophie de Thistoire 
est optimiste an lieu d*étre pessimiste. Si la 
multiplication du genre humain est un fait 
naturel» elle ne saurait être que bienfaisante: 
elle explique, à ses yeux, non plus la perma- 
nence de la misère, mais la civilisation elle- 
même, le progrès des hommes en connaissances 
et en bonheur. Il écrit un article 

pour montrer que Thumanité a gagné dans toutes 
les vertus de sobriété, de douceur, d'équité, d'indul- 
gence, etc. etc. ; qu'elle a gagné en savoir et en indus- 
trie, en proportion exacte de l'augmentation du 

nombre des hommes ; que c'est là une admirable 
invention de la nature pour corriger la plupart des 
maux apparents de notre condition ; et que les affir- 
mations de nos orateurs sacrés et de nos oracles du 
Parleroent,8elon qui une abondance d'honunesestune 
pépinière de vices et selon qui nos crimes sont dus 
non à un défaut de notre gouvernement, mais à nos 
grandes villes, visent sonloment à nous inculquer la 
foi en labienfaisanci'des prêtres etdelord Castlorea^h. 
U me semble que rarlicie ne contenait rien que des 



Digitized by Googlc 



46 



THOMAS HODOSKUT 



faits et présentait, de notre condition naturelle, an 
tableau qui devrait être consolant pour tout le 
monde. On Ta refusé cependant comme trop poli- 
tique. Je vois qu'on ne se préoccupe que de dire* en 
langage élégant» ce que les autres croient déjà. Et, 
comme je me suis toujours très peu soudé de Télé- 
gance de la forme, comme j'ai toujours pensé autre- 
ment que ne pensaient les autres, je me trouve très 
mal fait pour le métier de scribe (i). 

Une fois, deux fois, Tarticle est refusé. Le 

malthusianisme est devenu un des dogmes du 
parti libéral ; il n'est pas permis de le réfuter 
dans une publication whig ; et Hodgsldn finit 
par communiquer à Francis Place, avec prière 
de le soumettre à Godwin, le résumé de son 
étude (2). Ce résumé contient, sous une forme 
succincte et nette, tout Tantimalthusianisme de 
Hodgskin (3). 

Sun L*INFLURNCB MORALE d'uN AGCROISSBIIBNT 

DU NOMBRE DES HOMMBS. 

1° Si Von admet que la population a une tendance 
à déborder la subsistance, ne devons-nous pas attri- 
buer la misère, dont cette tendance peut avoir été 
jusqu'à présent la cause^ à Vignorance où était 



fi) Hodg^skin à Place, ao janv. 18110. Brit, Mm, add. 
mss, 33. i53, f. 121. 

(2) 3o nini 1S20. Brit. Mus. add. mss, 33.i53, f. iSg. 
(3j Brii. Mus, add. mss. 33.1Ô3, f. 161 sqq. 



Digitized by Google 



GHAPITRB PRBMUR 



43 



l'homme da fait que c'était là une. loi de la nature, 
plutôt qn*k la loi elle-même? 

2" M. Malthus admet que, dans la mesure où la 
population s'est accrue — en Grande-Bretagne par 
exemple, — la famine, la peste et tous les maux qui, 
selon lui^ diminuent la population, sont devenus 
moindres. Comparez les souffiranoes d'un saurage 
de la Nouvelle-Hollande avec celles d'un habitant 
de l'Angleterre. Bn Turquie, 3i habitants vivent sur un 
mille carré; en Angleterre, i52. Dans le premier cas, 
la contagion et la famine font plus de victimes que 
dans le second. C'est donc Tignorance, le mauvais 
gouvernement ou quelque autre cause qui produiseiit 
la fàmine et la mort; ce n'est pas un excès de 
population; 

3^ On a des raisons de croire que la malpropreté 

et rinertie sont des causes de maladies, et il est 
incontestable qu'elles seraient plus grandes qu'elles 
ne sont, si la faim n'était un stimulant de l'effort; 

4° Quand on compare l'Amérique possédée par 
les Indiens à l'Amérique possédée par les Européens; 
quand on compare la condition antérieure avec la 
condition actuelle des États-Unis, il est évident que 
ce n'est pas l'étendue superficielle du sol, mais le 
travail et l'ingéniosité qui produisent les aliments. 
Un petit nombre d'Indiens misérables mouraient de 
faim sur un continent immense; un petit nombre 
d'hommes, auxquels étaient familiers le savoir et les 
arts de l'Europe, se sont multipliés graduellement 
jusqu'à devenir une nation puissante et disposent 
d'une abondance de subsistances. L'ingéniosité et le 
savoir, bref, quelques qualités morales de l'homme, 
sont, par conséquent, le principal moyen de multi- 
plication de la nourriture ; 



THOMAS HODGSKIN 



5"* Il rloit y avoir en un temps où la sarface de 
rSarope était dans le même rapportjqaantàrétendae, 
an nombre de ses habitants, qne TAmérigne d'anjonr- 
d'hni ; mais i! ti'y a pas de période dans l'histoire de 

l'Europe où ses habitants aient multiplié aussi vite 
qMC les habitants de l'Amérique. Il nous faut donc 
chercher quelque cause autre qu'une insuffisance de 
territoire, -—nn mauvais gouvernement, par exemple, 
source d'ignorance et, d*nne façon générale, Tigno- 
rance, — pour expliquer le lent accroissement de la 
population en Europe; 

6" C'est un fait que, toutes choses ég-ales d'ailleurs, 
le savoir et Vins^éniosité, c'est-à-dire, bien entendu, 
les moyens de produire les aliments (v. /J), doivent 
être grands dans la mesure où le nombre des hommes 
est grand et doivent croître dans la mesure où croît 
le nombre des hommes. Les arts mécaniques fleuris- 
sent dans l'Angleterre, encombrée d'hommes ; les 
beaux-arts fleurissaient dans la Grèce encombrée; 

7" Les désirs se multiplient avec le nombre des 
hommes et avec leur industrie. Comparez le sauvage 
qui se chanflè an soleil avec un Européen lettré 
et riche; 

8* L'accroissement de savoir, qui suit un accrois- 
sement de population, accompagné d'un accroisse- 
ment de moralité. — Voyez l'histoire de l'Europe, 
qui a crû en moralité à mesure que croissait le 
nombre de ses habitants. St-Barthélemy, — Guerre 
des Paysans, etc. ; 

9« Accroissement de moralité dù à un accroissement 
de population. La collision abat et apaise les pas- 
sions. Le poids de la masse donne à ses opinions une 
force qui domine la volonté de chaque individu; 
io*> L'homme civilisé est un être totalement dif- 



kju,^ jcl by Google 



CHAPITHC PREMIER 



49 



férent d'an homme sauvage et ne connaît presque 
aacune dea passions foiienses de celui-ci. On en tire 
cette hypothèse que toute passion peut être diminuée 
ou plutôt contenue jusqu'au niveau où l'opinion 

autorise l'indulgence; 

II" Gonclubion. Un accroissement de population 
développe l'induslrie, l'ingéniosité cl le savoir; il 
développe en conséquence aussi les moyens de pro- 
duire Talimentation. Le pouvoir du principe de 
peuplement peut donc être considéré comme le grand 
stimulant de l'effort et comme le grand moyen 
d augmenler le bonheur de l'individu et de Tespèce. 

Du principe malthusien de population dérive 

la loi malthusienne de la rente différentielle : elle 
implique que la rente foncière n'est pas un mono- 
pole &ctice, mais résulte nécessairement de 
ropération des lois économiques naturelles. 11 
faut donc admettre, après cela, ou bien que la 
nature est injuste et qu'il appartient à la législa- 
tion d'en corriger les imperfections (l'optimisme 
naturaliste de Hodgskin lui interdit d'accepter 
cette hypothèse), ou bien que la rente foncière 
et, par suite, l'existence d'une aristocratie de 
propriétaires, est juste, puisqu'elle est naturelle 
(les physiocrates l'avaient admis, mais Hodgskin 
est trop démocrate pour Tadmettre). Il reste, pour 
échapper au dilemme, de rejeter la théorie : ce 
qui implique le rejet de tout le système ricardien. 
Car Ricardo, aggravant l'erreur de Malthus, non 



So 



THOMAS HODGSKIN 



seulement adopte la théorie de la rente différen- 
tielle, mais en fait la base de toute une théorie 

nouvelle de la distribution des richesses. Il 
subordonne la loi des profits à la loi de la rente, 
en admettant que le taux moyen des profits est 
réglé parle profit du capital employé sur le plus 
pauvre des terrains cultivés, et que le profit est 
condamné à décroître indéfiniment par la néces- 
sité où se trouve le genre humain de recourir à 
la culture de terrains sans cesse plus pauvres. Il 
subordonne la loi des salaires à la loi de la rente ; 
le salaire strictement nécessaire à l'entretien du 
travailleur et de sa famille, il l'appelle le salaire 
naturel, parce qull le considère comme natu- 
rellement maintenu k ce taux misérable par 
Taccroissement indéfini de la rente foncière. 
Toutes ces prétendues lois naturelles sont con- 
testées par Thomas Hodgskin. 

Il rejette la loi de la rente difTérentielle. Sans 
doute il est possible d'expliquer l'apparition de 
la rente et d'une classe de propriétaires par la 
difiérence de fertilité des terrains ; mais l'expé- 
rience seule peut nous dire si cette explication 
possible est conforme à la réalité. Ricardo et ses 
disciples dédaignent l'expérience ; cependant, 
selon llodgskin, si Ton défalque des fermages 
actuels cet élément différentiel sur lequel insiste 
l'école malthusienne, il reste encore une somme 



Digitized by 



CHAPITRE PREMIER 



5i 



énorme, égale peutrétré à cette moitié des produits 
du sol exigée des anciens métayers* La rente 
diflerentielle est un élément négligeable de la 
rente réelle ; la rente foncière s'explique par ce 
fait historique qu'un petit nombre de conqué- 
rants^ ayant occupé toute la surface du sol» ont 
été en mesure d'exiger, des cultivateurs de tous 
les terrains sans exception, une somme dont le 
montant a été limité par la nécessité seule de 
laisser les cultiYateurs vivre et travailler. 

Par suite, la théorie ricardienne du salaire 
naturel est fausse, elle aussi. Les premiers culti- 
vateurs du sol de TEurope ayant vécu en esclaves, 
leurs descendants, aflrauchis, ont conservé les 
habitudes de vie de leurs ancêtres; ils ontcontinué 
à accepter, sous le nom de salaii^e, Téquivalent 
de ce que le maître abandonnait jadis à l'esclave : 
une coutume servile, perpétuée par la loi des 
honmies, à cela se réduit, en ûn de comptCi le 
prétendu salaire naturel des Ricardiens. 

Fausse enfin, la prétendue loi de la décrois- 
sance naturelle des proûts. Si la nature n'était 
pas contrariée dans ses opérations, le travail, 
aidé du capital, deviendi^ait sans cesse plus pro- 
ductif avec le progrès de l'ingéniosité humaine 
et des machines. S'il semble, cependant, qu'il 
le devienne de moins en moins, c'est que l'inter- 
vention des lois humaines masque Topération 



Digitized 



5a 



THOMAS HODGSKIM 



des lois naturelles; c'est que, dans la société 
actuelle, le travailleur ne reçoit pas tout le pro- 
duit de son travail, sur lequel il voit prélever 
d'abord un proût et une rente« La théorie ricar- 
dîenne de la valeur crée, sur ce point, une con- 
fusion d'idées ; et Ricardo a tort de vouloir, contre 
l'opinion plus sage d*Adam Smith, identifier la 
valeur échangeable au prix naturel (i). Pour bien 
juger de la valeur échangeable, il faut considérer 
réchange comme ayant lien non pas entre les 
objets échangés , entre des valeurs abstraites, 
mais entre les individus qui sont les auteurs des 
produits échangés et les auteurs de l'échange. 
Or, dans le monde de l'échange, tel qu il est 
réellement constitué, les producteurs peuvent 
oct-uper des positions économiques très diverses. 
Deux individus sont supposés fournir des quan* 
tîtés de travail égales ; mais l'un, propriétaire 
de sa terre et de son capital, reçoit tout le 
produit de son travail, tandis que Tautre doit, , 
sur le produit d'une quantité de travail égale, 
rémunérer un propriétaire foncier et un capi- 
taliste. Donc celui-ci, avec ce qui représente 
le |)roduit ûnal de son travail, à savoir son 
salaire, ne peut acheter qu*une partie de la valeur 
produite par l'autre, au prix d'une quantité égale 

II) Cf. Hodpskin à Place, 29 avril 1821. Prit. Mus. 
add. msB. 33.i53, f. 198. Voir plus bas^ chap. III, p. lôo. 



Digitized by 



GBAPITRB PRBMI£R 



53 



de travail. Donc, enfin, poor les individus qui 

pratiquent Téchange, les produits ne s'échangent 
pas proportionnellement à la quantité du travail 
productif : pour que cela fût, il faudrait que 
toujours le salaire du travail fût égal au produit 
du travail. La rente et le profit sont, pour le 
travailleur, la cause artificielle du relèvement des 
prix ; et la misère du travailleur résulte non de 
l'opération des lois naturelles, mais de certaines 
institutions positives et de certains accidents 
historiques. 

Dès le mois de juin 1819(1), Hodgskin soumet 
à Place le plan d*un ouvrage qui consisterait en 
observations critiques sur le système de Ricardo : 
Francis Place est trop ricardien pour ne pas 
détourner Hodgskin d'accomplir ce dessein. Mais, 
une fois débarrassé des soucis que lui cause 
l'impression de son livre, le problème de la rente 
attire de nouveau son attention : il le discute une 
première fois, dans une lettre assez brève, du 
ao avril 1820 (a), puis dans une seconde lettre,plus 
développée, du 28 mai (3), que nous reprodui- 
sons tout entière. Jusqu'ici inédite, elle marcjne 
avec précision le point de maturité où étaient 
parvenues, à cette date, les idées de Thomas 

(i) Le 4 Juin. Brit Mas, add. mas. 33.x53, f. 67. 
(s) Brit, Mu$. add. mss. 33.i53, ff. i35, verso sqq. 
(3) Brit, Mus. add« mss. 33«i53, f. i4a sqq. 



Digitized 



54 



THOMAS HOOGSKLX 



Uodgskin. Bien documentée et raisonnée, malgré 
une rédaction rapide, et parfois prolixe, elle est 

intciHissante autant par son contenu que par la 
date où elle fut écrite, moins de trois ans après 
la publication des « Principes de rÉconomie 
Politique et de l'Impôt ». 

Je vous suis très obligé, mon bon ami, de votre 
longue lettre du a3 mai que j*ai reçue avant*hier et qui 
m'a donné à réfléchir depuis qu'elle est arrivée. Je 

n'admets cependant pas encore la doctrine de la 
rente, et je voudrais, si vous avez la patience de 
lire mes remarques jusqu*au bout, vous expliquer 
plus longuement les motifs de mon dissentiment. 
Je suis heureux d'avoir une opportunité de disenter 
avec vous, sûr que, si, flnalement, j'étais vaincu, la 
victoire serait à mon avantage. 

Je crois qu'il est ridicule jj^éni ralemcnt pour un 
homme de parler d'impartialité soit qu'il examine, 
soit qull discute les opinions d'une antre personne. 
Nous avons tons nos opinions préconçues que nous 
préférons en général aux opinions des autres, et 
nous n'approuvons ou ne condamnons celles-ci que 
dans la mesure où elles diffèrent des autres ou 
s'accordent avec elles. Je n éprouve donc aucune 
- hésitation à dire qne les opinions de Mr. Ricardo me 
déplaisent parce qu'elles tendent à justiûer la situa- 
tion politique actuelle de la société et à mettre des 
limites à nos espérances de progrès futur. — Elles 
ont le premier résultat en justiliant nos grands 
Léviallians fonciers dans leurs extorsions énormes. 
La richesse n'est qu'un autre nom du pouvoir poli- 
tique, et, avec une aristocratie foncière telle que 



Digitized by 



CHAPITRE PREMIER 



55 



celle qui existe à présent, aucune espèce de démo- 
cratie n'est possible. Nous sommes tous les sujets 
de la Nature, et nous ne pouvons être heureux ou 
grands qu'en obéissant k ses lois; mais si la Rente, 
telle qu'elle existe à présent, est, conformément à la 
théorie de Mr. Ricardo, le résultat naturel du progrés 
de la société, alors toute tentative pour nous aflVan- 
chir de la domination d'une aristocratie riche doit, 
en ûn de compte, échouer et n'avoir que des ellets 
ftmestes. — Je suis un démocrate; les doctrines de 
Mr. Ricardo sont le plus solide soutien que je con- 
naisse, dans l'ordre théorique, de raristocratie, et 
c'est pourquoi elles me déplaisent. Telle est la 
source d'un de mes préjugés contre elles : je l'ai 
honnêtement et ouvertement confessé. 

Les opinions de Mr. Ricardo imposent des limites 
à notre espérance d'un progrès futur du genre 
humain, d'une manière encore plus définie qne les 
opinions de Mr. Malthus elles-mêmes. C'est, en ellet, 
l'opinion de Mr, Ricardo que le taux de tous les 
proiits est déterminé, en dernière instance, par le 
taux du profit qu'obtient le capital employé sur le 
sol, qne celui-ci diminue constamment^ en raison 
de la nécessité d'avoir recours à des terrains pins 
pauvres, et qu'il y a un point limité par lïntérét 
naturel du capital, et dont la plupart des sociétés 
européennes ne sont pas très éloignées, où le progrès 
doit s'arrêter. J'ai toujours supposé» en me fondant 
sur le progrès que les hommes ont fiait jusqu'id, 
qu'il nous est impossible de limiter leur progrès 
futur. C'est exactement ce que font les doctrines de 
Mr. Ricardo, et elles le lont en s'appuyant sur des 
raisons naturelles; et. parce qu'elles s'opposent ainsi 
à cet autre de mes préjugés, elles me déplaisent 



Digitized by Google 



55 



THOMAS HODGSKIN 



beaucoup. Vous ayant donc montré sur quoi se tonde 
mon préjugé contre elles, je vais essayer de le 
josUlier par des raisonnements et des laits. 

Je ne nie pas» en premier iieu, qu'il puisse y 
avoir, entre des sols différents» une différence qui 
rende le produit de quelques-uns plus grand que 
celui des antres, — que la nécessité d'avoir recours 
à ces terrains de qualité j^iie ait accru la rente 
dans les temps modernes, — et que les doctrines de 
Mr. Ricardo expliquent d une façon très heureuse 
le grand accroissement de la Rente dans ce dernier 
demi-siècle. Mais je nie que la Rente ait eu son 
origine dans cette diff(^nce des terrains et que la 
Renie qui se paie aujourd'hui ne soit rien que la 
différence entre le produit de quantités égales de 
capital employées sur des terrains de pouvoirs pro- 
ductifs différents. Car Adam Smith a dit, et a dit 
avec vérité, que les hommes paient une rente pour 
des étangs poissonneux, pour des rivières^ pour la 
récolte du varech et pour des landes nues. Ou 
encore, ce qui revient au même, ils pdient quelques 
monopoleurs pour obtenir la permission de pécher 
dans des rivières, de récolter le varech sur la plage, 
ou de cultiver ce qui est, sans travail, un désert nu» 
Incontestablement, une Rente plus grande se paie 
pour un bon terrain que pour un mauvais terrain, 
mais ce que, maintenant, on appelle Rente est plus 
grand que la différence entre le produit des bons et 
des mauvais terrains d'une somme largement égale, 
peut-être, à cette moitié du produit que les anciens 
propriétaires fonciers de rKurope arrachaient à 
leurs esclaves. 

J'avais déjà eu l'attention attirée, avant votre 
communication, par ce qu'on rapporte des sables du 



CHAPITRE PREMIER 



Norfolk, rendus fertiles par le travail et qui maintenant 
paient une rente, et sur ce fait, joint à plusieurs 
autres du même genre, — la totalité de la Hollande, 

par exemple, et toute la plaine de Lombardie, ont été 
reuiiues, coiume le Norl'olk, Icrliles par le travail, 
— on peut fonder les objections les plus fortes 
contre toute la théorie de Mr. Ricardo sur la Rente 
et sur la chute des profits naturels avec le pro- 
grès de la société. Gela ])ronve clairement, comme 
vous dites, que quelques terres qui paient une rente 
n'ont pas de poiwoirs originels et indestructibles^ mais 
je suis disposé à étendre cette observation à toute 
terre f à aûirmer que c*est le travail humain qui rend 
un sol quelconque productif, et cpie c'est en consé- 
quence du fait que les propriétaires fonciers ont 
originellement monopolisé le travail de leurs esclaves 
qu'une rente se paie aujourd hui en Europe. Nous 
savons que les pouvoirs du sol dans l'Amérique du 
Nord et en Nouvelle- lioUande étaient pratiquement 
nuls avant d'avoir été appelés à Texistence par le 
travail et l'ingéniosité des Européens. Ils n'épar- 
gnaient pas, au petit nombre de sauvages, errants 
sur d'immenses espaces, les misères du besoin. Indé- 
pendamment du travail humain, il n'y a pas de pou- 
voirs originels indestructibles du sol. Une ingéniosité 
semblable à celle qm rendit productifs les sables du 
Norfolk a rendu productifs les marais de Hollande 
et le sable de Lombardie. Et la même ingéniosité 
pourrait en ce moment, si la chose était faisable 
sans demander la permission des rois et des pro- 
priétaires qui monopolisent le sol de T Allemagne, 
rendre tous les sables et tous les marécages de la 
Moravie, de la Prusse et du Hanovre, probablement 
tout aussi productifs que les anciens sables mouvants 



Digitized by Google 



58 



TttOMAS H0D08KIN 



du Norfolk. Les sols que Ton appelle aujourd'hui 
détestables entre tous peuvent, par quelques amélio- 
rations ou altérations dans le mode de culture» être 
rendus anssi productifs que ceux qu'on appelle 
aujourd'hui les meiUeurs. Par exemple Fintroduction 
des moutons a fait payer aux hautes terres d'Écosse 
des rentes beaucoup plus hautes qu'auparavant. Mais 
personne n'a pu employer une partie du territoire 
auparavant désert de lord Breadalbane à cette (in, 
sans lui payer une rente. Et il a pris garde d'augmenter 
cette rente toutes les fois que le fermier a tiré de la 
terre un parti suffisant pour tenter une autre personne 
de suggérer à My Lord qu'il pourrait tirer de son 
sable une rente plus haute. Ces améliorations nous 
montrent que la Rente , quoiqu'elle puisse être 
augmentée par quelques diversités de sol, n'a pas été 
originellement et n'est pas à présent entièrement 
payée pour quelques pouvoirs indestructibles du sol. 

Vous ne dites pas si» oui ou non, vous admettez 
le fait que la plus grande partie de PBurope a été 
cultivée par des esclaves. C'est ce qui me semble cons- 
tituer, dans notre enquête, un fait d'importance fon- 
damentale. J'ai donc consulté r^/^g-Ze^erre de Uume, 
le Charles-Quint de Robertson, V Historical View de 
WàarJb^Shetche^ of Mon de Kames, Adam Smith^etc. 
etc., et tous s'accordent à dire que presque toute 
l'Europe a été autrefois cultivée par des hommes liges. 
Je tiens donc pour un fait établi que toute la société 
européenne a été divisée autrefois en maîtres ou pro- 
priétaires fonciers et esclaves. Depuis cette période 
primitive, une autre classe a surgi, d'hommes qui, pos- 
sédant un capital et de l'ingéniosité, ne possèdent pas 
toute l'autorité des lords et ne sont pas aussi abjects 
que les esclaves. Cette classe a tiré son origine moins 



CHAPITRE PREMIER 69 

des lois que du progrès naturel de la société, et, avec 
le temps, n'étaient les règlements du gouvernement» 
let» lois de primogéniture, etc., etc.» elle absorberait 
entièrement les deux autres classes, et nous aurions 
dans le monde une démocratie d'êtres humains éclai- 
rés et bi(jQ pourvus. Laissons de côté cette classe 
nombreuse et dont le nombre s'accroît, nous trou- 
vons encore dans la société les descendants des 
propriétaires fonciers et les descendants des esclaves. 
Les premiers sont Taristocratie foncière, les seconds 
sont les trœmlleurs et les omriers numuela de la 
société. Nous savons que l'aristocratie a toujours 
tenu dans ses mains le pouvoir politique du pays et 
que les Statutes for labourers et autres lois ont tou- 
jours maintenu le salaire du travail presque au 
niveau 4u minimum de subsistance. Hall, d'une façon 
topique, demande, dans ses Voyages au Canada et en 
Amérique, si ce serait améliorer la condition d'un 
esclave de l'aHrauchir, tout en l'obligeant à se con- 
tenter, sous le nom d'homme libre, tant que le mono- 
pole du sol resterait aux maîtres, de la piu» petite 
mcbure de subsistance. £t, dans une autre partie de 
son travail, il répond à cette question en disant que, 
là où la plus grande partie de la collectivité est dans 
un état d'esclavage, ce qui est donné aux esclaves 
deviendra, si on les l'ait libres, la mesure du salaire 
de leur travail d hommes libres. Je tiens cette remar- 
que pour vraie, et que le salaire du travail, dans la 
société européimne d'aujourd'hui, doit être considérée 
comme la récompense donnée par les maîtres aux 
esclaves. Voilà trois faits très importants, liés les uns 
avec les autres, et relalii's à la somme aciuelleiiiciit 
payée sous le nom de rente : 1" le sol de TEurope a 
été autrefois cultivé par des esclaves, une grande 



Digitized by Google 



6o 



THOMAS HODG8KIN 



partie du produit de leur travail allant à ceux qui les 
employaient, aux propriétaires fonciers; 2^ ces classes 
dlioniines se sont toujours rencontrées dans la société 
earopéenneyCt 3» le salaire du travail est à présent et 
a toujours été en Europe déterminé par la rémunéra* 
tion antérieurement donnée aux esclaves. C'est un 
fait incontesté que la terre et, avec elle, tous les 
moyens de subsistance, ont été occupés et monopolisés 
par un petit nombre d'individus dans tous les États 
d'Ëurope. £t leurs descendants ou les personnes qui 
ont acheté leurs droits continuent, encore aujour- 
d'hui, à monopoliser la terre. — Us ont obligé les 
habitants de leurs districts à leur livrer une certaine 
portion de blé, qui, avec le temps, a fini par être 
commuée en argent et constitue à présent la sonmie 
qui se paie conmie rente. Que les rentes en argent ne 
soient qu'une commutation de services personnels, 
c'est ce que je tiens pour certain. Supposez qu'un 
homme lige, par une excessive parcimonie, ou bien 
eu llaltant les vices de son seigneur, reçoive de lui 
une portion de terre qu'il monopolise, il recevrait en 
vérité une partie du pouvoir de son seigneur sur le 
travail du reste des esclaves qui y demeuraient, sur 
l'espace qu'il avait reçu, ou bien son seigneur lui 
donnerait au moins sa liberté et le produit de son 
travail. Supposez qu'un homme, par le commerce, en 
voyageant, ou de toute autre manière, acquière un 
capital considérable et, à son retour dans son pays 
natal, se trouve en état d'acheter à un de ceux 
qui monopolisent le sol une partie de son domaine^ 
ne lui achèterait-il pas le pouvoir que ce monopole 
confère sur le travail de l'homme-lige qui habitait le 
domaine? Et si lui, n'ayant pas la conscience d'une 
naisaance noble^ ne pouvait posséder tout le pouvoir 



1 



Digitized by Google 



GBAPITRB PRBMIBR 6l 

qae ce fait donnait à son prédécesseur et déliait les 

hommes liges de l'obligation du service personnel, ne 
seraient-ils pas encore, tout le reste de la terre étant 
monopolisé, obligés de travailler pour lui à ses 
conditions ou de mourir de fidoi ? Ki si, par la suite, 
il louait une grande partie de sa terre, la somme à 
lui payée sous le nom de rente ne serait-elle pas en 
réalité le prix d'une part de son privilège d'extorquer 
une portion du travail des hommes-liges ? Supposez 
qu'un fermier écossais — la chose, en vérité, est 
arrivée — loue une certaine quantité de terre à un 
noble polonais ou russe, quelle que fût son ingénio- 
sité, il n'en pourrait, avec son propre travail, cultiver 
qu'une petite portion. Mais, en s'aidant du travail 
des paysans que le seigneur lui accorderait au taux 
de (j d. par jour et par léte, il pourrait cultiver toute 
une contrée, et la rente qu'il berait alors en état de 
payer serait bien plus en proportion du nombre 
d'hommes qu'il emploierait, comparé à leur produit 
absolu, que de l'étendue de la surface à laquelle 
s appliquerait son travail. Lt, soit en lui louant, soit 
en lui vendant ce ternloire, le noble ne lerait en 
vérité que lui vendre ou lui louer non pas le pouvoir 
originel et indestrmtibie du sol, mais son pouvoir 
sur le travail des esclaves qui rhabitaient. L'origine 
de la rente qui se paie actuellement est la suivante. 
Un petit nombre d'hommes lirent la conquête d'auLrus 
hommes et monopolisèrent tout le sol du pays. 
D'abord 'û& employèrent et nourrirent leurs esclaves, 
et s'approprièrent le produit de leur travail. Puis ils 
vendirent ou échangèrent ce pouvoir sur leurs 
esclaves à d'autres personnes, qui remirent aux 
esclaves l obligalion du service personnel, mais les 
contraigoirent encore à travailler aux conditions des 

s. 



Digitized by Google 



63 



THOMAS HODG8K1N 



propriétaires fonciers. C'est pour la portion de ce 
pouvoir sur une terre déjà appropriée que la rente se 
paie en Europe. Ou ne saurait ailirmer positivement, 
mais je sois disposé à croire qu'aucune espèce de 
rente n'eût jamais existé s'il n'y avait jamais eu 
d*e8clai^8. On ne peut tirer argument, contre celte 
hypothèse, de l'état de TAraérique du Nord, parce 
qu'un grand nombre de travailleurs de ce pays sont 
les descendants des esclaves d'Europe et sont presque 
aussi dépendants de ceux qui déjà possèdent le sol 
et le capital que s'ils vivaient en Europe. L'Améri- 
que, en fait» souffre» comme l'Europe, du vice de 
l'état primitif de la société dans ce dernier pays, 
aussi bien qu'elle bénéficie de ce que contenaient de 
bon ses connaissances et ses institutions. 

Si la description que nous donne Mr. Ricardo de 
l'origine de la rente est vraie, si jamais elle ne 
dépasse la différence entre le produit des bonnes et 
des mauvaises terres, alors la rente ne peut jamais 
relever le prix. Il a surmonté toutes les difficultés de 
cette partie du sujet par sa définition, peu libérale, 
je crois, du prix du travail. Adam Sinitli était beau- 
coup plus juste. Mr. Ricardo a trouvé le travail rému- 
néré dans notre société comme si le travailleur était 
un esclave, et a admis que telle était sa condition 
naturelle. Si l'origine que j'ai assignée à la rente est 
exacte, la rente relève le prix de toutes choses et 
entrave le progrès que nous pourrions effectuer en 
faisant passer la charrue sur des déserts, et sur 
d'autres terres à présent incultes, non seulement en 
raison de la somme qu'il faut payer aux propriétaires 
fonciers pour avoir la permission de mettre ces 
espaces déserts en culture, mais encore paixe qu'elle 
relève^ pour la personne qui pourrait les cultiver. 



Digitized by 



CHÀPITRB PRRMIBa 



63 



le prix de tout ce qu'il consomme, tandis que leur 
produit est envoie de se préi)ar(T à la consommation. 

Mr. Hicardo a cousidérabiement embrouillé celle 
partie de son sujet en supposant que les acheteurs, 
ou la société qui paie les prix» diffèrent des trois 
grandes classes, propriétaires fonciers, capitalistes 
et travailleurs, entre lesquelles il divise le produit dn 
sol. Toutes les considérations politiques et économi- 
ques nous obligent cependant à considérer la collec- 
tivité tout entière comme composée de ces trois 
classes, et, quoique Adam SnùXh ne soit pas resté 
uniformément fidèle à cette division, cependant tout 
ce qn*il dit de l'action de la rente et des profits sur la 
hausse des prix implique évidemment qu'il suppose 
la société composée de ces trois classes. En l'ail, lui 
etMr.Ricardo £onipa.yeriGprixréel naturel de toutes 
choses par le travail, et, par suite, il est évident que 
tout ce qui diminue la wdeur du travail, tout ce qui 
en rend une plus grande quantité nécessaire pour 
obtenir une égale quantité d'un objet quelconque en 
relève le prix. Tout prix se paie en travail. Or, la 
rente est une partie du produit du travail ; et, bien 
entendu, si le travailleur désire obtenir pour son 
usage personnel une quantité du produit égale à la 
quantité obtenue, qu'il a partagée avec le seigneur, 
il faut qu'il double, triple, il faut, actuellement, qu'il 
multiplie bien des fois son travail pour l'obtenir. 
Doue la rente relève le prix, de tout le montant delà 
rente. Le profit, étant pareillement une diminution, 
pour le travailleur, de la valeur de son produit, relève, 
pour le travailleur, le prix de toutes les choses dans 
lesquelles il entre. C'est en ce sens qu'Adam Smith 
dit de la rente et du profit qu'ils relèvent le prix, et, 
si Ton considère que le produit total est réparti entre 



Digitized by Google 



64 



THOMAS UODGSKIM 



ces deux élémentSy plus le salaire, ou encore entre 
les trois classes ci-dessus mentionnées» jamais vérité 
ne îai pins évidente. Il est parfaitement clair que 

la rente et le profit ne peuvent relever la quantité de 
travail nécessaire pour obtenir un produit de la natui'e, 
mais ils en relèvent le prix, pour le travailleur, de 
tout leur montant. C'est pourquoi, dans la mesure 
où la rente et le profit croissent, la rémunération da 
travail décroît graduellement , ou encore le prix 
auquel le travailleur doit acheter les produits décroît 
graduellement. De sorte que, partout où il y a des 
rentes élevées, et de grands capitaux sur lesquels de 
grands profits sont payés, le travailleur n'aura jamais 
plus delà quantité strictement nécessaire à la conser- 
vation de son existence. £t j'ai peur, mon bon ami, que 
nous devions vainement compter sur une am^oration 
permanente de la condition politique de la société 
tant que la partie industrieuse de cette société, ceux 
qui paient tous les prix naturels, ceux qui achètent 
tout à la nature avec leur peine, sont condanmés à 
une pauvreté et à une dégradation sans espoir, et. 
tant que le prix de toutes choses est, pour eux, si 
énormément haut qu'ils ne s'en peuvent procurer 
que la plus infime portion. La rente et le profit 
n'entrent pas dans le prix si la théorie de Mr. Ricardo 
sur l'origine de la rente est vraie et si l'on suppose 
que les acheteurs sont autres que les travailleurs, s'ils 
sont» par exemple, les capitalistes ouïes propriétaires 
fonciers. Mais ils entrent dans le prix et en constituent 
la plus grande partie, si Torigine que j'ai assignée à 
la rente est exacte, et si les acheteurs doivent être 
considérés comme des travailleurs, et non connue des 
capitalistes ou des propriétaires fonciers. Je tiens 
que ces deux manières de considérer les acheteurs» 



CHAPITRE PREMI^ 



65 



soit comme dislincta de cette classe, soit comme des 
travailleiirs, sont le fondement de la différence qui 
existe entre les opinions d'Adam Smith et de 

Mr. Ricardo sur la question de savoir si la rente tt 

les profits n'entrent pas dans le prix. Une autre 

source de cette diffcrence semble consister dans 

• 

labsence d'une distinction précise enXrele prix naturel 
et le valeur échangeable. Le prix naturel est mesuré 
par la quantité de travail nécessaire pour produire 
un objet. Sa valeur échangeable, ce qu'un autre 
est disposé ou obligé à donner, pour cet objet une 
fois produit, peut être ou n'être pas égal à la quantité 
de travail employée à sa production. Mr. Ricardo 
a commis, Je crois, une erreur en supposant ces 
deux choses égales. Elles ne le sont pas, ou bien le 
salaire du travail serait toujours égal au produit 
du travail. 11 faut, par exemple, une certaine por- 
tion de travail pour produire un qaarter de blé. 
Ce quarter de blé, cependant, quand il est produit et 
possédé par un homme qui est en même temps pro- 
priétaire fonder et fermier, s'échange à présent contre 
une quantité prodigieusement plus grande qu'il n'en 
coûte de le produire. 11 y a donc une grande difterence 
entre le prix naturel réel et la valeur échangeable, et 
c'est en ne faisant pas attention à cela qucMr.Ricardo 
a été, je crois, entraîné à de graves erreurs rela- 
tives àla décroissance du profit dans un état progressif 
de la société. 

J'ai déjà dit plus haut quelle était son opinion à 
ce sujet ; et vous verrez à quel point elle est dénuée 
de fondement si vous réiléchissez un instant au prix 
naturel réel du produit brut actuellement et à son 
prix nalurel réel il y a un ou deux siècles, c*est à-dire 
à la quantité de travail aujourd'hui et autrefois néces- 



Digitized by Google 



66 



THOMAS HODOBKUf 



saire pour obtenir de la nature un produit. Par 

des perfectionnements apportés à l'agriculture et aux 
machines, on ne saurait (ioiiler que moins de travail 
est requis [)our protluire des quanlilûs égaies de blé 
en Angleterre ou dans» un pays quelconque, mainte- 
nant soumis à la culture, qu'il n'en fallait il y a deux 
ou trois siècles* Ce n'est pas seulement dans la 
mesure où les machines et Tingéniosité ont été direc- 
tement appliquées à Tagriculture que le coût de pro- 
duction a été diminué, mais dans la mesure où ses 
applications ont, de mille mauières dillcrenlcs, dimi- 
nué le coût de production de tous ces instruments et 
de tous ces produits qui, ou bien aident la production, 
ou bien sont consommé par le travailleur pendant 
qu'il est employé à l'œuvre de production. C'est ainsi 
que les améliorations qui permettent aux hommes de 
fabriquer les charrues, les bas, les vêlements à meil- 
leur marché, ou d'amener les denrées alimentaires à 
meilleur marché d'un pays étranger, permettent aux 
hommes engagés dans le travail de production de 
produire à moins de frais, parce que ce qn^ils con- 
somment, pendant qu'ils produisent, coûte moins. 
Que tel est le vrai état de choses, c'est ce (juc prouve 
le fait que les travailleurs produclifs entretiennent à 
présent une armée de travailleurs improductifs de 
toute espèce, alors que, dans les périodes primitives 
de la société, chaque homme était obligé de travailler 
pour avoir de quoi vivre. En d'autres termes, une 
quantité de capital aujourd'hui employée à l'œuvre 
de production est restituée après avoir subi une 
multiplication beaucoup plus forte qu'une quantité 
égale de capital il y a plusieurs siècles ; ou encore, là 
oû le travail d*un sauvage produit à peine assez pour 
sa subsistance, le travail d'un paysan européen 



CHAPITRB PRBMIBR 



intelligent entretient an moins douze personnes. Le 
profit naturel du eapital ne peut signilier que la 
vaiear qui résulte de l'emploi du capital daDsTœuvre 
de production. £t, s'il est vrai qa'une valeur plus 
grande résulte du capital actuellement employé dans 
l'œuvre de production, ou encore que ce capital 
restitue une valeur plus grande qu'une quantité 
égaie de capital employée à la même œuvre il y a 
trois siècles, c'est donc que le profit naturel du 
capital a augmenté, et nous pouvons espérer qu'il 
continuera à augmenter. Je tiens pour un fait clair 
que le produit brut s'obtient maintenant dans notre 
pays à un prix naturel moindre, ou avec une dépense 
moindre de travail humain, qu'il ne s'obtient en 
Pologne ou qu'il ne s obtenait dans noire pays il y a 
quelques siècles ; sans quoi, où est ravantagc de ce 
que nous appelons des améliorations? Mais sa 
valeur échangeable, augmentée, comme je suis prêt 
à le prouver, de tout le montant de la rente et des 
protits, est, cependant, plus grande en Grande- 
Bretagne qu'en Pologne. Mr.Hicardo me semble avoir 
confondu, dans toutes ses spéculations, le prix 
naturel réel et la valeur échangeable. Le premier est 
exactement mesuré par la quantité de travail néces- 
saire pour obtenir delà nature un produit; le second, 
au contraire, c'est la quantité de travail augmentée 
du montant de la rente et des prolits. Le prix naturel 
réel d'un quarter de blé, c'est tout le travail, aussi 
bien celui de Thomme qui fabrique la charrue, ou la 
charrette, ou cultive le sol, que tout autre travail 
nécessaire à la production. Sa valeur échangeable, 
cependant, doit être assez grande pour payer les 
proiits de tous les capitalistes et toute la reiile 
sur Tun quelconque des objets employés, d'une 



Digitized by Google 



68 



THOMAS HOOGSfUN 



manière oa d'une autre, à la production. Si nous 
regardons le travail comme la mesure du prix naturel, 

nous voyons du coup dans quclks proportions 
l ingéniosilé augnienlanle et conlinueiieincnt augmen- 
tante de rhuiuanilé a diminué et diminue coutinuei- 
lement — en opposition directe à la tliéorie de 
Mr. Ricardo — le prix naturel de tous les objets. Le 
capital ne peut être considéré comme consistant en 
autre chose qu'en machines, aliments, etc., et, 
dans la mesure où le capital employé ou consommé 
pai' un homme ingénieux ou industrieux produit plus 
que le capital consommé ou employé par un ignorant 
ou un paresseux» le capital de Thabitant ingénieux 
et industrieux de l'Europe moderne doit lui revenir 
avec un accroissement plus grand que le capital de 
barbares ignorants et pai esseux. C'est pourquoi les 
prolits naturels du capital croissent constamment 
avec ringéniosité de notre espèce. Le travail et 
rtngéniosité de Thomme» beaucoup plus que les ^ 
pouvoirs du sol» sont ce qui produit la nourriture ; 
or, l'ingéniosité, certainement, et, je suis disposé aussi 
à le croire, l'industrie, augmentent avec le nombre 
croissant des hommes. Donc, à moins que l'on ne 
puisse iixer quelques limites à l'accroissement de 
nos connaissances et de notre ingéniosité, il est 
impossible de lindter les profits naturels du capital 
sur la production de la nourriture. 

J'ai conscience que les doctrines de Mr. Ricardo 
supposent qu'il n'existe pas de restrictions, mais il 
suppose que les rentes actuellement perçues, si ce 
n'est dans la mesure où elles sont accrues par nos 
restrictions à l'importation du blé, sont les rentes 
naturelles et justes. Bien entendu, la prohibition 
augmente les rentes, mais la soomie à laquelle elles 



Digitized by Google 



CHAPITRB PREMIER 69 

tomberaient s*il n*y avait ni prohibition, ni monopole 
d'ancnne espèce, serait encore assurément bien supé- 
rieure à la simple difTércnce qui existe entre le proiluil 
«les pires et des meilleurs sols en eullure. Il a coiiveiiu 
à Mr. Kicardu d'établir que le prix naturel du travail 
est ce qui évite au travailleur de mourir de faim (v* 
diap. V) ; que les profits du capital sont presque égaux 
dans tous les emplois, — ce qui est vrai — ; après 
quoi, il considère la rente comme la somme qui de- 
meure, une fois ks salaires du travailleur esclave et le 
proiit du capitaliste payés. C'est là la rente moderne, 
mais elle est un peu supérieure à la difiTérence du 
produit des terres bonnes et mauvaises. Je ne crois 
pas avoir jamais vu un livre plus vide de faits que 
celui de Mr. Ricardo, et qui, en même temps, ait exercé 
autant d action. Il me semble, à moi,qu il repose tout 
entier sur des délinitions arbitraires et des postulats 
étranges. Les deux premières phrases du livre (i) 
sont radicalement fausses. Les circonstances qui y 
sont décrites ont indubitablement une merveilleuse 
influence sur la quantité totale du produit, mais la 
manière dont le produit est distribué dépendra entiè- 
rement et exclusivement des règlements politiques, 
il n'y a pas de circonstances de sol, de capital, ni 
d'ingéniosité, qui feront que la distribution de la 
ric)iesse soit la même dans ceux des États-Unis 
d'Amérique où resdavage est inconnu, et dans notre 
empire de l'Inde. Sa déiinilion de la valeur est fausse. 
Le travail est la mesure du prix, et, quoique la valeur 



(I) Les deux premières phrases de la préface, visi- 
blement, od il est traité de la distribution nécessaire 
entre les trois dusses : propriétaires fonders, capita- 
listes, travailleurs. 



Digitized by Google 



THOMAS HOD08RIII 



échangeable ne puisse jamais être moins qu'égala 

au paiement du travailleur, elle peut être, et elle est 
supérieure à celle-ci à presque tous les degrés conceva 
bles. Selon sa propre définition, les powi^oirs i/ic/es^rucii- 
bles du sol, qui ne sont pas du travail» ont une valeur 
échangeable très considérable. Son explication de ia 
manière dont le capital fixe tend à abaisser le prix de 
tons les objets où il entre, est ce que je tiens pour 
la meilleure et seule bonne partie de son livre (i). 
11 ne peut nier que l'impôt relève le prixy et cepen- 
dant, selon sa définition, il ne le doit pas, car, pas plus 
que la rente ou la dlme, il n'augmente la quantité de 
travail nécessaire pour amener le produit brut au 
marché. Je puis avoir eu, en lisant son livre, des 
préjugés contre lui. Je crois en avoir eu. Mais j'ai 
beau tenir tout le compte qu'on voudra de mes pré- 
jugés, le livre me paraît toujours n'être fondé sur 
aucune espèce de faits, en contredire beaucoup et 
n'avoir pas beaucoup d'autre mérite que celui d'une 
déconcertante subtilité. 

Vous n'êtes pas d'accord avec Mr. Ricardo sur la 
valeur, mais je n'entends pas exactement ce que 
vous entendez par l'usage du capital (2). J'aimerais 
être éclairé là-dessus. Les profits n'accroissent pas 
le travail nécessaire pour amener un objet au mar- 
ché, mais ils en relèvent le prix pour le travailleur 
et la valeur échangeable pour toute personne qui 
n'est pas un capitaliste. Et l'on ne saurait douter que 
la quantité de capital existant dans la société et 
la manière dont il est distribué auront une influence 



(i) Principlea^ chap. I, scet. IV. 

(a) Allusion à une lettre de Place, que nous ne possé- 
dons pas. 



I 



CHAPITRB PRBMIBR Jl 

décisive sur la valeur échangeable. Je crois avec 
vous qu'il pourrait se produire des circonstances où 
on homme tirerait plus d'une bonne terre qu'un 
aatre d*ane mauvaise terre et bénéiicierait ainsi d'une 
reritey mais, quoique un tel état de clioses puisse 
avoir créé une race de propriétaires fonciers, Je 
prétends que ceux qui existent actuellement sont les 
héritiers d'un pouvoir exercé sur des esclaves et 
non les simples possesseurs d'un espace de terre 
plus fertile. £n consultant i'A/nertV/ue de Kobertson, 
J*y vois qu*une portion du produit des mines était 
réservée au roi : voilà la rente. Toutes les mines 
d'Europe et tous les métaux précieux furent, à Tori- 
gine, revendiqués par les souverains, et nul ne pou- 
vait les exploiter, ni ramasser de l'or, sans les payer. 
Une rente est donc payée sur tous les métaux pré- 
cieux. Si vous supposez que l'on découvre quelques 
mines plus productives ou quelque meilleur procédé 
d'exploitation d'une mine particulière, alors une 
seconde rente peut apparaître au bédéfice du pro- 
priétaire ou de l'exploitant. Les métaux tirés des 
mines continueront à payer la rente au roi, mais 
celui qui possède la mine la plus riche ou qui a 
découvert la méthode la plus aisée d'obtenir le 
métal — en supposant toujours la quantité totale 
seulement égale à la demande — aura aussi une 
rente, ou bien une somme restera dans sa possession, 
plus grande que celle qui est en la possession des 
exploitants des autres mines. Tel est précisément le 
cas pour les terres à blé et» plus simplement, pour 
tous les produits. Une rente, acquittée en blé ou en 
espèces, fut payée par le travailleur au seigneur 
pour toute la terre qui était susceptible d^ètre 
cultivée. Mais les avantages de situation, la fertilité 



Digitized by Google 



THOMAS HODGSKIN 



de la terre, de nouvelles inventions agricoles ajou- 
tèrent une seconde^ une troisième, et même une 
quatrième rente aux exigences primitives du sei- 
gneur. Cette nouvelle rente peut être juste et avoir 

eu sa source dans la nature môme du sol ; mais la 
première, qui est probablemcul la plus forte, est 
injuste et est probablement le résultat de Tesclavage. 

G*est ainsi que, malgré losteutation avec 
laquelle les disciples de Bentham se donnent 
pour des logiciens exacts , Hodgskin , le pre- 
mier, découvre rincohérence réelle de leur doc- 
trine. Tantôt, ils tiennent que lliarmonie des 
intérêts se réalise par Topératioii des lois de la 
nature; tantôt, ils voient, dans la réalisation de 
cette harmoaie, la tâche de la loi positive. Dans 
Téconomie poUtique des utilitaires, Uodgskiu 
retrouve, entre l'optimisme d'Adam Smith et le 
pessimisme de Ricardo^ la même contradic- 
tion : Ténergie même avec laquelle il croit, en 
économie politique , avec Adam Smith , à 
rexisteuce de lois naturelles, bienfaisantes et 
harmoniques, est le mobile qui le détermine à 
critiquer les prétendues lois naturelles de liicardo, 
du moment où il a vu en elles des causes de 
misère et de désharmonie. Pour Tinstant, il fait 
porter le principal eûbrt de sa ci*itique sur le 
rôle assigné par Ricardo à la terre dans la pi*o- 
duction de la richesse, sur la place accordée par 
lui à la rente foncière dans la distribution des 



kjiu^ jcl by Google 



CHAPITRE PREMIER ^3 

richesses. Sur le capital et le profit, il est moins 
net. Il semble croire à l'existence d'un (( profit 
naturel » ; il semble conclure, de l'accroissement 
de production du trayail» à l'accroissement de 
productivité du capital. Déjà, cependant, il con- 
sidère indistinctement la rente et le profit comme 
deux effets d'une même cause historique, de ce 
qu'on pourrait appeler, eu termes marxistes, la 
séparation du travailleur et des instruments de 
travail. Déjà, dans son « Voyage en Allemagne », 
il paraissait confondre, sous la dénomination de 
profit, les bénéfices du capitaliste et du proprié- 
taire foncier. Déjà, dans les lettres qu'il adressait 
d* Amsterdam à Francis Place, il avait commencé 
d'appliquer aux notions ricardiennes de capital et 
. de profit les mêmes procédés d'analyse qu'il appli- 
que, en i8ao, à la notion de rente différentielle. 

En attendant, la vie lui devient dip*e et le 
travail difiicile. Son livre ne lui rapporte pas un 
penrvy ; les Revues ne veulent pas de ses articles ; 
sa femme et lui ne trouvent plus d'élèves. Il songe 
à traduire des livres étrangers^ la Géographie de 
Malte-Brun, une Histoire de Prusse, une Histoire 
de la Hanse : mais il faudrait un éditeur. 11 songe 
à une place de bibliothécaire, mais il faudrait 
savoir le grec, Enfin, sa femme tombe malade (i), 

(I) Hodgftkiu à Place, 4Janv. iSaa. BrU. Afiw., 33.iâ3, 
f . ao3. 

H. - 3. 



Digitized by Google 



TUOMAft UODGSIUM 



et, pendant qu elle va se remettre à Deptford, 
chez le père de Uodgskin^ il reste seul à Edim- 
bourg, de plus en plus sombre et découragé. 
Voilà longtemps que, de Londres, Place lui 
prodigue les exhortations et les conseils, lui 
reproche trop de discrétion et de timidité. « Je 
sais un peu d'allemand. . . » lui écrit Hodgskin. 
l'ourquoi, réplique Place, vous déprécier ainsi ? 
Vous savez beaucoup d'allemand : tirez parti de 
vos connaissances. « Je mène une vie d'ermite... » 
écrit Hodgskin. £t c'est, réplique Place, ce qu'il 
ne faudrait pas : « Si j'étais votre maître, je vous 
ferais mener une vie de chien pour vous punir... 
Ëh 1 mon garçon, si j'avais vécu en ermite, je 
continuerais à coudre des culottes pour ouvriers, 
en mourant de faim dans un galetas, ou une cave» 
ou un workhouse. Mêlez- vous au monde tant que 
vous pourrez et apprenez-y chaque jour quelque 
chose » (i). Mais Hodgskin persiste à s'isoler 
dans le mépris universel de tous, des whigs 
comme des tories, des journalistes comme des 
parlementaires. C'est cependant le journalisme 
qui va lui loui'nir, à la ûn, un moyen d existence. 
Place lui suggère de venir à Londres essayer — 
sans doute au Morning Chronicle, dont le direc* 
tem^ Black est Tami de James Mill — du métier 
de reporter parlementaire. Hodgskin va s^exercer» 

(1) 8 sept. Brit. Mus. add. mss. 33.i53, f. 73. 



Digitized by 



GBAPITRB PRBMIfiR ^5 

en conséquence, à écouter, pour les rédiger ensuite 
sur ses notes, des sermons, des cours universi- 
taires (i). Il réussit, à son gré, assez mal, et se 
décourage encore ; d'ailleurs, il ne sait pas le 
latin : que deyiendra-t-il quand les orateurs feront 
des citations classiques ? Ses lettres à Place 
doTiennenty de jour en jour, plus désespérées et 
plus anxieuses. Il ne veut pas, il ne peut pas rester 
à Édimbourg; il craint, si on l'y laisse, de perdre 
« tout courage, toute faculté de faire effort (a) 
Mrs. Hodgskin écrit à Place, de Deptford, des 
lettres également inquiètes ; elle ^ peur pour le 
moral de son mari; elle ne peut endurer la vie qui 
lui est faite chez son beau-père (3). Enfin, par 
l'entremise de James Mill, Hodgskin obtient, au 
Morning Ghronicle, la place désirée. A la fin 
de 1812a ou au début de i82i3, il arrive à Londres ; 
il est tiré de la misère. 



(1) 128 mars 1822; Brit. Mus. add. mss. 33.i53, f. 204. 

(2) i5 avril i8aa; Brit. Mus. add. mss, 33.i53, f. ^07. 
(3J a et 19 mai; ibid,, il. 1109, aïo, an. 



<• 

Digitized by Google 



CHAPITRE U 
(iSaS-iSSa) 



Le Meghanics' Magazine. — Le Meghanics* 

Insïitute. — Labour defendkd againsï tiik 
GLAIM8 OF Capital (i8a5). — Popular Poli- 

TIGAL EcOxNOMY (lS'2'j). TilE NaïLRAL AND 

Artifigial Right OF Property gontrastsd 
(183a). 



Uiyitizea by ^OOglc 



En i894t 1® Parlement, par nne loi mémorable, 

accorde aux ouvriers anglais la liberté de coali- 
tion. Mais Hodgskin, qui assiste, en qualité de 
reporter^ à tous les débats des Communes, sait 
ce qu il faut penser du libéralisme parlementaire, 
en ces temps de réformes répétées (i) : le Parle- 
ment, chaque fois qu'il semble octroyer au peuple 
anglais une liberté de plus, ne fait que déguiser, 
sous un cérémonial pompeux, la nécessité où il se 
trouve de céder à la pression irrésistible de 
Topinion publique. Dans la discussion de la loi 
de 1824, ce sont les disciples de Bentham et de 
Ricardo qui assument la mission de traduire, sous 
une forme explicite, les aspirations, les exigences 
de Topinion ; mais eux-mêmes sont poussés par 
une masse ouvrière qui compte sur la nouvelle 
loi, sur les associations dont elle permettra la 
formation, pour éliminer les capitalistes et resti- 
tuer aux travailleurs, pris individuellement ou 
en corps, la jouissance de ce que leur travail a 
produit. Hodgskin, dès i8a3, sans se laisser 
absorber par son métier de journaliste, est au 



(i) ?iat. and art, r. of Prop.^ p. iio. 



Digitized by Google 



do 



THOMAS HODGSK1N 



nombre des plus actifs à éclairer, organiser, 

endoctriner l'agitation ouvrière. 

Dès les premiers mois de son séjour à Londres* 
il s'associe à un nommé Robertson, lui aussi 
récemment arrivé d^Édimbourg, homme de répu- 
tation suspecte^ mais intelligent et actif, pour 
fonder, à Tadresse des m ec/îfl/iic,^, des ouvriers de 
la grande industrie, une Revue hebdomadaire de 
vul^^arisation scientifique , la première en son 
genre : il s'agit de fournir au lecteur, tous les 
huit jours, <x des comptes-rendus de toutes les 
nouvelles découvertes, inventions et améliora- 
tions, avec illustrations ; — des explications 
de procédés secrets ; des recettes économiques ; 
des applications pratiques de la minéralogie et 
de la chimie ; des projets et des indications pour 
abréger le travail ; des rapports sm* Tétat des 
arts industriels en Angleterre et dans les autres 
pays; des biographies et, qiiel(]uefois, des por- 
traits d'ouvriers fameux». C'est le moment où 
le Parlement se prépare à abroger les règlements 
d'ancien régime qui, dans l'industrie de la soie, 
à Spitalôelds, fixent les salaires des ouvriers. 
Hodgskin, favorable à l'abrogation , ouvre une 
enquête à ce sujet dans le second numéro du 
Mechanies* Magazine, Son secret désir est de 
prouver aux tisserands mécontents de Spitalfields 
que leur condition économique, dans cette indus- 



Digitized by Google 



CUAPITUE DRUXlàMB 



81 



trie protégée , est plus mauvaise que dans les 
industries non protégées; le ^a^a^me invite donc 
ses amis à le renseigner sur le salaire moyen et la 
durée moyenne du travail quotidien, dans les 
diverses villes où ils habitent. Car il est évident 
que Touvrier anglais travaille trop : 

l:i raison pour laquelle il n'y a pas de travail 
pour la moitié de nos concitoyens, c'est que l'autre 
moitié travaille le double de ce qu'elle devrait. Les 
marchés du monde sont encombrés des produits de 
leur industrie. C'est une maxime chère aux écono- 
mistes politiques, que les produits créent toujours 
leur march<^ ; mais cette maxime se fonde sur l'hypo- 
thèse que personne ne produit si ce n'est avec 
l'intention de vendre ou de jouir : elle ne s'applique 
donc pas à nos travailleurs, qui sont obligés de 
produire, mais n*ont pas la permission de jouir. 
Leur condition est une condition de servitude égyp- 
tienne (i). 

Dans un second article, il prémunit les ouvriers 
qui demandent à la loi de les protéger, contre 
l'illusion législative. Dans le cas des soieries de 
Spitalfields, tout ce que les magistrats ont fait, 
c*est de rendre légal le prix courant du travail, 
prix singulièrement misérable : l'j shillings par 
semaine pour laou i4 heures de travail quotidien. 
D'ailleurs, 



(i) Mechanics* Magazine, 6 sept. iSaS. 



Digitized by Google 



8a 



THOMAS HODGSKUr 



les législatettrê ont toujours appartenu aux 

classes non laborieuses de la société, et il semble 
mauvais, en conséquence, pour le pauvre, de rece- 
voir une loi de ce genre lorsqu'elle émane d'eux. 
Les individos qui appartiennent à ces classes sont 
déjà trop puissants pour lui, et nne loi qui est, et 
sera tonjonrs, nons en avons la certitude, Vex pres- 
sion de leur volonté collective, ne fait qu'ajouter à 
leur pouvoir. Admettons même que rcfîet de la loi 
puisse être d'empêcher la chute des salaires ; s*il 
n'est pas dans l'intérêt du travailleur de travailler à 
un taux inférieur, il doit être déjà tombé dans une 
dégradation bien lamentable pour avoir besoin d'un 
règlement, qui, sanctionné par des peines que lui 
inflipre son maître, l'empêche de se taire du mal à 
lui-même (i). 

A la fin de .Tarticle , un troisième article 
est annoncé, qui continuera la discussion du 
problème. Mais Tarticle promis ne parait pas , 
car une nouvelle entreprise absorbe l'activité de 
Robertson et de Hodgskin. 

A Glasgow, des ouvriers se sont cotisés, et 
ont fondé une institution régulière, où ils paient 
des professeurs de science et de technique indus- 
trielle. A Édimbourg, à Liverpool, des œuvres 
analogues ont été constituées. Ce type d'établisse- 
ment, qui a prospéré dans le Nord de la Grande- 
Bretagne, ne serait-il pas possible de l'acclimater à 
Londres ? Ne saurait-on ajouter, à renseignement 

(I) Mechanies^ Magazine^ ^ octobre iSa3, 



Digitized by Google 



CHAPITRE DBUXlàMB 83 

par le journal , un enseignement oral par le 

cours ? adjoindre au Mechanics' Magazine un 
MeeharUcs' Instituts? Cest l'idée nouvelle de 
Robertson et de Hodgskîn. Le ii octobre, dans' 
le Magazine, Hodgskin se charge de l'appel au 
pnblie. Il faut que les oavriers anglais fassent, 
parleurs propres ressources, ce que l'État a déjà 
fait en France, en Autriche, pour Tinstruction 
technique des onyriers. 

Il en est de l'éducation d'un peuple libre comme 
de sa propriété : elle ne sera jamais bien adaptée à 
sa fin, que si on la remet entre ses mains. Lorsque le 
gouvernement intervient, il vise à rendre le peuple 
obéissant et docile, plutôt que sage et heureux. Il 
désire exercer un contrôle sur les pensées, et modeler 
jusqu'à l'intelliprence des sujets ; lui confier le pouvoir 
de faire ré<lucation du peuple, c'est le dernier terme 
de cette pratique néfaste, si longtemps ruineuse pour 
la société, qui permet à un seul individu, ou à un 
petit nond>re, de diriger et de contrôler la conduite 
de plusieurs millions d*hommes. Mieux vaudrait pour 
les hommes être privés d'éducation — j'entends 
d'éducation au sens étroit, cur la nature enseigne 
par elle-même bien des vérités importantes — que de 
recevoir leur éducation de leurs maîtres; Téducation, 
ainsi entendue, n'est plus que rentralnement du 
bétail que Ton rompt au joug, du chien de chasse 
que Ton dresse, è force de sévérité, à oublier la 
violence des impulsions de la nature et, au lieu de 
dévorer sa proie, à l'apporter au pied du maître* 



Digitized by Google 



84 THOMAS HOOGSKIN 

Il faut que les ouvriers de Londres procèdent 
comme les ouvriers de Glasgow, et fondent» à 
leurs firais, Finstitution nouTelle, où ils appren* 
dront tout ce qu'il est actuellement indispensable 
à un ouvrier de connaître <c en chimie, en méca- 
nique et dans la science de la production et de 
la distribution des richesses ». 

Le London Mechanies* Imiitaie se fonde; 
mais, pour assurer le succès de Tentreprise, Hodg- 
skin va s adresser à son ami et bienfaiteur Francis 
Place, l'universel organisateur. Place explique 
aussitôt à Hodgskin et Robertson rimpossibilité 
de fonder une institution solide avec de simples 
cotisations d'ouvriers ; il l'emporte sur leurs 
résistances, obtient d'eux qu'ils consentent à lancer 
une souscription, de concert avec tous les notables 
du parti radical. Mais Hodgskin et Robertson ne 
renoncent pas sans regret à leur idéal d*une insti- 
tution purement populaire. Sans doute aussi, ils 
comprennent que, pour chaque gros personnage 
qui vient soutenir l'institution, leur influence 
personnelle diminue d'autant. Une lutte opiniâtre 
s'engage entre eux et Francis Place, à partir du 
moment surtout où le docteur Birkbeck prête à 
intérêts une grosse somme pour la fondation de 
l'œuvre : l'entreprise ouvrière va-t-elle devenir, 
pour un capitaliste, une source de revenus? Place 
l'emporte. UdevaitTemporter, lui,rancien ouvrier 



Digitized by 



CHAPITRE DBCXIÂMB 



devenu patron, av^î son expérience de la vie, sa 
connaissance des hommes» son goût de l'oi^ni- 
sation méthodique et des comptes bien ordonnés, 
sur Robertson et Hodgskin, des écrivains, des 
journalistes, et les plus irréguliers des compta- 
bles. Secrétaires provisoires du Mechanics' Ins- 
titute^ ils ne sont pas élus, le i5 décembre i8a3, 
membres de la Commission administrative ; un 
secrétaire payé les remplace, et ï Instituiez dont 
ils sont les véritables inventeurs, échappe à leur 
contrôle (i), 

U faut, cependant^ que la brouille de Hodgskin 
avec les Benthamites n'ait pas été complète, si 
vraiment, comme le veut une tradition de famille, 
il accompagna Bentham, en qualité de secrétaire, 
lors de son voyage triomphal à Paris, en septem- 
bre i8a5. En tous cas, il ne rompt pas avec Je 
Mechanies* Instiiute, dont il a besoin pour la 
propagation de ses idées. Dès octobre iSti3, le but 
qu'il se proposait, c'était d'y organiser, à l'adresse 
de la classe populaire, renseignement de Téco- 
nomie politique. £n i8â4* lorsqu'on discute sur 
l'opportunité d'abroger les lois restrictives de la 
liberté de coalition, il est choqué par la faiblesse 
des arguments opposés par les ouvriers aux 

fil Pour toute cette afTiiire, voir lo ms. inédit de Place, 
Early history of the T.ondon Mechanics' Institution; 
Brit. Mus. add. mss. 27.823, f, 240 sqq : et Méchantes* 
Magmine^passim, en particulier m 199, 16 juin 1827. 



Digitized by Google 



86 



THOMAS HODGSKIN 



aliments des capitalistes. Pendant cpie les 
Ricardiens s'eiTorcent de démontrer que la liberté 
de coalition ne déterminera ni la baisse des 
profits, ni Témigration des capitaux, il ne se 
trouve personne pour dire que rélimination des 
profits et la transformation en salaires du produit 
intégral de l'industrie n*impUqueraient ni la ruine 
ni la diminution de l'industrie nationale. Piercy 
Ravenstone, en i8ai, avait essayé, dans un curieux 
opuscule, de mettre en évidence les illusions de 
Téconomie politique capitaliste (i) : Hqdgskin, 



(i) A few (fnnhts aft to the correctness of some opU 
nions ^enprnUr entertaîned on the subjects of Popii- 
Intion and PolUical Economj-, London» iSai, — Piercy 
Ravenstone vent démontrer qne c tontes les fois que le 
nombre d'hommes anirmente pins rapidement que les 
moyens de subsistance, la faute n'est pas à la Provi- 
dence, mais aux rèfiflements de la société » (n. 28). — Il 
définit, comme Hodeskin, le droit de propriété: «celui 
qui a tué Tours a visiblement droit à sa peau » (p. 197). 
11 explique comme Hodgskin la déformation sociale 
snbie par le droit naturel de propriété. A Vorisrine^ « la 
terre était considérée comme appartenant à celui qui Je 
premier, Tarnit rendue utile, dont l'industrie lui avait 
pour la première fois donné une valeur... — Sa posses- 
sion était considérée comme étant seulement la juste 
récompense de son industrie. Cette espèce de pro- 
priété est cependant très différente du droit artificiel.qui 
se développe avecleprocrrès de la société, en vertu duquel 
un homme est mis en état de s'approprier la possession 
de terres qu'il n'occupe pas et sur lesquelles il n'a jamais 
exercé d'industrie. Un droit qni lui permet de vivre dans 
l'abondance, sans travail, et d'exiger des autres une 
grande portion des fruits de leur industrie, contre la per- 
mission, octroyée ])ar lui, d'employer leur travail à rendre 
productives des terres sur lesquelles tous semblent avoir 
un même droit de propriété. — Cette prétention du pro- 
priétaire foncier est, en vérité, la base de toutes les for- 
mes de propriété, qu'on voit sq multiplier si rapidement 



Digitized by Google 



CBAPITRB DSUXIÉMB 87 



pour fortifier la cause ouvrière, reprend la thèse 
de Ravenstone, la complète et la corrige» dans une 



avec le développement de la civilisation. Sur elles se 

fondent les prétentions du maître-manufacturier, du com- 
merçant, du capitaliste » (pp. 198 sqq.). Dès lors, le travail 
cesse d'être libre; la rente et le proiit finissent par absor» 
ber presque tont le produit du travail : « le fonds pour 
l'entretien des oisifs est le surproduit fsurplua proancef 
du travail des industrieux » (p. a33). Suit une critique 
de la notion du capital, à laquelle Hodgskin a beaucoup 
emprunté : a Ce n est pas une affaire très aisée de se 
faire une idée de la nature du capital. Il est une sorte 
d'être tout à fait diflérent de ses confédérés. La rente et 
les impôts ont une existence ouverte et avouée. . . n n'en 
est pns ainsi du capital. Il n'a qu'une existence méta- 
physique. . . Ses trésors ne sont pas de la richesse réelle, 
mais seulement les représentations de la richesse. Ils 

Seuvent être accrus à un de^ré quelconque sans ajouter 
la richesse réelle de la nation. Le capital est comme 
l'éther subtil des anciens philosophes... 11 n'est pas 
moins utile à nos économistes que 1 éther ne l'était aux 
philosophes. Il sert à rendre compte de tout ce dont l'on 
ne peut rendre compte autrement... Il est la déité de 
leur idolfttrie, qu'ils ont dressée pour Tadorer dans les 
hauts lieux du Seigneur » (p. 2^). — Suit une théorie 
assez complexe du profit, prélevé par le marchand sur 
le travailleur. « La rente et le profit, la propriété et le 
capital, naissent également du surproduit (surplus pn - 
duce) du travail du cultivateur. L'un ne peut recevoir un 
accroissement contre nature sans devenir injurieux pour 
les prétentions de Vautre. La seule différence entre eux 
est que Tun participe directement, l'autre indirectement, 
aux bénéfices du travailleur productif. » (p. 3ii). Le 
capital n'est pas un facteur de la production, soit qu'on 
rassimile au stock du marchand — qui n'a pas besoin de 
marchand pour exister (p. 344) — ; ou aux machines — 
qui sont produites par du travail, et n'ont une existence 
écononiifîne que par une application de travail — ; ou 
à raecumulation des profits — « ici, nous voyons imuié- 
diatement c^ue le capital consiste dans un simple transfert 
de propriété » (p. 3^6). — Ce qui est à craindre, ce n'est 
pas l'émigration des capitaux, c'est l'émij^ration des 
travailleurs pauvres. — Dans un dernier chapitre, intitulé 
PoUlical conséquences of tlie distribution of property, 
Piercy Ravenstone voit dans la mauvaise distribution de 
la propriété la cause profonde du crime. 



ûiyitizea by ^OOglc 



88 



THOMAS HOD6SK1N 



« Défense do Travail contre les exigences du 
Capital» (i),que publieut, en iSaS, les éditeurs du 
Mechanics* Magazine, Ponr propager cette criti- 
que de la théorie rirardiciine de la prodnclioii, 
il compte sur les Mechanics* Institutes^ dont les 
membres 

ne se sonderont point des recherches cnrienses dn 

géologue ou des minutieuses classifications du bota- 
niste ; mais certainement ils tiendront à apprendre 
pourquoi eux seuls, entre toutes les classes, ont tou- 
jours été plongés dans la pauvreté et la détresse... 
Il n'y a pas de Sainte- Alliance qui puisse réprimer 
l'insurrection paisible par laquelle le savoir renver- 
sera tout ce qui n'est pas fondé sur la Justice et la 
vérité (2). 

En fait, nous le voyons hi<^ntôt rompre avec 
Robertson, quitter la rédaction du Mechanics* 
Magazine, et, par un singulier retour, devenir 
l'intime de Birkheck : ((Tami du docteur Birkbeck», 
«l'homme du docteur » (3), telles sont les expres- 
sions ironiques dont l'accablera désormais le. 
Méchantes' Magazine. A ÏInsUtute, il demande 
et obtient, en ifti5, la permission de faire un 
cours d'économie politicpie. Francis Place, tou- 
jours influent, proteste, et Texpérience n'est pas 

(i) Labour defended, etc. Pour le titre complet, vofr 
la BibUofcraphie, 

(9) Labour de/ended , p. 3i. 

(3) Meehanie^ Magazine, np 33i, 12 décembre 1839. 



Digitized by 



■ 



CHAPITRE DBUXlftm 89 

renonTelée : deux nouvelles sërïes de conférences 
traitent de philosophie de Thistoire et de psycho- 
logie (i). Mais les conférences de i8i5, déve- 
loppées et accentuées, deviennent, en 1827, le pre- 
mier volume d'une « Économie Politique Popu- 
laire » (2), c'est-à-dire non pas du tout vulgarisée, 
mise à la portée des intelligences populaires, 
mais conçue au point de vue des intérêts du 
peuple (3) : économie politique ouvrière^ pourrait- 
on dire aujourd'hui, ou prolétarienne* 



il) Place à Birkbeck. 11 juin 1825. Brii. Mus. add. 
mss. 27.823, f. 369. — Hodgskin fit une série de confé- 
rence vers septembre on oetobre 1896 (Meehanicê^ MajB^a- 
zine, 25 novembre 1826), et une antre, « on Mind », en 
janvier 1828 (Mechanics' Maeazine, 9 février 1828). Il fit 
en tout trois cours {Daily \pws, 27 oct. 1806), « on Poli' 
tical Economy^ on e^eneral Grammar and on the Pro- 
gresa of Society » (Daily News, janvier iSSg). 

(a) Popular Political Economy, four leetares deU 
vered ai the London Meehaniee' Institaiîon, by Thomas 

Hod^skin.forraerly lionorarv secretary to the Institution, 
London, 1827. Les Cfuatre conférences avaient pour titre 
(Pop. Fol. Ec., p. XVII): the influence of knowledjçe ; 
division of labour ; trade ; money and priées. Voici la 
table des chapitres dn livre : Introduction. Object and 
scope of political economy. Rook I. Natnral circnms- 
tances wh'ch influenoe the productive powerof labour. — 
Chap. I. Mental and hodilv Inboiir. Productive labour. — 
Ghap. II. Influence of observation and knowledge. — 
Chap. III. Natnral laws whioh reomlate the profçress of 
Society and knowledjçe. — Chap. IV. Influence of the divi- 
sion of labour. — Chap. V. Causes wHi^'h prive rise to, and 
limit, division of labour. — Chap. VI. Territorial division 
of labour. Limit to division of labour from thé nature 
of employments. — Chap. VIL Trade. — Chap. YIII. Money. 
— Ghap. IX. Priées.— Ghap. X. Eifects of the accnmu- 
latîon'of capital. 

(3) P. XIX. 



Digitized by Google 



90 



THOMAS ttODGSKIN 



Comme dans ses lettres à Place d'il y a sept ans, 
il demande le retour à Adam Smith. Il se refuse à 
incorporer, avec J.-B. Sa y et les écrivains pos- 
térieurs, la consommation au nombre des sujets 
dont traite Téconomie politique (i). Il critique 
la'conception nouvelle de la science économique, 
conçue comme une âciençe abstraite de la mesure 
dos valeurs. Il proteste même contre la dénomina- 
tion courante de la science : Adam Smith n'avait 
pas donné le nom d'économie politique à ses 
recherches sur la production et la distribution 
naturelle des richesses; il avait, tout au contraire, 
critiqué les systèmes existants d'économie poli- 
tique, « montrant, en fait, que la science qui pré- 
tendaity sous ce nom, ajouter à la richesse du 
peuple par l'organe du gouvernement, n^avait et 
ne pouvait avoir d'existence (2) ». Enfin, beaucoup 
plus nettement que l'école de Aicardo» Adam 
Smith, parmi « les circonstances qui influent sur 
le pouvoir productif du travail et déterminent la 
distribution de ses produits avait su distinguer 
lieux ordres de causes. D'abord, les circonstances 
naturelles f 

lois qui ne dépendent et ne dérivent pas du gou- 
vernement — telles que les passions et les facultés 

(i) Pop. Pol. Ec, p. 6. 

(^) P. 36 sqq. Ct. p. 3. — Cf. Economiste la décembre 
i846, x>. i6fla. 



Digitized by Google 



CHAriTBB DEUXIÈME 



91 



de rhomme» les lois de son existence animale et 
les relations qni existent entre loi et le monde exté- 
rieor (i). 

Elles ne sont pas rœuvre de Thomme qui 

doit seulement s'attacher à ne pas les violer, et 
peut y parvenir: car ces lois— dont la statistique 
nous prouve la fixité, qui « sont aussi perma- 
nentes et vériûables que n importe quelles autres 
lois du monde matériel » — peuvent être Tobjet 
d'une science. — En second lieu, les règlements 
sociaux, 

qui dépendent ou tirent leur origine des gouverne- 
ments, — telles ces lois permanentes qui approprient 
le sol d'un pays ou qui lui confèrent une Gonstilutiouy 
en établissant une diversité de rcmgs parmi ses habi- 
tants, aussi bien que les lois qui réglementent le 
commerce et les lois administratives (a). 

Mais 

il ne peut y avoir une science des règlements d'un 

gouvernement quelconque, ou de tous les gouverne- 
ments, car ces règlements varient sans loi assignable 
tant eux-mêmes que par rapport aux circonstances, 
toujours changeantes, du peuple pour lequel ils sont 
iSaits. 11 peut y avoir science des principes naturels 
sur lesquels les législateurs doivent régler leur con- 
duite, mais il ne peut pas y avoir une science de leurs 
décrets (3). 



(I) Pop. Pol, Ee., p. s3. 

(a) P. 23. 
I3j P. 36. 



Lnyitizeu by GoOglc 



92 



THOMAS HOOGSKIM 



Distinguer entre les lois naturelles et les règle- 
ments sociaux, ou, plus précisément, empêcher 
que Ton ne prenne soit pour des facteurs essen- 
tiels de la production, soit pour des formes natu- 
relles de la distribution, de simples formes acci- 
dentelles de la distribution : après Ricardo, la 
tàcbe reste encore à remplir., selon Hodgskin, 
en économie politique. 

Dans la terre, dans le capital, dans le travail, 
on est tenté de voir trois facteurs indépendants 
de la production. Est*ii vrai, d*abord,que la terre 
soit une cause de la richesse des nations? Dansla 
« Défense du Travail », Hodgskin invoque la 
théorie de la rente différentielle (si sévèrement 
critiquée par lui cinq ans plus tôt) pour se 
dispenser d'examiner la question de la terre (i) : 
cette théorie ne revient-elle pas à prouver, selon 
Tobservation de James Miil, que la rente foncière 
n'est pas un élément du coût de production? 
Pourtant, la théorie de la rente différentielle 
implique, elle-même, que la terre a une fertilité 
propre, que cette fertilité varie avec le climat, 
la situation géographique, la nature du sol ; elle 
implique que les facultés naturelles du sol avan- 
tagent les uns aux dépens des autres. Dans son 
« Économie Politique Populaire », Hodgskin 
8*efforce de réduire, autant qu'il peut, Timportance 

(I) JLab, def., p. 6. 



Digitized by 



GUAPITRB DEUXIÈME 

de ces avantages naturels. Ne Toyons-nous pas» 

sur un même sol, sous un même climat, une nation 
passer du dernier degré de misère au plus haut 
degré deprospérité, et Réciproquement ? Que Ton 
songe à riiistoire de l'Amérique du Nord et des 
empires d'Asie : sur la môme terre, le « pouvoir 
productif » des individus a subi de prodigieuses 
variations. D oii il i'aut conclure 

que nous pouvons tout de suite éliminer de nos 
recherches toutes les circonstances physiques et 
toutes les choses matérieiles qui, sans ôire Inhérentes 
à l'homme lui-môme et sans ôtre créées par le tra« 
vail, sont en général censées exercer la plus forte 
influence sur la prospérilc de l'espèce. Le climat et la 
situation, malgré leur iniluence apparente, exercent 
en réahté un si faible degré d'action, et leurs eilets 
particuliers dépendent de causes si peu connues de 
nous, qu'ils sont à présent inappréciables .... La 
terre ne rentre pas plus dans les limites de la science 

que la mer ou que Tair La fertilité du sol exerce 

sans doute une influence Mais cette influence est 

si insignifiante, comparée aux eû'ets du travail dirigé 
par le savoir, qu'on peut la négliger (i). 

Mais alors, si le travail est la seule cause delà 
valeur, comment expliquer que la terre ait, en 
fait, une valeur échangeable (p) ? Hodgskin ne 
peut élucider ce paradoxe apparent avant d'avoir, 

(1) Pop. PoL. Ec, pp. i5, i6, 19. 

(2) Pop. PoL ifcc, p. 4. 



Digitized by Google 



94 



THOMAS HODGSKIN 



sur mi second point, débarrassé la théorie de la 

production naturelle des éléments étrangers qui 
l'encombrent, et discuté , après le rôle de la terre, 
le rôle du capital dans la production de la richesse. 
De part et d'autre, Terreur de Téconomie politique 
vulgaire est la même : elle confond, avec Tordre 
social naturel, un état de civilisation qui est arti- 
ficiel et profondément troublé ; du fait que, dans 
la société actnelle, le propriétaire foncier tire de 
• sa terre une rente, et le capitaliste de son capital 
un profit» elle condnt que la rente est le produit 
naturel de la terre, et le profit le produit naturel 
du capital. 

Détournant les yeux de I'homme lui-même, en vue 
de justifier Tordre actuel de la société, fondé sur la 
propriété ou la possession, et sur Toppression actuelle 
du trayailleur, qui forme malheureusement une partie 
de ces possessions, —tons les effets glorieux [qui 
sont dus au travail] ont été... attribués au capital 
fixe et circulant; Thabileté et Tari du travailleur sont 
restés inaperçus, et on l'a avili pendant que Tœuvre 
de ses mains devenait Tobjet d'un culte (i). 

Piercy Rayenstone avait déjà voulu dissiper 
cette illusion, ce « fétichisme », comme dira 
Marx, et Hodgskin écrit à son tour : 

On est presque tenté de croire que le capital est 
une sorte de mot cabalistique, analogue aux mots 



(1) Lab. ef., p. 19. 



GBAPITRB OBUXIÂIIB 



d'Église et d État, et à tous ces termes généraux 
inventés par ceux qui tondent les autres hommes, 
afin de dissimuler la main qui les tond. C'est une 
sorte d'idole devant laquelle on invite les hommes 
à se prosterner, pendant que le prêtre rasé, derrière 
Fautel, profanant le Dieu qu'il prétend servir.,.., 
tend la main pour recevoir et s'approprier les 
oiirandes qu'il réclame au nom de la religion (i). 

La destruction de cette idole, la critique de 
cette illusion verbale, deux fois entreprise, dans 
la a Déi'ense du Travail » et dans T « Economie 
politique populaire », constitue la thèse fonda- 
mentale de la doctrine économique de Hodgskin. 

Les économistes, depuis Adam Smith, distin- 
guent le capital fixe et le capital circulant : Mac- 
Culloch, dans le Supplément de X « Encyclopédie 
Britannique », vient d'en «réviser la définition. Le 
capital circulant comprend « tous les aliments 
et autres objets applicables à la subsistance 
humaine »; le capital fixe comprend « tous les 
instruments, toutes les machines qui assistent 
ou peuvent assister la production ». Hodgskin 
accepte la double définition et prétend que le 
profit ne peut pas exprimer la productivité réelle 
de cette chose, qui serait le capital, fixe ou 
circulant. 

Le travailleur, pendant qu'il travaille, avant 
(I) Lab. àef,^ pp. 



Digitized by Google 



96 THOMAS HODGSKIN 

Fachèvement du produit, a besoin de subsister. 
Faut-il donc qu'il existe» d'abord, un capital cir- 
culant, somme de provisions accumulées à 
rayance, visibles et palpables, nécessaires à sa 
subsistance (i) ? C'est ainsi que les économistes 
sont portés à le considérer. Mais tout leur raison- 
nement se fonde sur ce postulat, inspiré par les 
analogies de la vie agricole, que « ce qui est 
annuellement produit est annuellement con- 
sommé » : alors, le produit de chaque récolte 
serait le capital sur lequel vivraient, pendant 
un an, les laboureurs, les semeurs, les moisson- 
neurs de la récolte suivante, et ainsi de suite 
à l'inlini. Or, tel n'est pas le cas. Beaucoup 
de cycles économiques sont plus rapides : si les 
cultivateurs achèvent en un an le produit de leur 
travail, ils vivent de pain au jour le jour ; et le 
boulangerne cuit le pain qu'au jour le jour, eseomp-' 
tant pour être remboursé de ses avances quoti- 
diennes, le produit annuel du travail du cultiva- 
teur. Inversement, il existe un grand nombre 
d'opérations économiques dont Tachèv^ent 
demande plus, et beaucoup plus, qu'une année : 
au travailleur qui se trouve engagé dans ces 
opérations, le producteur de blé et de vin avance 
le produit annuel de son travail, dans l'attente 
du jour où lui sera fait, en bloc, le paiement de 

(I) Lab. de/., p. 8 sqq. — Fop, PoL Bc, p. 947 sqq. 



Digitized by Google 



CHAPITRE DEUXIÈME 



97 



868 récoltes annuelles sur le produit d'un travail 

de productivité moins rapide. Le fait que le 
capilaliste doit, pour être prêt à payer ses 
ouvriers, accumuler une certaine quantité d'ar- 
gent monnayé, est de nature, peut-être, à fortifier 
Tiliusion; mais le salaire réel de rouvrier 
. consiste dans ce qu*il achète avec son argent, 
non dans 1 argent qu'il touche, et iïuYeution du 
papier-monnaie ne tend-elle pas à dissiper 
Tillusion que Texistence d'un capital argent 
avait fait naître ? 

Du jour où le possesseur d*un simple morceau de 
parchemin reçut un revenu annuel en morceaux de 

papier contre lesquels il obtint tout ce qui était 
nécessaire à son usage et à sa consommation; du 
jour où, en n'abandonnant pas tous les morceaux de 
papier, il se trouva plus riche & la fin de l'année 
qu'au commencement, ou se trouva des titres, Tan- 
née suivante, à recevoir un nombre encore plus 
grand de morceaux de papier, obtenant une faculté 
de commander une quantité plus grande encore du 
produit du travail; il devint démonstrativeraent 
évident que le capital n'était pas une chose épargnée 
et que le capitaliste individuel ne devenait pas riche 
par une épargne positive et matérielle» mais par une 
action qui lui permettait, conformément à un usage 
conventionnel, d'obtenir une plus grande portion du 
produit du travail des autres hommes (i). 



(I) Pop. Pol. Ec, p. ^48. 

3. 



Digitized by Google 



THOMAS UOOGSKIN 



Que Youions-nous dire, en somme» lorsque 
nous disons d'un homme qu'il possède un capital 
circulant? Simplement qu il possède le pouvoir 
de commander au travail de quelque autre 

homme. Quelle est d'ailleurs l'origine de ce 
pouvoir? Comment en a-t-ii pris conscience? 
Sans réflexion, par habitude. 

Comme nous attendons que le soleil se lèvera 
demain, de même nous attendons que les hommes, 

dans tous les temps à venir, obéiront à rimpulsion 
des mômes mobiles auxquels ils ont obéi dans le 
passé. Si nous poussons plus loin nos investigations, 
tout ce que nous pouvons apprendre, c'est qu'il 
existe d'autres hommes, occupés à préparer les 
choses dont nous avons besoin, pendant que nous 
préparons celles dont ils ont besoin. Peut-être cette 
conviction se laisse t-elle ramener, en dernière ana- 
lyse, au l'ait que nous savons que d'autres hommes 
existent et travaillent, jamais à une conviction ou à 
une connaissance, qu'il existe un stocii de marchan- 
dises accumulées (i). 

D'autres hommes travaillent pendant que je 

travaille : ee <( travail coexistant » (2) est la véri- 
table cause des eii'ets qu on attribuCi sous le nom 
de capital circulant, à une accumulation de 

matière. 

Keste le capital fixe (3) : outils, machines, 

(1) Lab. de/., p. 11. 

(2) Lab. dej.f pp. 8, 33. 

(3) Laà, def.f p. 14 sqq. ; Pop. Pol. Ec.^ p. ^44 ^qq* 



CHAPITRE DBUXIÈMB 99 



constructions, autant d'ingrédients nécessaires de 
la production» et dont la réalité matérielle semble 
indéniable. Hodgskin, dans son a Economie 
Politique Populaire », où il insiste principalement 
SUT cette seconde forme du capital, reconnaît 
que le capital iîxe fournit à la thèse capitaliste 
son plus solide argument. Mais il faut considérer 
deux choses. En premier lieu, ce capital est 
Vœuvre d'un travail antérieur. Comment, dès 
lors, considérer à la fois, sans absurdité, le capital 
comme un eûet et comme une cause du travail, 
comme le produit et comme la limite de Tindus- 
trie? Sans doute, Touvrier qui a fabriqué Toutil, 
la machine» la maison, mérite un salaire : mais 
rhypothèse est qu*il Ta déjà reçu et cpae le profit 
du capitaliste est exigé par le capitaliste en sus 
de ce salaire. Sans doute aussi, l'inventeur de 
rinstrument de ti^avail mérite une rémunération. 
Mais combien rarement Tobtient-il I et quelle dis- 
proportion entre le salaire effectivement touché 
par Tinventeur et les prolits réguliers et perpé- 
tuels du capital une fois créé ! — En second lieu, 
le capital iixe ne produit la valeur prélevée par 
le capitaliste à titre de profit que dans la mesure 
où il est utilisé par un travail actuel. Le profit, 
nous dit Tapologiste du capital, est la rémuné- 
ration de l'épargne : mais, si le capital fixe, une 
fois créé, reste entassé dans des magasins, il se 




ûiyitizea by ^OOglc 



lOO 



THOMAS UODGSKUf 



détroit lentement et» en attendant, ne rapporte 

rien : l'épargne u'est productive que si épargner 
signiiie avancer le capital — le prêter ou le donner 
— à un travaillenr qui Texploitera. Or, ce travail- 
leur mérite un salaire assui'ément : mais ce 
salaire ne constitue pas le profit du capital dont 
nous clierchons la justification. Une route cons- 
titue un capital fixe» et suppose, pour les répa- 
rationsy des airanoes répétées de capital circalant. 

Mais ni le cai)ilal circulant ni le capital lixe ne 
donnent de prolil aux fabricants de la roule s'il n'y a 
personne pour voyager sur la route, ou pour continuer 
à utiliser leur travail. La route i'acilite la marche du 
voyageur, et, dans la mesure exacte où les hommes 
voyagent sur elle, le travail qui a été employé à la 
roule (le vient pruduclil et utile. On comprend aiséiuent 
pourquoi ces deux espèces de travail doivent être 
payées, — pourquoi le conslr acteur de la route doit 
recevoir quelques-uns des avantages dont bénéftlcie 
seul le passant qui utilise la route ; mais Je ne com- 
prends pas pourquoi tous ces bénétices devraient aller 
a la l'oiile elle-nièiue et être appropries par une classe 
d hommes, qui ne le créent ni ne l'utilisent, sous le 
nom de prolil pour leur capital (i). 

Ne suilirait-il pas, d'ailleurs, pour comprendre 
coniLien sont lalbles les plaidoyers courants en 
laveur du capital, de constater que les deux 
formes de capital veulent être rémunérées au 

,1^ Lab, de/, pp« 

■» . 



Digitized by Google 



CHAPITRE DiEUXlÈMB 



lOI 



même taux, malgré la diflKrence des fonctions 
^*elle9 remplissent, 1 industrie productive d'une 
nation variant, selon la quantité du capital 

circulaut et la qualité du capital ILxe ? 

Dire qu'il y a dans les salaires et dans les instru- 
ments un même pouvoir produciit, parce que le capi- 
taliste obtient un proUt sur les uns et les autres, c*est, 
à mon sens, une sottise extraordinaire. Intentionnelle» 
elle mériterait notre réprobation la plus sévère, car sou 
elfet est de justilier l'approprialion par le capiialiste 
de cette grande part qui lui éclioit actuelieiuent sur 
le produit annuel. Elle assigne purement et simple- 
ment à sa propriété^ soit qu'il remploie à payer des 
salaires» soit qu'elle consiste en instruments utiles» 
tout ce vaste secours que prêtent au travail le savoir 
et l'adresse, réalisés sous iorme de machines (i). 

A sa propriété, c'est-à-dire au privilège qui 
lui est accordé, par les lois de la société à la- 
quelle il appai*tieiit, de prélever mie portion du 
produit du travail. De ce qu^il y a sépai*ation du 
profit et du salaire, de ce que les profits, ainsi 
prélevés, constituent euiin, par leur accumulation, 
un capital» comment conclure, sans absurdité» 
que le capital joue un rôle dans la production 
de la richesse ? La théorie de la distribution 
actuelle des richesses» considérée par les Ricar- 
diens comme naturelle» a besoin d'être révisée. 



» (I) Pop. Pol, Ec, pp. 249-250; cf. Lab, de/, pp. ly-ao. 



103 



THOMAS HODG8KIM 



Le prétenda salaire naturel des Ricardiens, 

Hodgskin le déiiuit^ comme en iS^o, la quantité 
de produits nécessaire à Tentretien d*un esclave. 
La nature, pour donner à I homme un objet donné , 
exige de lui une certaine quantité de travail : prix 
réel, ou naturel, de Tobjet. Le capitaliste, pour 
abandonner le même objet au travailleur, exige 
de lui, en sus de la quantité exigée par la nature » 
une quantité de travail encore plus grande. 

|Les travailleurs reçoivent seulement, et de tout 
temps ont seulement reçu, ce qui est nécessaire à 
leur subsistance; les propriétaires fonciers reçoivent 
le surproduit (mrplas prodaee) des terres les plus 
fertiles, et tout le reste du produit total du travail, 
dans ce pays-ci comme dans les autres, va au capi- 
taliste sous le nom de proiit pour l'emploi de son 
capital (i). 

Les exigences du capitalisme faussent les lois 

naturelles de la production, font du salaire une 
quantité fixe» quelle que soit la productivité du 
travail, et font, par suite, du profit une quantité 
indéfiniment croissante» puisque les Ricardiens 
ont raison de dire que le profit et le salaire 
varient eu raison inverse l'un de l'autre. Actuel- 
lement le travailleur achète six pence la miche 
de pain que la nature lui donnerait contre un 



(I) Lab. De/., p. 6, 



Digitized by 



CHAPITIIB DEUXIÈtlB lo3 

penny. Institues le libre-échange, il y anra hausse 

des protits, et voilà tout. 

Qu'il y ait ou dou des lois sur les blés, il faut que 
le capitaliste permette aux travailleurs de subsister, 
et» tant que ses exigences seront tenues pour légiti- 
mes et respectées, il ne leur en accordera pas davan- 
tage. Bref, le travailleur donnera toujours à peu près la 
même quantité de travail au capitaliste pour une 
miche de pain, que cette miche soit le produit d'une 
heure ou d'un jour de travail. Lorsqu'on sait la 
vaste intluence que les capitalistes exercent dans la 
société, on n'est pas surpris des anathèmes qui ont 
dernièrement été lancés contre les lois sur les blés, 
ni du silence qui a été observé sur leurs propres 
extorsions, plus iortcs et, pour le travailleur^ plus 
funestes (i). 

Il ne faut pas parler d'une loi naturelle de la 
baisse des profits. 11 n'y a pas de profit naturel : 
comment y aurait-il une loi naturelle des profits ? 
Ce qui est vx*ai, c'est que les ciûgeaces des capi- 
talistes sont indéfinies : on sait le calcul dePrice 
évaluant la somme fantastique que devrait rappor- 
ter, au bout de dix-huit siècles, un penny placé 
à 5 o/o le jour de la naissance du Christ. Ces 
prétentions, étant démesui'ées, doivent néces- 
sairement être tenues en échec par la nature : car 
il faut bien, enfin, que les capitalistes laissent 
vivre les travailleurs dont ils vivent. Cette limite 



(I) Lab, def.f p. aa. 



Digitized by Google 



104 



THOMAS HQDOSKIN 



imposée par la nature à raocnmnlatioii des profits, 
c'est ce que les capitalistes appellent la baisse des 
proûts. 

Il ne faut, en tout cas, imputer ni la misère 

des ouvriers, ni la prétendue baisse des profits, 
à Tenrichissement progressif et fatal des proprié- 
taires du sol. Les capitalistes mystifient le public 
lorsqu ils essaient de donner le change sur la 
situation respective des pi opriétaires fonciers et 
d'eux-mêmes. Les capitalistes sont les plus forts : 
après avoir prélevé sur les travailleurs tout ce 
qui, du produit de leur travail, n'est pas néces- 
saire à leur subsistance, ils égalisent entre eux 
les profits par l'abandon qu'ils font, aux proprié- 
taires du sol, des dift'érences de profit dues aux 
différences de fertilité du sol. Hodgskin revient 
donc à la définition de la rente proposée par 
Kicardo : ce qui n implique pas nécessairement 
une révolution de sa pensée, subie depuis i8ao. 
11 admettrait encore, comme en 1820, que le pro- 
priétaii*e foncier, lors de la première appropria- 
tion du sol, prélevait tout le surproduit à titre de 
rente : mais, dans la suite, avec le progrès de la 
richesse mobilièi'e, tout ce qui, du produit du 
travail, ne va pas au travailleur, tend à devenir 
profit, sauf ce résidu dill'érentiel, ce reste des 
dépouilles, qui constitue excellemment la défini- 
tion actuelle du lei'mage. Entre le propriétaire 



Digitized by Google 



I 



G0APITRB DEUXIÈME Io5 

foncier et le capitaliste^ il s est produit un ren- 
yersement des positions,non aperça par réconomie 
pulili(|ue de lUcai'do. A présent, coiume l'écrira 
Hodgskin quelques années plus taini, 

louie la richease de la société va d*abord aux mains 

du capitaliste, et mOine la plus grande partie du 
soi a été achetée par lui ; il paie au propriétaire 
Ibucier sa rente, au travailleur son salaire, au percep- 
teur de rimpôtet de la dlme ce qu'il réclame, et 
conserve pour lui-même une grande part, la plus 
grande en vérité, et continuellement augmentante, 
du produit annuel du travail. On peut dire aujour- 
d'hui du capitaliste qu'il est le premier possesseur 
de toute la richesse de la collectivité (i). 

Les capitalistes mystifient encore le public 
lorsqu'ils entretiennent une contusion entre le 
profit du capital et le salaire dû au travail de 
direction de i'industiie. Ce salaire lui-même, 
s'il est justifié» si les ouvriers manuels ont trop 
souvent le tort d'en méconnaître la légitimité, 
les capitalistes» de leur côté, Testiment à plus 
haut prix qu'il ne convient : car, d'une part, le 
travail mental et le travail manuel sont également 
nécessaires à la production, et, d'autre part, le 
travail manuel implique lui-même un élément 
mental 9 dont l'importance augmente avec le 

(I) iXat. and, arl, r. of Prop., p. yO. Cité par Marx, 
Kapitai, I, 3' éd., y. 715 ; trad. fr., p. 336. 



ûiyitizea by ^OOglc 



THOBfAS HODG9KUI 



progrès de l'industrie. U y a là comme un double 

préjugé, qui se dissipera par le progrès naturel 
des lumières ; c'est un préjugé qui 

rend et rendra longtemps difficile, même aux tra« 
vailleurSy de répartir avec Justice la récompense 
sociale, le salaire, de chaque travailleur individuel. 
Nul homme d*État ne peut venir à bout de cela, et 
les travailleurs ne doivent permellre à aucun homme 
d'État d'y intervenir. Le travail est à eux, le produit 
du travail doit être à eux, et eux seuls doivent décider 
combien chacun mérite de recevoir sur ce qui a été 
produit par tous (i). ^ 

Ce qu'il faut, c*est qpie, par les institutions 

dVnseignement populaire, les ouvriers travail- 
lent sans cesse à intellectualiser le travail ; qu'ils 
s'attachent à diminuer, comme il convient dans 
le siècle des machines, la distance qui sépare 
le travail physique du travail mental ; et puis 
que, groupés en Trade-Unions, ils réussissent à 
faire baisser les profits du patron jusqu^au point 
où ils représenteront le juste salaire de son 
travail de surveillant et de directeur. 

Les capitalistes, en résumé, mystifient le 
public lorsque, dans la misère, effet de Tappro- 
priation des profits, ils veulent faille voir Topé- 
ration normale des lois de la nature. Le nombre 
des hommes croit sans limite; la quantité de 

(I) Lab. dej., p. 96. 



Digitized by 



CHAPITKE DEUXIÈME IQ7 

terre disponible est limitée absolmnent; com- 
ment, dans ces conditions, la misère serait-elle 
évitabie ? Voilà le i'oud du pessimisme malthu- 
sien ; mais on sait qne Hodgskin tient pour une 
interprétation optimiste duprincipe de population. 

A mesure que le monde devient vieux et que les 
hommes croissent et multiplient, il y a une tendance 
constante, naturelle et nécessaire, à un accroissement 
de leur savoir et,par suite^de leur pouvoir productif ( i ) . 

La condition nécessaire et suilisante du progrès 
en richesse et en bonheur^ c*est la division du 
travail : elle ne peut avoir, quoi qu'en disent 
certains économistes, d'eil'ets immoraux ou dégra- 
dants. Uonvrier des champs, le seul peut-être 
qui^ à lui tout seul, achève un produit, est-il 
moins dégradé que Touvrier fabricant d'épingles ? 

La dépendance que l'on dénonce et que l'on déplore, 
c'est la dépendance de la pauvreté et de l'esclavage, et 

non la dépendance mutuelle qu'occasionne la division 
du travail... Ce n'est pas une partie, mais la totalité 
de la misère attribuée par biorck et par d'autres à lu 
division du travail, qui a pour cause des règlements 
vexatoires. Si je vois clair dans cette question com- 
pliquée, je dirais que la division du travail' est un 
admirable moyen pour chaque personne de connaître 
toutes choses ; tandis que, pour pouvoir subsister, 



(i) Pop. Pol. Ec, p. 95; Cf. pp. 125-12O: cité par Karl 
Marx, KapitaL 1. 1, 3* éd., p. 317 ; irad. Ir., p. i&3. 



Digitized by Google 



TBOMAS aoDOMcnr 



elle n'a besoin d'accomplir qu'une petite partie de la 
producUon sociale (i)« 

Mais quelles sont les causes de la division du 
travaii eUe-même? C'est d'abord la science et 
rinvention des machines : or, la science progresse 
à mesure que la population s'accroît sur un espace 
donné, et que les échanges d'idées se multiplient, 
en conséquence, entre les individus. C'est, 
ensuite, Tétendue du marché : mais ce qui fait 
retendue du marché, c'est le nombre des indi- 
vidus qui demandent le produit, — c'est, en 
d'autres termes, dans une société naturelle, le 
nombre des travailleurs. 

La marchandise produite par un travailleur... 
constitue, en réalité et en dernier ressort, le marché 
des mardiandises que produisent les autres travail- 
leurs; eux et les produits de leur travail Jouent les 
uns par rapport aux autres le rôle de marché. Mais 
toulcîï les maixhan dises, étant le produit du travail, 
doivent être abondantes dans la mesure où les tra> 
vailleurs se muliipheut^ ou encore dans la mesure 
où leur pouvoir productii' augmente. L'étendue du 
marché signiile, par conséquent, soit le nombre des 
travailleurs, soit leur pouvoir productif^ et plutôt 
ceci que cela, car les besoins de chacun sont limités ; 
. par suite, à moins d'un accroissement numérique de 



(I) l'op. Fol. Ec, pp. i38-i39. — Le passage pessimiste 
emprunté pai- Karl Marx {Kap. 1, 3* éd., pp. 3i9-32o; trad. 
l'r . p. 154,) au Labour Defended. x). 220, risque de tromper 
sur ia véritable pensée de Hodgskin. 



Digitized by Google 



CHAPITRE DBOXlftMB IO9 

la population, il n'y aurait ni raison ni moyen d'aug- 
menter la production. Si c'est là une interprétation 
exacte de la phrase a étendue du marché », nous 
faisons reculer à rinûiii cette limite à la division du 
travail. £lle est coextensive an nombre des tra- 
yaillenrs qni communiquent les uns avec les antres, 
et U nous est impossible de prévoir ou d'assigner à 
ce nombre une limite concevable (i). 

Si l'étendue du marché limite la division dtt 
travail, c'est dans une société où les riches sont 
les seuls demandeurs eilectifs des produits, où 
une distribution artificielle de la richesse dimi* 
nue la puissance d'achat des travailleurs, trop 
pauvres pour acheter les produits, tandis que les 
riches sont trop peu nombreux pour les absorber. 
Ën ce sens le capital, ou plus exactement le capi- 
talisme» limite lindustne. 

Écartes le cafràtaliste, l'Intermédiaire oppressif qni 
dévore le produit du travail et empêche le travailleur 

de connaître les lois naturelles d'où dépendent son 
existence et son bonheur, — éUrainez ces règlements 
sociaux en vertu desquels ceux qui produisent tout 
n'ont la permission de posséder que peu de chose, 
ou rien, —> et il est clair que le eagnial, on le pauçoir 
if employer du UwaU, et le Uwail eoexiêtant sont 
une seule et même chose ; que le capital productif et 
le travail pénétré d'itUelligence sont une seule et 
même chose ; en conséquence, que le capital et une 



U) Pop. PoL Ec, p. 116. 

H. -4« 



Digitized by Google 



IIO 



THOMAS HODGSKW 



population laborieuse sont deux termes rigoureuse- 
ment synonymes (i). 

I^a cause de la misère est donc artificielle, non 
naturelle. 

C'est raccunmlation du capital qui, dans l'état 
actuel de la société, entrave la production et, par 
conséquent, le progrès de la population, la division 
du travail, raccrolssement du savoir et delà richesse 

nationale (3). 

Bref, et pour résumer la théorie de la pro- 
duction chez Hodgskin, ni la terre ni le. capital 
ne sont des facteurs de la production, l a produc- 
tivité du travail est eu raison directe du nombre, 
de Tactivité et de l'intelligence des travailleurs : 
« toute richesse est produite par du travail ». 
Or, il semble bien que cette loi naturelle de la 
production implique une loi naturelle de la 
distribution des richesses. Tandis que la théorie 
économique, qui donne un rôle à la terre dans la 
production de la richesse, engendre Tesprit de 
conquête et d'usurpation, la loi naturelle de la 
production, est au contraire, nous dit Hodgskin, 

la seule base assurée sur laquelle le législateur 
puisse fonder un droit de propriété, — en admettant 
qu'il soit en aucune façon appelé à fonder ce qui 



(i) Lab. def.^ p. 33. 

(a) Pop. PoL Ee.^ p. ùÊfi 



Digitized by Google 



CHAPITRB DBUXIAmB III 



existe natnreUement — c'est die qui nous conduit à 

UDc iiistrlbutioii juste (i). 

Quelle est cette loi naturelle de la distribu- 
tion? Celle même que liicardo avait formulée : 

Des quantités différentes de travail sont naturelle^ 
ment nécessaires; on rencontre naturellement des 
degrés différents de difficulté à se procurer toutes les 
marchandises, et ces différentes quantités de travail, 

ces diirérents degrés de dilliculté établissent dans 
nos esprits une relation naturelle de valeur entre 
toutes les marcliandises. . relation qui peut varier, 
mais qui n'en existe pas moins, en tout temps , 
en tous lieux, indépendamment de toutes les lois 
humaines (a). 

Hodgskin ajoute seulement, meilleur logicien 
que les disciples de Kicardo : 

Le raisonnement serait taux, assurément, si je 
devais comprendre le travail, le créateur de toute 
richcbse, comme ils commettent la grave erreur de le 
faire, sous la rubrique de marchandises (3). 

Mais, comme les économistes orthodoxes, et 

contre ropiuiou de ceux qui, vers cette époque, 
en Angleterre, avec Atiwood par exemple, préco- 

(1) Pop. Pol. Ec, p. 20. 

(2) Pop. Pol. Kc, p. i8(>. 

(3) Ci'.Pop. Pol. Ec.^ p. i^i!) -. Le travail, mesure unique 
de la valeur.... créateur de toute ricliesse, n'est pas une 
marchandise (cité par Marx, Kap. 1, 3* éd., p. 499 • 

fr. p. 2"32). 



119 



THOMAS HOD08K11I 



Disent rinstitatioii d^iine monnaie symbolique, il 
tient rinvention et le choix de la tnonaaie métaili- 
qne ponr conforme aux lois de la nature et 
n'impliquant aucune injustice. Avec les écono- 
mistes orthodoxes et contre Robert O wen» il tient 
encore pour légitime le profit commercial. 

Même dans les établissements de Mr. Owen, oùles 
marchands au détail sont regardés comme un mal, et 
rejetés comme un fléau, il tant qu'il y ait quelqu'un 
pour s'occaper des aliments et des vêtements et les 
distribuer paroii les habitants de ses parallélogram- 
mes, entre les membres de ses communautés coopé- 
ratives. Les marchands au détail remplissent, 
pour la société en général, les mêmes fonctions que 
les « quartiers-maîtres » accomplissent pour les 
soldats et les « boursiers » pour les marins : il faut 
bien que ces fonctions soient accomplies par quel- 
qu^on pour les élèves de Mr. Owen. Ils ne sont dési- 
gnés pour ce poste que par la nature, mais sont tout, 
aussi utiles que s'ils agissaient sous la direction de 
Mr. Owen ou par commission royale (i). 

Sans doute les commissaires du système d'Owen 
reçoivent un traitement, alors que les marchands 

prélèvent un proiit ; mais 

s'ils étaient payés par un traitement ou des salcdres. 
quel intérêt pourraientrils avoir à prendre soin du 
stock coUectii ? 



(i) Pop. PoLMCf pp. lôo-iôi. 



Digitized by 



CaUFlTRB DEUXIÈME 



Aussi bien, les denx disciples de Ricardo, 
James Mil! et MacCoUoeh, au même instant 
que Hodgskin, ne viennent-ils pas d'essayer 
de résoudre le capital en travail ? Le profit, 
disent-ils, est un élément de la valeur; donc 
il représente un travail, il est le salaire d'un 
travail ; donc il est juste. « Le profit, réplique 
Hodgskin, est une partie de la valeur, soustraite 
par le capitaliste au producteur de la valeur ; 
donc cette partie de la valeur, qui deviendra le 
profit, ne le deviendra qu'en cessant d'être le 
salaire d'un travail ; donc le profit est injuste. 
— U faut distinguer, répliquent MacCulloch et 
James Mill, entre les deux formes du travail, 
immédiat et accumulé : le profit est le salaire du 
travail accumulé. — Mais alors, réplique Hodg- 
skin & son tour, s'il faut définir le capital comme 
travail accumulé, le capital n'est donc pas une 
masse matérielle, un stock entassé dans un maga- 
sin : il consiste dans cette dextérité acquise, dans 
cette science infuse dont le skilled labour est 
pénétré ; de toutes les opérations productives, la 
plus importante est assurément l'éducation de la 
jeunesse, renseignement des arts de la produc- 
tion ; et, ajoute Hodgskin, 

si je suis particulièrement désireux d'atUrer VêlU 

tention du lecteur sur cette opération productive, 
c'est que... tous les effets généralement attribués* 



Uiyitizea by ^OOglc 



THOMAS HODOSKOf 



au capital circulant dérivent de l'accumulation et de 
r appr(nHsionnement du <r skilled labour » et que 
cette très-importante opération s'accomplit, en ce 
qui concerne la grande masse des travailleurs^ sans 
aucun capital circulant (i). 

Ainsi» même quand ils yealent justifier le profit, 

les Ricardiens admettent plus ou moins confusé- 
ment que» toute valeur étant produite par du 
travail, tout revenu est naturellement la récoip- 
pense d'un travail. C'est le fondement commun 
à leurs spéculations et à celles de Hodgskin : 
celui-ci est, en somme, aussi rapproché de Ricardo 
qu*iL est rapproché de Malthus, et, comme sa 
philosophie de Thistoire est une sorte de mal- 
thusianisme optimiste, de même son économie 
politique constitue un ricardianisme égalitaire. 

Cependant, si la loi naturelle de la production 
conduit à la loi naturelle de la distribution, les 
deux lois n'en sont pas moins distinctes ; et 
Hodgskin ne se contente pas, comme y avait trop 
souvent été portée Técole d'Adam Smith, de tenir 
la loi naturelle de la distribution, définition de 
la justice, pour une proposition évidente, qui se 
passe de démonstratioii. 

Quand nous aurons déddé si le capital a droit à 

(i) Lab. de/.f p. i3. Cf. Pop. PoL Ec, p. laS: Le tra- 
vail ïacile est de Thabileté transmise (cité par Marx, 
Kap,, livre I, p. 3o3. — Trad. ir., p. 14S}. 



Digitized by Google 



CHAPITRE DEUXIÈME 



Ii5 



ce qu'il réclame du travail, nous n'aurons fait qu'un 
pas vers la solution du problème des salaires légi- 
times in travail. Les autres parties de mon enquête 
seront, ]'en ai Pespoir, abordées par un de mes 

compagnons de travail (i).... 

et William Thompson, en i8q4» dans son Labour 
rewarded^ qui parait précédé d'une épigraphe 
empruntée à Hodgskin, essaie de remi)Iir le 
programme tracé par celui-ci. Dans son « Econo- 
mie Politique Populaire », Hodgskin avertit 
encore le lecteur qull ne traitera pas de la sécu- 
rité de la propriété. 

Elle est un objet à atteindre par des règlements 
sodaux, quoique la propriété elle-même, ou lè droit 
d'un homme au libre emploi de son esprit et de ses 
membres et à l'appropriation de tout ce qu'il crée 
par son propre travail, soit Tœuvre des lois natu- 
relles, et je n'en dirai pas un mot : car il est néces- 
saire, avant de discuter les effets de la sécurité de la 
propriété, d'avoir une définition rigoureuse du droit de 
propriété et de bien s*accorder sur ce qui le tonde (2), 

Hodgskin se trouve ainsi ramené par ses 
spéculations économiques, simple incident dans 
l'histoire de sa pensée, au problème fondamental 
qui, depuis plus de quinze ans, le préoccupe : il 
reprend ses recherches de philosophie du droit, 

(i) l.nb, de/,, p. 5. 

(a) Pop, PoL Ec, p. a:W, 



Digitized by Google 



Ii6 



THOMAS HODGSlUN 



sur l'essence du droit naturel et le rapport dn 

droit naturel au droit positif. En 1829, lorsque 
Broogham, en demandant la réforme de Torganisa- 
tion judiciaire, se fait au Parlement Tinterprèle 
de la philosophie de Bentham, Hodgskin lui 
répond par une série de lettres ouvertes, qui 
contiennent, avec une critique de la théorie 
benthamique du droite sa propre théorie du droit 
naturel. Il ne les fait pas paraître tout de suite ; 
mais, deux ans plus tard, la « Société pour la 
diiTusion des connaissances utiles » consacre 
une de ses brochures de vulgarisation écono- 
mique à réfuter les « dangereuses » théories du 
Labour defendedet ànPopularPoliiicalEconomy. 
La brochure est de Charles Knight : Hodgskin 
l'attribue à Brougham, le directeur de la Société, 
rhomme dont il déteste Tinfluence au Meehanies* 
Institute. Il écrit une dernière lettre ouverte à lord 
Brougham, chancelier d'Angleterre, et la publie 
avec les autres, pour établir, comme dit le titre, 
« le contraste entre le droit artificiel et le droit 
naturel de propriété (i) », pour formuler, en face 

(i) The naturaL and artlficixil right of properly co/i- 
troBted, ABcnes of letters, addressed witnout permission, 
to H. Brougham, esq. M. P. F. R. S. (now the lord chan- 
cellor) Bv the author of « Labour defended against the 
claims of Capital »; London, 1832. - Lettre L Introductory. 
— Letter II. The natural right of property illustrated. — 
Letter lU. The légal right of property. — Letter IV On 
the right of property in land — Letter Y. The légal right 
of property is undergoing snbyersion by the nAi- 



Digitized by 



GHAPITRB DBUXtàMB 11^ 

de la doctrine de Bentham et de James Mill, au 
moment même où, dans la Réforme de iSSq, les 
radicaux orthodoxes voient iin triomphe de leur 
propagande, la philosophie originale du droit 
sur laquelle il fonde son radicalisme hétérodoxe 
et anarchiste. 

Toute théorie sociale repose sur une base 
philosophique; et la vraie philosophie, selon 
Hodgskin, c*est ce réalisme dont les penseurs 
anglais, depuis le xvii'' siècle, entretiennent la 
tradition. 

il me parait que les principes directeurs de la phi- 
losophie de lopfl Bacon et de Locke principes 

selon lesquels « Thomme est le simple interprèle de 
la Nature », et « toute notre connaissance du monde 
extérieur nous vient par l'intermédiaire des sens, » ou 
encore « est une copie de ce monde»; — U me paraît, 
dis-je, que ces principes, bien qu'ils aient été négligés 
par les écrivains qui ont traité de la législation et 
du progrès de la civilisation, jettent une lumière vive 
et régulière sur un grand nombre de phénomènes 
sociaux. Les déductions que nous pouvons tirer de 

ces prmcipes prouvent que le législateur n'a pu 

créer et établir, ni même modifier, en quelque mesure, 
un droit de propriété. Gomme le philosophe, il est 



ral ri^lit of property. — Lettre VI. The law-maker does 
net establisQ rights : be only copies usages. — Lettre VU. 
Real guarantee of the right of property, — Lettre VllL 
Bvils of the artiflcial nghi uf property. — Postseript To 
lord Brougham and Vaux, loiNd high chancellor of 
Bngland. 



Digitized by Google 



ii8 



THOMAS HODGSKJLN 



au mieux un interprète incorrect de la nature . . . 
Me conformant strictement anx grands principes 
enseignés par Bacon et Locke» J'affirmeqne les auteurs 
des lois n'ont fait que mettre le sceau de leur auto- 
rité aux droits établis ou aux injustices pratiquées 
par l'humanité (i). 

Cette idée maîtresse de la philosophie de 
Bacon et de Locke a déjà été appliqaée par les 

économistes à rinterprétation des phénomènes 
sociaux, et Dugald Stewart, le professeur et 
Tami de Brougham, avait lui-même, avec beau- 
coup de précision, donné pour tâche à Thomme 
d'État de découvrir « quelle forme de société est 
parfaitement agréable à la nature et à la justice)»» 
et « quelle est la transformation de Tordre social 
vers laquelle les affaires humaines tendent spon- 
tanément (a)». Ces vérités, dont on a reconnu la 
fécondité, non seulement en philosophie, mais 
encore en économie politique, pourquoi faut- il 
donc qu'elles soient encore méconnues des légis- 
lateurs parlementaires? Pourquoi faut-il qu'au 
lieu de reconnaître Texistence d'un droit naturel, 
indépendant de leurs décrets, ils n'abolissent 
certaines lois que pour en établir de nouvelles? 
Pourquoi faut-il que Bentham et ses fidèles, 
parmi lesquels Brougham lui-même, ftivoriseiit 

(1) Xat. et art, r, of Prop., p. io6. 

(2) p. 4. 



Oigitizeci by 



CHAPITHB OKUXlàMB IIQ 



Fillusion législative, et ne condamnent les lois 

existantes que pour leur substituer tout un code 
nouveau, conforme à leur système ? 

Considérons en particnlier le droit de pro- 
priété, dont Hogdskin vient de constater 1 impor- 
tance en économie politique, et qui, selon sa 
constitution légale, modifie si profondément la 
distribution des richesses (i). « Les pliilosoph.es 
de Westminster » (a), ceux qui légifèrent an Par- 
lement et suivent les leçons de Bentham, veulent 
que le gouvernement crée le droit de propriété. 
Bentham, dans les « Traités de Législation », 
James Mill, dans 1' « Essai sur le Gouverne- 
ment », se refusent à admettre qull existe des 
droits naturels; avant l'existence des lois, il 
pouvait être utile, nous disent-ils, et paraître 
désirable qu il existât des droits : mais c'est la 
loi qui conféra plus tard à ces droits l'existence 
actuelle. Uodgskin condamne catégoriquement 
cette manière d'entendre l'idée de loi. 

Messieurs Bentham et Mill, tous deux avides 
d'exercer le pouvoir de la léj^islation, le représentent 
comme une diviait*' hienlaisaale, qui subjugue nos 
passions et nos inclinations naturellement mauvaises 
(ils adoptent la doctrine des prêtres, suivant qui les 
inclinations et les passions des hommes sont naturel- 

(I) P. 12. 

ra pp. 16-21. 



Digitized by Google 



120 



THOMAS UODGSKIN 



lement mauvaises), — qui lient Fainbition en échec, 
veille à Texécation de la justice et encourage la vertu. 
Délicieuses caractéristiques t dont le seul défaut est 
d'être contredites par chaque page de Thistoire... 
Si le principe est vrai dans un cas, il doit l'être uni- 
versellement ; et, selon ce principe, les parents n*ont 
pas le droit d'être aimés et respectés par leurs 
enfants, les nonveau^nés n'ont pas le droit de se 
nourrir au sein de leurs mères, avant que le législa- 
teur, — voyant, calculant à l'avance les bénéfices 
immenses qu'il y a pour l'espèce humaine à établir 

la longue liste des droits et des devoirs les 

eût établis par ses décrets. ... A moi , le système 
semble aussi pernicieux qu'il est absurde. Les doc- 
trines ne s'en accordent que trop bien avec la 
pratique des législateurs . . . Elles élèvent la législation 
au-dessus de nos prises et la mettent à Fabri de la 
censure. L'homme, naturellement dénué de droits, 
peut être soumis à des expériences, emprisonné, 
expatrié, ou môme exterminé, comme il plaît au 
législateur. . . La doctrine du droit divin des rois, 
ches FUmer, était bienveillante et raisonnable à 
côté de cette assertion monstrueuse que « tout droit 
est factice et existe par la volonté seule du légis* 
lateur o (i). 

La philosophie de Locke était bien diffé- 
rente (2). Suivant Locke, l'esprit est le reflet des 
choses ; la loi, œuvre de Tesprit, peut donc bien 
eoregistrer l'existence d'un droit naturel : elle 

(i) pp. 19, ao, au 
(a) P. 6i. 



Digitized by 



CHAPITRE DBUXIÈBIB 



ne saurait en anenne façon être considérée comme 

donnant naissance an droit. La nature donne à 
chaque homme le pouvoir de travailler; elle donne 
à chaque travail sa rémunération ; elle crée ainsi 
le droit — naturel, non légal — de propriété. 

C'est la nature, non le législateur, qui crée 
l'homme avec ses besoins et associe à ceux-ci le 
pouvoir de les satisfaire. Le sentiment désagréable 
de la faim peut, avec justesse, être appelé un ordre ou 
un conseil de travailler. La nature donne en outre à 
chaque individu le produit de son travail ; et les dons 
séparés qu'elle fait ainsi — le poisson, par exemple, 
qu'elle donne à celui qui jette Thameçon et surveille 
la ligne — ne peuvent davantage être con fondas avec 
ceux qu'elle donne à un autre^ que les besoins dis- 
tincts et séparés qu'ils sont faits pour gratifier (i). 

La psychologie nous montre comment nous 

prenons d'abord, naturellement, conscience de 
notre individualité physique, qui constitue notre 
première propriété ; puis comment « nous sommes 
. portés à étendre ces idées, de nos mains et de nos 
autres membres, aux choses que les mains sai- 
sissent, façonnent et créent, ou que les jambes 
poursuivent et atteignent )», et aux conséquences 
immatérielles de nos actes : car, « en fait, les 
objets matériels ne sont recherches que pour le 
plaisir immatériel qu'ils confèrent (a) )». £t si 

(I) P. «7. 
«a) P^aQ. 



Digitized by Google 



122 



THOMAS HODGSKIN 



Dieu, ou la nature («j'emploie, uous dit Ilodgskin, 
ces deux termes comme synonymes ») (i) a fondé 
sur cette base le droit de propriété, il a fourni du 
môme coup à l'homme les moyens nécessaires 
à le défendre. D*ane part, «la même force, la 
même adresse, qui permet à un homme de pren- 
dre plus de gibier on de poisson, et de créer 
plus de richesse que son voisin moins habile 
ou plus faible, lui permettra de défendi^e ce 
qull aura acquis (a) ». D*autre part, «les hom- 
mes ont été créés pratiquement égaux en facultés 
et en intelligence» (3), de sorte qull sera toujours 
plus difficile à un homme de prendre de force 
à un autre ce que celui-ci a déjà produit que 
de produire cet objet pour son propre usage. 

Les nouvelles découvertes de l'économie poli- 
tique ont fortifié la thèse de Locke. On a reconnu 
rimportance que présente, dans Thistoire de la 
civilisation, Taccroissement numérique de la 
population : or, cet accroissement produit, entre 
autres effbts, selon Hodgskin, celui de fortifier 
sans cesse le respect du droit naturel de propriété, 
à mesure que, Taspect de la société se modifiant, 
ce droit naturel lui-même varie. 



(I) P. 3o. 
(a) PP. 3o-3i. 
(3) P. 3o. 



Oigitized by 



■ 

CHAPITRB DBUXIAmB Xa3 

A mesure que rbamaiiité se multiplie, rinflaence 
morale de la masse sur les individus est augmentée, 
et chacun, sentant llmpossibilité de résister au grand 

nombre, se soumet humblement à la voix générale 
et se sent par suite enclin à respecter le droit de 
propriété^ qui est reconnu par tous (i). 

La théorie de Locke rendait difficile de justi<« 

fier la propriété du sol ; mais il a été démontré 

qu*il n'y a d'autre richesse dans le monde que celle 
qui est créée par le travail, et continuellement renou- 
velée par lui. Ce principe, universellement reconnu 
aujourdliui, fait apparaître le droit de propriété 
comme plus absolu et plus défini qu*îl n'était dans la 
conception de Locke, parce que le droit de possé- 
der le sol est seulement en fait le droit de posséder 
ce que produit le travail, agricole ou autre (a). 

On pouvait se demander enfin si la loi 

continuait à se vérifier dans une société civilisée, 
où nul individu peut-être n'achève à lui tout seul 
la fabrication d*nn objet. Mais il apparaît qu'elle 

reste vraie si Ton considère 

que les parts respectives de deux personnes occu- 
pées à produire un objet, tel que, par exemple, du 
coton, sont fixées entre elles par voie de contrat on de 
marchandage, le tisserand achetant le fil au filenr, 
comme le fileur achète la matière brute au marchand 



fi) P. 4o. 
(a)ÎP. 35. 



Digitized by Google 



THOMAS HODGSKIN 



de coton en gros. Si on soulève la question de 
savoir quelle est la part de deux ou plusieurs 
ouvriers occupés au même ouvrage, et quels sont 
respectivement leurs salaires, je répondrai que cela 

aussi est arrangé par les intéressés eux-mêmes, et 
n*est maintenant en aucun cas l'objet d'une décision 
législative (i). 

Hodgskin déclare expressément quil repousse 
le eonunnnisme de Robert Owen, des Saint- 
Simoniens, des Moraves; il le tient pour contraire 
à rexpérience, condamné par la nature elle-même. 
S'il critique le droit de propriété tel qu'il est 
aujourd'hui constitué, ce n'est que pour mieux 
défendre la propriété naturelle. 

L'emploi des choses, comme leur fabrication, doit 
être individuel et non collectif, égoïste et non géné- 
ral Cest le droit de chaque individu de possé- 
der pour son utilité séparée et égoïste tout ce qu'il 
peut fabriquer. ... (a). 

Vouloir recourir à la loi pour définir la pro- 
priété, 

c'est intervenir à contre-sens entre notre idée d'indivi- 
dualité et les effets naturels de la conduite humaine 
qui en sont les récompenses et les peines ordonnées 

et aj^propriées .... Comme la nature donne au 
travîùl tout ce qu'elle produit, — comme nous éten- 
dons l'idée d'individualité personnelle à ce qui est 

(I) P. 35, note, 
(a) PP. 41, 35. 



Digitized by 



GHAPITaS OBUXlàMB 



prodaît par chaqae individu, ^ non seulement un 
droit de propriété est établi parla natnre, mais la 

nature trouve les moyens de nous faire connaître 
Fexistence de ce droit. 11 est aussi impossible aux 
hommes de n'avoir pas la notion d'un droit de pro- 
priété qu'il leur est iinpossible d'être sans l'idée 
d'identité personnelle. Lorsque Tune ou Tautre est 
complètement absente, Thomme est fou (i). 

La Nature, pourrait-on dire, est individualiste : 
l'individualisme est, aux yeux de Hodgskiu, 
d'institution divine on naturelle. 

Considérons d'ailleurs les lois, considérons 
leur essence et leur origine, et nous nous convain- 
. crons de leur impuissance à produire ou favoriser 
le bien général. 

. Le législateur prétend travailler « à conserver 
l'ordre social, à promouvoir le bien public». 
Mais a le bien public est inconnu aux facultés 
humaines». L'ordre social, «dépendance réci- 
proque de tous ceux qui contribuent à la subsis- 
tance et au bien-être de la société », obéit à des 
lois dont l'opération « devance tous les plans 
conçus par le législateur pour les régler ou les 
conserver ». G*est dans le temps que s*écoule 
la vie des sociétés ; et pour quel temps le 
législateur promulgue-t>il ses lois? Ce ne saurait 
être ni pour le passé, ni ponr le présent, ligne 



(1) PP. 4fl, 3o. 



Oigitized 



196 



THOMAS HOOGSRIN 



sans épaisseur, simple négation du passé et de 
Tayenir. C'est donc pour l'avenir. Mais nous 
sommes impuissants à deviner Tavenir. 

La marche du passé peut projeter son ombre en 
avant, de manière à nous laisser savoir en gros que 

la société continuera à croître, comme elle s'est 
accrue dans le passé, en nombre, en richesse et en 
savoir; mais quelle forme prendra cet accroissement, 
quelle sera la rapidité de ce progrès, et quelles 
relations nouvelles il suscitera entre les individus 
et les nations, — quelles professions nouvelles, 
quels arts nouveaux peuvent surgir, — quelles 
habitudes, quelles mœurs, quelles coutumes, quelles 
opinions nouvelles seront formées, quelle sera la 
figure exacte de la société, jusqu'aux dernières 
nuances du tableau — toutes ces choses, auxquelles 
les lois doivent s'adapter, il est impossible qu'elles 
soient connues; il suffit de les examiner pour faire 
voir au genre humain sous son vrai jour tout le tra- 
vail législatif, — dérision de ses intérêts, imposture 
dont son intelligence est la victime (i). 

Tout ce que le législateur peut faire, c'est 
d^enfermer cet avenir inconnaissable dans les 
formes du passé qu'il connaît. Toute législation 
est donc, par essence, conservatrice et routinière : 
elle ne peut ni prévoir, ni désirer les transfor- 
mations du genre humain. C'est ici la critique de 
Godwin qui est reprise par Hodgskin. 

(I) p. lO. 



4 



Uiyilizeu by <j 



CUAPITUË DEUXIÈME 1^7 

En . fait, les lois, considérées dans leur ori- 
gine, ont été Tœavre de ceux qui, les premiers, 
accapai'èrent le pouvoir, a hommes qui n'avaient 
de profession que la guerre et ne connaissaient 
de métiers que le vol et le pillage » : leurs 
descendants exercent aujourd'liui encore le pou- 
voir. C*est, après la théorie de Godwin, la 
théorie de Paine; mais Hodgskin la renouvelle 
et la précise, par Texamen, auquel il se livre, de 
Torigine des lois actuelles sur la propriété. Le 
droit de propriété foncière ohéit, avec le progrès 
du genre humain, à une loi naturelle d'évolution : 
chique individu a besoin, pour vivre, d'une 
moindre étendue de sol chez un peuple de pas- 
teurs que chez un peuple de chasseurs, chez un 
peuple d'agriculteurs que chez un peuple de 
pasteurs, dans une nation industrielle que dans 
une nation de simples agriculteurs (i). Or, il 
est venu un moment où le monde civilisé a été 
envahi pai* des hordes barbares, qui n'avaient 
pas dépassé le niveau mental des peuples pas- 
teurs : elles apportèrent avec elles des notions, 
surannées par rapport au monde qu'elles en- 
vahissaient, sur la quantité de terre nécessaire à 
faire vivre un homme, et s'approprièrent, en se 
conformant à lem^s notions propres, le sol des 



(I) PP. 63^7. 



Digitized by Google 



198 THOMAS HODOSKUr 

nations conquises (i). D*oti Topposition, aujour- 
d'hui encore fondamentale sous des formes 
diverses, dans tout le monde occidental, entre 

le droit naturel et le droit légal ou artificiel de 
propriété. 

Les personnes qui s'approprièrent ainsi le soi de 
i'fittrope, le tirent par droit de conquête... Le pouvoir 
ainsi acquis, les privilèges ainsi établis, forent la base 
de Fédiâce actuel, politique et légal, non social, de 

l'Europe... Les conquérants et leurs descendants 
ont été les auteurs des lois... La loi... est un 
ensemble de règles et de pratiques posées et établies, 
en partie par le législateur, en partie par la coutume» 
en partie par les juges, appuyé et mis en vigueur 
par tout le pouvoir du gouvernement, et visant, 
pour ce qui concerne notre sujet, à garantir Tappro- 
priation de tout le produit annuel du travail. Nomina- 
lement, on dit que ces règles et ces pratiques ont 
pour objet de garantir la propriété, d'approprier la 
dtme, et de procurer un revenu au gouvernement; en 
réalité, elles sont faites pour approprier aux auteurs 
des lois le produit de ceux qui cultivent le sol, pré- 
parent les' vêtements ou distribuent ce qui est pro- 
duit entre les classes et les sociétés diliérentes. 
Voilà la loi (a). 

Le gouvernement, en d'autres termes, est 
l'instrument de domination économique des pro- 
priétaires fonciers, qui protègent leur bien par 

(I) PP. 69-70. 
(a) PP. 72^3, 



Digitized by Google 



CHAPITRE D£UXIÉM£ 



des lois conçues à cet effet; des prêtres, qui 
prêchent Tobéissance aux lois, et reçoivent en 
échange « une pai*t de la législation et du produit 
annuel du travail »; des capitalistes enfin, qui 
sont les alliés constants du gouvernement, de 
l'Église et des propriétaires ibnciers. Les capi- 
talistes, sans doute, constituent une classe plus 
malaisée à délimiter que les autres, parce que les 
capitalistes sont très souvent aussi des travail- 
leurs, mais certainement « en tant que tels », 
ils n'ont « pas de droit naturel à la large part 
du produit annuel que la loi leur garantit »• 
Comment dès lors compter sur le fonctionnaire 
et le soldai pour réprimer le crime, le vol, dont 
ils sont, historiquement, les premiers auteurs? 
Des lois pénales, élaborées pour défendre un droit 
artificiel de propriété, sont impuissantes à nous 
le faire respecter. 

Elles infligent de la soutrrance, mais elles ne pro- 
duisent pas l'amendement et n'exercent pas d'action 
salutaire. Ce qui est généralement bienfaisant, ce 
que la Nature commande, n'a pas besoin d^étre imposé 
par la loi ; ce qui est fait pour le béoéflce d'une 
secte ou d'une classe et n'est pas conforme aux 
commandements de la nature, voilà ce que les 
hommes cherchent à maintenir par la terreur et la 
douleur (i). 



^i; P. 158. 



Digitized by Google 



THOMAS HOD68Km 



La vraie fin de la loi, c est a la déreuse du 
pouvoir du législateur Gela n'est-il pas avoué 
par cette piiilosophie étrange, qui demande expli- 
citement le sacrifice des individus, seuls réelsi 
à la société, à FÉtat, à la loi (i) ? 

Heureusement, si les lois humaines sont im- 
puissantes pour le bien» elles sont encore impuis- 
santes pour le mal. Si vraiment il existe des « lois 
de la nature des « décrets de la nature », 
pouvons-nous, sans paradoxe, dire que ces décrets 
peuvent être violés? Eu réalité» répond Hodgskin, 
• 

nous pouvons enfreindre les lois physiques» mais 
non pas impunément. Dans le monde matMd et 

dans le monde moral, les commandements de la 
nature ne nous sont connus que par l'intermédiaire 
de nos plaisirs et de nos peines. Si notre tête porte 
contre un poteau, elle nous avertit, par la douleur» 
que le poteau est plus dur que notre crâne» et nous 
ordonne de faire usage de nos yeux. . . En examinant 
la question de la propriété, nous verrons aussi que 
la misère a pour cause, en grande partie, notre oppo- 
sition au droit naturel de propriété. La Nature nous 
prémunit contre cette opposition par la doulear, 
comme elle nous averlit de respecter les lois de la 
gravitation (a). 

Donc, les sociétés prospèrent dans la mesure 
oit elles obéissent aux lois de la nature. Donc, à la 

(I) pp. 45-46. 

(a) P. 5^. 



Digitized by Google 



GHAPITRB DBUXlàMB 



longue, les lois naturelles doivent triompher. 
Qu'est-ce que la loi prise en soi? Un morceau 
de parchemin. Quelle en est Tefficacité, abstrac- 
tion faite de Topinion publique, qui en assure 
Texécation ? La loi n'existe, n'est, en définitive» 
constituée que par la tolérance du public. Suppri- 
mez la loi, l'opinion suâit à garantir le respect 
des droits. 

Faites un instant abslraction du statute-book, du 
législateur et du juge, et regardez la société : vous 
verrez que la plupart des droits, droits des hommes 
et des femmes, des voisins et des amis, des parents et 
des enfantSy des simples connaissances et même de 
ceux qui vivent à l'état d*hosiilité, — car eux aussi 
ont des droits — , vous verrez, dis-je, que la plupart de 
nos droits domestiques et civils, les plus chers et les 
meilleurs, ne sont garantis par aucune loi et n'ont 
d'autre sûreté que le respect mutuel de 1 homme pour 
l'homme et les sentiments moraux des individus (i). 

Supposez, au contraire, que la loi, non supportée 

par l'opinion, est l'œuvre du pouvoii* arbitraire 
d'un législateur ; elle est caduque. 

Le législateur individuel achève bientôt sa carrière; 
son successeur a ses caprices propres et ne se 
soucie pas d'employer son pouvoir militaire à impo- 
ser Texécution d'un caprice de son prédécesseur (a). 



(I) P. i36. 
s) P. 116.* 



Digitized by Google 



132 



THOMAS HODGBKOr 



Mais ropinion, qui commande au législateur» 
obéit elle-même à des « circonstances physi- 
ques )>, à des lois de la nature. En fait, 

lorsque nous voyons le grand nombre de lois restric- 
tives de rinduslrie et le grand nombre de lois laites 
pour lever le revenu du gouvernement, la rente 
du propriétaire foncier, la dlme du prêtre et le profit 
du capitaliste, nous sommes plus étonnés de voir 
que rinduslrie a survécu aux charges immenses qu'on 
lui impose, que nous ne le sommes de voir quelques 
voleurs, choisissant de vivre ouvertement par le 
pillage, au risque d*être punis par les lois, plutôt 
que de mener une vie de travail rémunéré. Que les 
hommes travaiUent encore, voUà qui contredit m» 
vciileusement la vile assertion des législateurs, — 
je dis vile, parce qu'elle est laite à une lin vile — , 
suivant laquelle les hommes ont une aversion natu- 
relle pour le travail (i). 

Si nous voulons donc écrire lliistoire des 

sociétés, n'écrivons pas Thistoire des lois posi- 
tives : car le progrès de la société s*est accompli 
selon une loi naturelle, malgré les gouverne- 
ments ; mais iSedsons porter nos recherches sur 
« quelques-unes des grandes altérations sociales, 
dont elles sont les copies imparfaites (2) »^ 
Malgré la loi, la propriété foncière s'est subdi- 
visée, les revenus du clergé, les revenus du 

U) P. 54. 
(a) P. Ii5. 



Digitized by Google 



CHAPITRE DBUXlàlIB. l33 

goayemement ont diminué. Le progrès du capi- 
talisme a été le grand l'ait de l liistoire moderne. 

Le capitaliste tut à l'origine un travailleur, ou le 
descendant d'un vilain, et il obtint on profit sur ce 
qu'il savait épargner du produit de son propre travail, 
après avoir arraclié sa liberté à ses maîtres, parce 

qu*il tut alors capable de leur faire respecter son 
droit à jouir du produit de sa propre iuduhtrie. Mais 
ce qu'il reçut alors, et reçoit encore, sous le nom de 
profit, est une portion de la richesse annuellement 
créée par le travail. En fait, le capitaliste a obtenu 
la totalité du pouvoir du propriétaire foncier, et son 
droit d'avoir un profit est un droit de recevoir une 
portion de ce qui a été produit par le travail des 
esclaves de son propriétaire ibncier (i). 

MouTement naturel, dans la mesure où il a eu 

pool* cause, d* abord le respect du di'oit naturel 
de propriété, puis l'accroissement du nombre et 
de la richesse des esclaves émancipés. Mouye- 
ment qui a déjoué tous les efibrts législatils laits 
pour le réprimer et le ralentir : que Ton songe, 
notamment, aux lois sur l'usure. Maintenant, par 
la continuation duméme progrès, un âge nouveau 
va succéder à l'âge du capitalisme. 

Nous voyous, par un ellel du respect qu'inspire le 
droit naturel de propriété, qu'une grande clause 
moyeone, complètement émancipée de ce servage et 

(I) P. 98. 



Digitized by Google 



134 



THOMAS HODGSKIN 



de ce déDûmenl qae la loi tentait de perpétuer en 
fixant à la fois le taux des salaires et de llntérêt, 

s'est développée dans tontes les parties de l'Enrope, 
unissant, dans la personne de ceux qui la composent, 
le donble caractère dn travaiiienr et du capitaliste. 
Le nombre de ceux-là augmente rapidement, et nous 
pouvons espérer, dans la mesure où les belles inven- 
tions de Fart prendront peu à peu la place du travail 
manuel simple, que, réduisant la société tout entière 
à être composée d'hommes égaux et libres, ils feront 
peu à peu disparaître tout ce qui subsiste encore 
d'esclavage et d'oppression (i). 

Cette société future, fondée sur le respect du 
droit naturel |de propriété, i'aut-il la décrire ? 
Ceux-là jugent possible d'en tracer le tableau 
qui croient à reificacité de la législation, qui 
considèrent le progrès comme Tœuvre méca- 
nique, raisonnée, préconçue, d'un système de lois. 
Quant à moi» déclare Hodgskin, 

si défectueux que soit notre système [actuel, je ne 
suis pas tenu de donner des règles à ce que nul 
individu ne comprend ni ne peut comprendre, à la 

Société elle-même. Car elle est en voie de progrès, 
ou, si Ton veut, elle n'est pas encore créée tout 
entière, tous ses phénomènes ne s'étant pas encore 
manitestés à notre entendement : je ne suis pas 
tenu, si mauvaise que soit la législation actuelle, de 
suggérer une législation qui peut-être serait meilleure. 
La société est un phénomène naturel, et j'étudie les 



(I) P. lOI. 



Digitized by Google 



lois de la société comme j'étudierais les lois qui 
règlent le cours des saisons. Supposer que le pouvoir 
de les diriger a été remis entre nos mains a été taxé 
de foiiepar un de nos pins grands moralistes. A ceux, 
qui, de siècle en siècle, ont vainement essayé de 
régler la société et d'en déterminer le cours, qui, 
sans prévoir aucun des grands changemcnls qui se 
sont produits relativement aux droits de la personne 
et au droit de propriété, ont été peu à peu contraints 
de conformer leur législation aux circonstances 
sociales, j'abandonne bien volontiers, puisqu'ils 
savent prévoir la condition future de la société, la 
tâche de former des projets et de prescrire des lois 
pour son bien-être. Je ne vise qu'à vérilier des lois 
naturelles ; puis, voyant qu'il y a conllit entre elles 
et la législation, je rejette celle-ci, confiant le bien- 
être de la société, que Je ne comprends pas, à la 
même Puissance bienveillante qui, annulant dans 
le passé les décrets du législateur, a toujours établi 
et préservé l'ordre, et conduit l'humanité si loin dans 
la carrière glorieuse que nous espérons, à eu juger 
par les changements passés, qu'elle a encore à 
parcourir (i)« 



(i) PP. 160-161. 



Digitized by Google 



Digitized by Google 



CHAPITRE m 
(18321-1869) 



Les années de journalisme. — La collabo- 

RATIOlf A l' « ECONOMIST ». — LbS DBUX 
GONVÉRBNGBS DE 1857. 



Ojgitized 



Au moment où Uodgskin publie ses lettres i 

lord Brougliaiii, la Hél'orme électorale de i832 
est coosomiuée : Uodgâkiu eu apprécie Timpor- 
tance, mais ne la considère pas comme définitive. 
La question véritable qui est au tond de toutes 
les autres, c'est la question du droit de propriété. 

Le progrès de 1 humanité, rameur générai de la 
liberté, et la haine générale de l'oppression empêchent 
l'existence, dans l'Europe enlière, de toute cruauté 

odieuse et révoltante ; mais ravarice et le gabpillage 
soDt toujours sans frein; et la balaiite, l'ignoble 
bataille, be livre seulement pour savoir qui aura le 

plus de richesse Pour apporter un soulagement 

à la détresse, il n'y a que deux choses que Ton puisse 
faire : il iaut, ou bien que la quantité de richesse 
soit augmentée, ou bien qu'elle soil mieux et dillé- 
remment dislnbuce. . . . Comme les ciiangemcnls 
politiques n ont pas produit et ne peuvent produire 
les béuélices qu'on attend, les hommes se dégoCi- 
teront nécessairement de modilioations puUtiques 
qui ne produisent pas de bien; ils s'iutbrmeront des 
sources du mal et des moyens de les tarir. U faudra 
donc qu'ils remontent à la grande source du mal, 
l'opposition du droit légal et du droit ai liliciel de 
propriété (i). 



(1) AaL and orL r. oj Frop., pp. 14, ly^ifi^ i7o-i;i. 



Digitized by Google 



i4o THOMAS HODonnr 

Non seulemeut le Reform Act n'a pas résolu 
le problème, mais peut-être va-t-il en aggraver 
Tacuité ; car Texpérience prouve que tout chan- 
gement de gouyemement empire la situation 
économique des nations, provoque des crises, 
appesantit les charges, est une cause de misère et 
de déception (i)« 

A la faveur de ce mécontentement, Hodgskin 
a trouvé des disciples. « Tous ceux, nous dit 
Francis Place, que les promesses et les prédic- 
tions de Robert Owen avaient déçus se trou- 
vèrent prêts à tomber dans le piège de Mr. Thomas 
Hodgskin, qui, par ses conférences et ses publi- 
cations, persuada des milliers d'hommes que 
tont le produit du travail appartenait de droit au 
producteur individuel (2) ». Au Méchantes' Ins- 
titute de Londres, où un « auditoire nombreux et 
attentif » (3) écoute ses leçons, il est devenu un 
conseiller influent du docteur Birkbeck ; à la 
grande colère de James Mill (4) et des Bentha- 
mites, il a pris le même ascendant sur Black, le 
directeur du Morning Chronicle^ dont il inspire 
la politique. Les défenseurs du capitalisme 
s'émeuvent, et le réfutent : tel Samuel Read, en 



(i) Nat. and art, r. of Prop., pp. 171-172. 
(a) Add. Mss. Brit. Mus., 37, 791 L 2i63. 

(3) Pop PoL Ec, p. VIII. 

(4) Mil! à Broughaju, 3 septembre iâ3a ; Bain, Life oj 
Jame9 MiU, p. 364. 



Digitized by 



GHAPITRB TROlSlieilB 1^1 

1829, dans ses « Fondements naturels du droit de 
propiiété et de vente » (i). Quelques membres 
des, coopératives de Robert Owen ont lu, sans 
doute, en Amérique, sa « Défense du Travail » ; et, 
en i83o, Thomas Cooper, l'économiste américain, 
dans la seconde édition de ses k Leçons d'Écono» 
mie politique », prend ce livre poui* texte de sa 
réfiitation des nouvelles tendances, de ce qu'il 
appelle la doctrine des « économistes ouvriers » 
{mechanic poUtical economists) (a). En i83i, 
Charles Knight, dont la violence exaspère Hodg- 
skin, prémunit les classes populaires, auxquelles 
il adresse ses ouvrages de vulgarisation, contre 
les périls du nouvel enseignement. « Ces doctrines 
peuvent bien commencer dans la salle de confé- 
rences ; elles y semblent inoffensives en tant que 
propositions abstraites, mais elles aboutissent à 
la folie, à la frénésie, au tumulte, — au pillage, au 
feu et au sang (3) ». Hodgskin va*t-ii, encouragé 
par ce succès et par ces attaques elles-mêmes. 



(i) Natural Grounds of Right to Vendible Property 
1829, pp. XXXI et ia7-iâ8. CTest sans doute le nom de 
Read qui est mal orthographié Retd, NaU and art, 
Hght of Prop,, p« 171. 

(a) LeetareBf a* éd, i83o, chap. XXXI, en particulier 
pp. 349, 351, 35a. 

{3) The Righta of Industry, addressed to the working 
nien of the United Kingdom, by the Author of € Tho Re- 
sults of Machlnery ». II. Capital and Labour, pp. f5a-iâ3. 
Voir aussi pp 56, 67, 58, jioâ. 



Digitized by Google 



THOMAS HODGflKIN 



continuer ses| recherches d'économie politique 
et devenir le doctannaire du socialisme anglais 
naissant ? Mais ses recherches sur la production 
et la distribution des richesses ne sont, il nous 
en avertit en i83a, qu*an « épisode d*un plus 
grand ouvrage sur le droit criminel ». 

Les législateurs ignorent toujours les premiers 
éléments de la législation criminelle ; et la réponse 
correcte et philosophique qu'appelle la question 
« Qu*est-ce que le crime ? » renverse d'un coup tout 
i'édiiice théorique des peines légales. En partant de 
principes qui ne sont pas énoncés ici» l'auteiv s'est 
convaincu que tout le travail législatif, si ce n'est 
dans la mesure où il consiste u graduellemenl et 
pacifiquement abroger toutes les lois existantes» est 
une imposture criante (i). 

Uodgsidn va-t-il donc achever ce grand ouvrage 
sur les idées de loi et de peine, qu*il médite 
depuis tant d'années ? En l'ait, Hodgskin, père 
maintenant de sept entants, obligé de travailler 
pour faire vivre toute cette famille» disparaît, 
après i83!2, dans l'obscurité du journalisme ano- 
nyme. 11 écrit non seulement au Morning ChrO' 
nicle, mais au Daily Acws, au Courier, puis au 
JSun; tous les huit jours, pendant de longues 
années, et jusqu'à sa mort, il envoie un article 
au BrigiUon Guardian; il est un des rédacteurs 



(i) jSal, and art, r. of Prop., {u i. 



Digitized by 



CHAPITRE TROiSIÀMB l43 

■ ■ 

de ïllUistrated London Nem; il collabore» pen- 
dant longtemps, avec Thomas Hansard, à la 
publication des comptes-rendus parlementaires. 
Malgré ce que ces tâches ont d'absorbant, il 
prend part, en qualité de conférencier populaire, 
à Fagitation « charti&te » pour rétablissement du 
suffrage universel. Mais sans doute les violences 
des ch artistes, comme aussi leurs appels à Tinter- 
vention de TÉtaten matière de législation sociale, 
le dégoûtent du radicalisme révolutionnaire et 
socialiste et le rallient, avec tant d'autres, au parti 
de Cobden et à l'agitation libre-échangiste. C'est 
le moment où nous le voyons, en 1846, entrer à 
YJBeonomist, nouvellement fondé par Wilson : 
de nouveau, sinon par le livre, du moins par 
des articles médités, il va pouvoir faire œuvre 
de théoricien et de philosophe social. 

Chargé d* analyser les ouvrages nouveaux de 
science sociale et d'économie politique, il con- 
tinue à affirmer que l'économie politique, avec 
ses démonstrations rigoureuses et ses conclusions 
optimistes, mérite seule, parmi les prétendues 
sciences de Thomnie, le nom de science, 

tout le reste n*étant que tradition, tâtonnement, 

pétition de principe, caprice, usurpation, opportu- 
nisme ; il n 'y a de science en politique que Téconomie 
politique (i). 

(i) 7 avril i865, pp. 390371. 



Digitized by Google 



l44 TBOKAS HODOfiKIir 



Politique, o» plutôt sociale : la première épi- 
thète l'ait contre-sens lorsqu'il s'agit de désigne 
une science qui précisément postule la non- 
intervention des hommes politiques dans les 
phénomènes sociaux (i). « Qu'il n'existe ni ne 
peut exister une science de la politique », c'est 
le thème développé par Hodgskin dans l'étude 
qu'il consacre, en i85a (a), au traité de Gomewall 
Lewis a sur les méthodes de raisonnement et 
d'obserration en politique ». La politique est une 
routine, qui change sans cesse, mais dont on ne 
peut dire qu'elle lasse des progrès parallèles au 
progrès de la société, dont on peut raconter 
r histoire, mais dont on ne peut faire la théorie. 

Le gouvernement est manifestement analogue à 
tous les arts que les hommes commencent instincti- 
vement et empiriquement, à ces arts qui conduisent 
plus tard aux sciences de ragricnltur^ delà naviga- 
tion, de la métallurgie, etc. Mais les sciences en 
question concernent piulôt les propriétés des tti i ams 
et les lois de la vie végclale, la conformation de la 
terre et les mouvements des corps célestes sur lesquels 
se guident les vaisseaux^ les propriétés des métaux, 
du feu et des fluides ; ce ne sont pas des sdences de 
toutes les pratiques grossières que l'on peut avoir 
appliquées à mettre le sol en culture, à employer la 
voile ou la rame pour se déplacer, à fondre ou forger 



(1) lit décembre pp. iGai-aa. 

(2) !àj novemhre isôa, pp. làu^-'jj. 



Digitized by 



CHAPITHB TROISlàMB llfi 



les métaux. Si Ton fait abstraction des procédés 
employés de tout temps par les hommes dans la pra- 
tique de ces arts, procédés dont il n'y a pas de science 
qui se distingue de leur histoire, il y a, dans tous les 
arts qui donnent naissance à la science, une matière 
distincte de l'homme loi-même. Ën politique, il y a 
seulement Thomme, ses arts et ses procédés ; autant 
de sujets qui, si on les considère exclusivement 
comme distincts de la science de la nature humaine» 
ne peuvent devenir la matière d'une science séparée. 
U y a une science de la production et de la distri- 
bution des richesses; mais c'est une science qui, 
comme les sciences de la navigation et de l'agriculture, 
concerne des objets matériels distincts de l'homme. 
Cette science a beau être liée, par des rapports 
étroits, aux arts, aux mobiles, à l existence de l'hom- 
me; elle n'est pas exclusivement bornée, cependant, 
à ces arts, aux procédés pratiques qu'il emploie, ou 
à son existence; elle a une matière; visible et tangible 
en laquelle le travail s'incorpore, et qui devient la 
richesse, distincte de l'homme lui-même. 

En outre, et surtout, peut-on, sans se contre- 
dire, allii'iner à lu lois que la science politique 

implique la notion de nationalité et que le progrès 
du genre humain tend à effacer les nationalités? 
r\ politique perdrait donc son objet propre, au fur 
et à mesure des progrès que ferait la civilisation. 

La politique repose tout entière, comme dil 
Mr. Lewis, sur la nationalité. Son essence, c'est que 
chaque peuple souverain ait un gouvernement à 
lui. . . . Or, le progrès de la société, sinon le progrès 
politique^ a consisté, depuis le commencement de 

H. -5. 



Digitized by Google 



t/fi THOMAS UODG6K1M 

l'histoire, à étendre continuellement les limites de la 
nationalité, — à incorj)orer les tribus dans les com- 
munautés, les communautés dans les nations, jus- 
qu'au moment où une seule nation en a absorbé plu- 
sieurs, h y a, donc eu annihilation graduelle, naturelle, 
et nécessaire» de cette circonstance spéciale, de ce 
principe, sur lequel toute politique est fondée* . . . 
11 est possible, quoique la chose soit douteuse, que la 
nature humaine ait été dillércntc à des époques difl'é- 
r en tes ; mais la base de la politique est é vanouissanle. 
11 n'y a de science que du permanent ; puisque la 
nationalité n'est pas permanente. il ne peut y 
avoir de science politique. — 11 peut être vrai, comme 
dît Mr. Lewis, que la science de Téconomie politique 
se rapporte aux relations des hommes qui vivent en 
société politique cl ne puisse se rapporter qu*à eux 
si les hommes, depuis les débuts de Thistoire, ont 
toujours vécu en société politique. Mais il peut, en 
même temps, être vrai que les principes de la science 
de la production de la richesse soient absolument con- 
traires, comme nous savons qu'ils le sont en bien des 
cas, aux pratiques de lu science politique, et, loin 
de lui être subordonnés, soient peut-être destinés à 
l'abolir. 

L'historien ne devra donc pas expliquer le 
progrès social par les interventions, accidentelles 

et incohérentes, des législateurs et des sages. 
Seule, la « présomption des classes lettrées » 
attribue à riniluence des penseurs et des philo- 
sophes le progrès de l'Europe moderne (i). 

(I) ai octobre 184S, pp. iigo-oi. 



Digitized by Google 



GHAPITRB TROISIAMB 



C'est sans le secours direct d'une science quel- 
conque, nienlale ou autre, que, depuis le temps de 
Locke, Vesprit ou la société a échappé à une multi- 
tude de préjugés et s'est développé en tous sens. 
Avec le temps et par le temps, VetprU s'agrandit ou 
se développe. Les découvertes scientifiques et les 
arts qui sont fondés sur elles ne sont Tœuvre ni du 
hasard ni des desseins de l'homme ; elles sont un 
déveloj)pement régulier et progressif que nulle direc- 
tion imprimée par l'entendement humain ne pouvait 
produire, — quelle que puisse être l'eâicacité des 
attentions prises à cet égard pour rendre les indi- 
vidus bons, instruits et sages (i). 

Hodgskin ne veut pas que TÉtat, par un 

système d'instruction gouvernementale, assume 
la tâche de diriger ou d'accélérer le progrès ; il 
mène campagne, en iS^'j et 1848, contre l'Edu- 
cation Bill y qui soutient Macaulay (s), oppose à 
Macaulay les principes de sa propre philosophie 
de Thistoire. Macaulay n'a-t-il pas nié que les 
grandes révolutions d'Angleterre puissent avoir 
été produites «par une réglementation législative 
ou par remploi de la force physique » ? Macaulay 
a eu tort seulement de considérer les causes 
générales, en histoire, comme des causes d*ordre 
moral et religieux : si l'Angleterre s'est plus vite 
civilisée et émancipéeque les nations du continent, 

(i) 16 septembre i854, p. loai. 

{2) ao mars 1847, pp. 323-324; 24 avril 1847. pp. 46^^-464 i 
I» mai iâ47, pp. 49^64; 3o décembre 1848, pp. 147 1 3. 



Digitized by Google 



i48 



THOMAS HODG8KIN 



c'est simplement parce que la population, enfer- 
mée dans les limites d*une lie, y est devenue de 
bonne heure plus dense que dans le reste de 
l'Europe. Bref, parmi les facteurs de Thistoire, 
celui dont l'action est prédominante» ce n'est 
ni le facteur politique ou juridique, ni le facteur 
normal ou religieux, c'est le facteur économique; 
la philosophie de l'histoire, chez Hodgskin, ce 
qu'il appelle « l'histoire de la civilisation », ou 
« l'histoire naturelle de l'homme considéré 
comme un animal progressif », constitue» au 
sens propre du mot, un matérialisme historique, 
excellemment déûni par Hodgskin lorsqu'il féli- 
cite Thiers d'avoir bien observé 

que le fait de la propriété existait à Tortue de la 
société, avant que Tidée de propriété fût formée. En 
d'autres termes, le fait que la propriété est un droit 

précéda l'opinion qu'clh? devait être garantie et con- 
servée. Ou peut donc aflirmer que des translornia- 
tions de fait, subies par la propriété, devront, à 
toutes les époques futures» précéder toutes les 
opinions politiques et toutes les transformations qui 
s'y trouvent liées. Cette hypothèse concorde avec ce 
fait général que touies les connaissances de rhomme, 
politiques et autres, et, en dernière analyse, toutes 
les opinions de l'homme sont corrigées par les faits 
du monde matériel et, par suite, se modèlent sur eux. 
L'esprit» à son plus haut degré de perfection, est une 
exacte réflexion de la nature extérieure. Par con- 
séquent, à la longue, la nature extérieure, dont 
l'homme doit savoir respecter les lois pour vivre. 



Digitized by Google 



GHAPITBB TROI8IA1IB 

donnera leur figure et leur direction à toutes ses 
opimoQb (1). 

Mais, si Uodgskin tient l'économie politique 
pour la véritable science de la société, celle qui 
nous donne la clei' de la philosophie de l'histoire, 
il reste Tadversaire déterminé de Téconomie 
politique de Rieardo. Lorsque MacGulloch publie, 
eu 18469 rédilion complète des œuvres de son 
maître, Hodgskin regrette que MacGulloch ait 
mal rempli sa tâche d'éditeur en n'essayant pas 
de déterminer impartialement 

quelle part de la réputation de Rieardo est purement 
éphémère et 8'explique très simplement par des 

circonstances extérieures ; quelle part, au contraire, 
est la conséquence durable des découvertes impor- 
tantes qu'il lit et incorpora à son grand ouvrage. 

£t Hodgskin, reprenant (a) le travail de cri- 
tique négligé par MacGulloch, reproche à Rieardo 
d'avoir, grâce à son incontestable compétence en 
matière de banque et de finances, obtenu, conune 
économiste, un crédit qu'il ne méritait pas; d'avoir 
observé les phénomènes économiques, entre 181Ô 
et i8ao, à une époqiie de crise où ils ne présen- 
taient pas un caractère normal ; il lui adresse, 
une fois de plus, toutes ses anciennes critiques. 

(i) 3o déeembre x84B, pp. 1480-1481. 
(s) a8 novembre l^6, pp. i506-i568. 



/ 



Digitized by Google 



i5o 



THOMAS HODGflKlM 



Ricardo a obscurci, alors qu'il prétendait 
l'éclcdrcir, la théorie de la valeur telle que T avait 
définie Adam Smith : 

En nn sens, la manière dont Smith a varié dans 

rex pression verbale de son principe sert mieux à 
expliquer certains phénomènes socinux que la rigi- 
dité avec laquelle Mr. Ricardo en respecte la lettre. 
Si l'on substitue, dans la doctrine de Smith, le mot 
travaillewr au mot travail^ elle représente plus exac* 
tement ce qui se passe réellement dans la société 
qne la doctrine de Mr.Ricardo,assez peu intéressante 
en somme, puisqu'elle concerne exclusivement les 
variations, dans Véchange, de la valeur des marchan- 
dises, et ne tient pas compte de l'échange entre les diffé- 
rentes classes, travailleurs, capitalistes, propriétaires 
fonciers, que Smith se proposaiten partie d*expUquer. 
En admettant qu'il y ait chez Ricardo plos d'exacti- 
tude verbale ou logique, elle n'a été obtenue, nous 
le craignons, que parce que Ricardo a complètement 
exclu de sa science ces importantes relations du 
travailleur aux autres classes, que Smith discutait 
réellement, au prix d'un changement dans sa 
terminologie. 

En ce qui concerne les salaires, Ricardo 

admet que les dillérentes espèces de travail sont 
Tobjet d'estimations diiférentes; pnis il passe 
outre, pour ne plus envisager que les yariations 
quantitatives du ti^avail ; et cependant, 

cette diil'érence d'estimation est précisément la 
chose dont se plaint un paysan lorsqu'il nous dit qall 



Digitized by Google 



CHAPITRE TROISIÈME l5l 

g^^ne seulement sept shilliogs par jour, pendant 
qu'un Ministre» un Maréchal, un Archevêque, ou 
rhomme qui surveille d'autres travailleurs, gague 
autant ou trois fois autant de livres sterling par 
Jour.... Nous disons qu'il faut être aveugle sur ce 
qui se passe dans la soci<^té, pour ne pas sentir que 
les inégalités de rémunération^ les degrés relatifs 
d'estimation où sont tenus les dilTérents genres de 
travail, et conséquemment les différents taux des 
salaires, sont une des questions brûlantes du 
jour ; l'ouvrage qui, tout en prétendant traiter de la 
plus grande des sciences sociales, néglige systé- 
matiquement ce sujet, laisse de côté un problème 
qn'Adam Smith avait discuté et qui, par son intérêt, 
écrase tous les autres. 

Il reprend, sans la modifier, son ancienne 
théorie du capital, Toppose, en i854, à Morrison, 
auteur d'un « Essai sur les relations du capital 
avec le travail» (i);à Rickards, auteur d'un 
livre sur (( la Population et le Capital » (a) ; à 
Charles Knight, qui vient de remanier et de 
publier sous un nouveau titre Fouvrage dans 
lequel il avait, en i832, malmené Uodgskin (3). 

11 est contradictoire de dire que le capital est le 
résultat du travail, et que le capital doit précéder 



(1) 39 avril 1854, pp. 458 9. 

(2) 18 nov. 1854. pp. 1269-1370. 

(3) 3o décembre i854, pp. i453-i454. — V. encore une 
lettre qu'il adresse, le Janvier x858, au Moming 
Chroniele, sons le titre « Tradê mthoai capital ». 



Digitized by Google 



l53 



THOMAS HODOSKIN 



toute production.... L'industrie, dit-on, est limitée par 
le capital... En quel sens? Ce n'eHt pas par la valeur ni 
par la quantité da capital; car la première dépend de 
l'habileté des travailleurs, et la seconde de leur éner- 
gie. L'épargne d'un noble russe et celle d'un industriel 
anglais peuvent être également de lo.ooo quarters 
de blé, et Tindustrie qu'entretiendra chaque quantité 
de 10.000 quarters sera manifestement Irès différente 

en valeur et en quantité Le fait que le capital est 

employé^ ou rapidement restitué, dépend d'un senti- 
ment : le fonds consiste en ce qu'un homme fait crédit 
à un autre, croit qu'il y aura une production future 
pour le payer de ses peines, plutôt qu'il ne consiste 
en marchandises actuellement existantes ; mais, à 
coup sûr, sans qu'il existe un atome de capitcd en 
plus ou en moins, les classes laborieuses peuvent 
trouver du travail abondant et des salaires élevés, ou 
bien être vouées à l'inaction et à la faim. Si Mr. Mor- 
rison avait étudié davantage l'homme et ses mobiles 
— les relations immatérielles des êtres humains plu- 
tôt que les relations des choses matérielles, — son 
livre eût été plus profond... L'homme est l'unique 
agent productif Toute la science de l'écono- 
mie politique concerne l'homme et l'industrie, non 
ses produits. 

Enfin, la théorie de la rente différentielle est 
caduque. Hodgskin félicite Carey (i) d'avoir» en 
la critiquant, ajouté une tentative 

aux nombreuses tentatives qui se font aujour- 
d'hui, de tous côtés et en des sens divers, pour 



(i) aS octobre 184S, pp. 1937 -laaS. 



Digitized by Gopgle 



CUA.PITRB TROISIÈME 



l53 



montrer que le gouverneineiit de la société est dirigé 
I>ar des lois pins hautes que celles de la législation 
liiimaine.. , pour étabUr rautoriié de lauatare. 

Sans doute, les arguments de Garey ne portent 

pas toujours. Démontrer que rhomme cultive les 
terres légères avant les terres lourdes, ce n*est 
pas démontrer qu'il eommence par la culture des 
terres moins fertiles : les terres légères sont 
d'abord, au point de yue strictement économique 
où se place Ricardo, les terres les plus fertiles. 
Mais Carey a ce mérite d'opposer des faits tirés 
de rhistoire économique des États-Unis au très 
petit nombre de faits qui avaient frappé Timagi- 
nation de Ricardo, a plus pénétrant qu'instruit i>. 
A une époque où il y avait accroissement très 
rapide de la population sur un sol fermé, 

il conclut, de la rapide augmentation de la rente 
qui se produisit alors, à l'origine de la rente et 
rexpliqua par l'existence de plusieurs degrés de fer- 
tilité du sol et par Toccupation du sol le plus fertile 
avant les autres, alors que l'histoire nous y montre 
un effet de la conquête et de l'oppression. 

Au fond, le pessimisme de Ricardo n'est-il pas 
surprenant, à une époque où les énergies produc- 
tives du monde civilisé subissaient un dévelop- 
pement prodigieux ? 

La conclusion qu'avec le progrès de la société le 
sol fournit uu revenu constamment moindre au capital 



Digitized by Google 



i54 



THOMAS HODOSKtN 



el au travail. . . . contredit, en fait, le principe propre 
de Mr. Ricardo — à savoir que le travail paie toai le 
coût. 11 a contribué à dissiper les doutes et les ano- 
malies qui Tenveloppaient, et» depuis lui, on a cons- 
tamment et généralement admis cfue le travail est la 
source unique de la valeur, la source unique de la 
production, le paiement de tous les coûts et le der- 
nier régulateur du prix M. Ricardo fait constam- 
ment allusion aux perfectionnements de la culture et 
aux découvertes techniques comme tendant, par 
intervalles, à compenser la chute des profits ; mais 
ces perfectionnements, où il voit des exceptions à la 
règle, sont, en fait, la règle, et constituent la grande 
loi de la population et de la production L'homme 
devient habile dans la mesure où Tespèce devient 
nombreuse. 

La théorie de la rente difTérentielle nVst-elle 

pas d'ailleurs, trente années après sa découverte, 
si démodée qu'il ne vaut pas la peine de la 
discuter ? 

Quoiqu'il n'existe pas de réfutation accréditée, en 
termes exprès, des erreurs de Uicardo, hi société les 
a dépassées (/utô lived thern down)^ et personne, si ce 
n'est quelques purs écrivains, ne s*inqniète plus de 
ce que Malthus dit de la population ni Ricardo de 
la rente (i). 

La décadence même de T orthodoxie fondée 
par Ricardo semble, en effet, propre à donner 



(i) i8 novembre i854, p. 1^69. 



Digitized by Google 



CHAPirra TROISiteB 



i55 



conûance à Hodgskin en ses doctrines propres ; 
Stuart Mill Tient, dans son grand ouvrage, de 
distinp^uer. un peu comme Hodgskin l'avait fait 
lui-même, entre les lois naturelles et les lois 
humaines, celles, eif particulier, qui prétendent 
définir le droit de propriété, dont Tinfluence 
s*exerce sur les phénomènes économiques (i). 
Stuart Mill a peut-être seulement manqué de sens 
historique, et son livre aurait, selon Hodgskin, 
plus de valeur 

s! ses longues dissertations sur la tenure foncière 

étaient nettement rapprochées des conditions sociales 
parliculières. qui rendent, en ce qui concerne la pro- 
priété foncière, tolérable et justifiable en un temps ce 
qui est intolérable et monstrueusement injuste et 
funeste en un autre. L'appropriation originelle du 
sol, par exemple, il y a un grand nombre de siècles» 
fut alors un mal supportable; mais l'influence 
qu'elle exerce sur la condition présente de Tlrlande 
n'est évidemment que destructive. 

£t il faut regretter également que Stuart Mill, 
esclave probablement des préjugés législatifs 
chers à l'école de Bentham, après avoir admis 
Texistence de lois naturelles de la production, 
ait tenu la distribution de la richesse pour abso- 
lument arbitraire, dépendante du législateur et 
des coutumes qu'il peut lui arriver d'établir. 

(i) 37 mai 1848, pp. 603-604. 



Digitized by Google 



i56 



THOMAS HODG8KIN 



En réalité» tous les hommes peuvent agir mal, mais 
ils ne peuvent éviter les conséquences de leurs 

actions : (i'où il suit qu'il y a un juste et un injuste 
lorsqu'il s'agit de ia distribution de la richesse aussi 
bien que lorsqu il s'agit de protéger ou de prendre 
la vie humaine, et qu'une nation ne peut pas davan- 
tage décréter la distribution de la richesse qui lui 
plaît, ou protéger par la force la distribution qu'elle 
décrète, qu'elle ne jniU néglif^or de cultivei* ses 
champs ou ravager le territoire d'une autre nation et 
commettre toutes sortes d'atrocités, sans violer les 
lois morales. 

Si les prétendues lois naturelles de la distri- 
bution des richesses, formulées par Técole de 
Ricardo, doivent être refutées, c'est précisément 
parce que, tendant à imputer à la nature le mal 
économique et, par suite, le mal social tout 
entier, elles nient la véritable loi de la justice 
naturelle. 

Est-ce à dire que, depuis i83d, la pensée de 
Hodgskin n'ait pas varié? En fait, elle a subi 

d'incontestables variations, mais dont riin{)or- 
tance sera diversement appréciée, selon le point 
de vue où Ton se i)lace dans rinterprétation de 
sa philosophie ; Hodgsliin continue (i) d aûir- 
mer que le droit de propriété, <x tel qu*il 
est légalement constitué, n'est pas incapable 
d'amélioration », et que « la distribution de la 

(i) a6 mai 1849, p. 084. 



Digitized by 



CHAPITHB TROlSlàMB 15^ 

richesse est le problème social du jour, qai 

péclame une solution », niais il ne veut pas 
« d'une grande altération de la propriété, à plus 
forte raison d'un système communiste ou socia- 
liste, pour supprimer la distribution actuelle ». 
Si Ton songe que Hodgskin a été des premiers à 
fournir aux socialistes anjçlais une doctrine 
économique, on trouvera la variation grave ; on 
la trouvera moins grave si Ton considère que 
Hodgskin a toujours combattu, pour des raisons 
de principe, toute intervention du gouvernement 
et de la loi dans la distribution des richesses, 
critiquant les revenus du propriétaire foncier 
et du capitaliste précisément parce qu'il attribuait 
à ces revenus une origine législative et gouver- 
nementale. 

Hodgskin trouve injuste et néfaste dans ses 

elTets la constitution actuelle du droit de pro- 
priété foncière. Mais jamais il n'aurait pu, sans 
violer le principe, individualiste et anarchiste, 
de sa philosophie sociale, demander au gouver' 
nement d'intervenir, soit pour rendre collective 
la propriété du sol, soit pour la réduire, de force, 
à ses dimensions naturelles. En i85i, paicc^lt la 
« Statique sociale » de Herbert Spencer, et 
Hodgskin salue avec enthousiasme (i) un livre 



(I) 8 février i85i, pp. i9-i5i. 



Digitized by Google 



THOMAS HOD06K1N 



qui « se distingue par ses sentiments généreux 
et la vigueur du raisonnement et fera époque 
dans la littérature de la morale scientifique ». 
En fait, lorsqu'on retrouve, contre la théorie 
benthamique du droit, sur la définition du droit 
naturel, de très frappantes analogies entre le livre 
de Spencer et les lettres ouvertes adressées en 
i83â par Hodgskin à lord Brougham, lorsque 
d'ailleurs on voit Spencer vivre, plusieurs années 
de suite, à l'Economiste en contact quotidien avec 
Hodgskin, lui rendre visite, lui demander des 
conseiiSy emprunter des livres à sa bibliothèque, 
n'est-on pas en droit de croire à la possibilité 
d'une influence directe exercée par Hodgskin 
sur Spencer? Mais Spencer incline vers une 
sorte de communisme agraire; et, sur ce point, 
Hods^skin se sépare de lui. C'est confondre le 
droit de l'individu à l'usage de ses facultés avec 
le droit à l'usage du sol ; c'est ne pas tenir compte 
du fait qu'avec le progrès des arts un nombre 
toujours plus grand d'individus peut travailler 
et recevoir le produit de son travail sans par- 
ticiper à la propriété du sol ; c'est retirer aux 
individus le droit de propriété pour le donner à 
la société, alors que « les sociétés n'ont d'autres 
droits que l'agrégat des droits des individus » ; 
c'est oublier que les droits n'existent que par 
le consentement de l'opinion; que» par suite, si 



Digitized by 



CHAPITRB TROISIÈME 



ropinion consent à l'appropriation individuelle du 
sol, c'est qu'elle croit y voir un bien social. Enfin 

donner le sol an public et faire payer l'usage de la 
terre à ceux qui la cultivent, ce serait soustraire 

en fait aux eu lli valeurs une partie du produit de 
leur travail, - car c'est une erreur de supposer que 
le sol produit quelque chose, — et la conférer à 
d'autres hommes, ou, ce qui revient au même, au 
public. Ce serait une violation de la propriété et, 
pour rindusirie, une terrible entrave. I^a persis- 
tance de certains préjujîés inspirés par le landlor- 
disme, peut expliquer l'erreur où l'écrivain tombe 
sur ce point, il accepte, croyons-nous, sans s'en 
rendre compte, la notion que la rente actuellement 
payée pour la jouissance du sol est la représen- 
tation et l'équivalent du capital engagé dans le sol 
par les générations successives et de la conquête 
injuste dont les possesseurs originels furent auteurs. 
Mais le sol de l'Angleterre n'a pas cessé d'être tout 
entier acheté et racheté. Le sol. nous le répétons, pas 
plus que l'Océan ou l'atmosphère, ne produit rien pour 
la satisfaction des besoins humain^. En général, il 
doit être défriché avant de pouvoir être exploité. Ce 
qu on appelle, habituellement, le produit du sol, c'est 
le produit du travail appliqué au sol; et prélever le 
produit du travail individuel appliqué au soi, ou une 
partie de ce produit, pour en faire présent au public, 
c'est violer le droit à la propriété du travail ou de 
ses produits* 

Or, vingt ans plus tôt, Hodgskin n'aurait pas 
taxé de « préjugé » Topinion suivant laquelle la 
rente exprimerait un ancien droit légal, le droit 



Digitized by Google 



THOMAS H0D08K1N 



de la force et de la conquête. Mais une phrase, 
écrite à la légère, empêche pas qae le déve- 
loppement, pris dans son ensemble, soit conforme 
aux principes de la philosophie économique de 
Hodgskin : si vraiment le travail seul, à l'exclu- 
sion des qualités naturelles du sol, est la cause 
réelle et la mesure de la valeur, TÉtat, pas 
plus que le propriétaire, ne saurait prélever 
une partie du produit du travail du cultivateur, 
Hodgskin ne se sépare pas des simples radicaux, 
de Gobden ou de Bright, lorsqu'il se borne à 
préconiser la suppression, en matière de pro- 
priété foncière, d'une législation surannée, 'et la 
libération du sol, dont une multitude de lois entra- 
vent Tachât et la vente; lorsqu'il applaudit à ïEn* 
cumbered Estâtes Act irlandais (i), et demande, 
dans un siècle de libre-échange universel, réta- 
blissement d'un libre-échange foncier (a). Mais 
il reste fidèle à ses principes lorsqu'il borne les 
obligations du législateur à cette tâche négative : 
car il a été démontré, et par Hodgskin lui-même, 

que les portions selon lesquelles la terre doit être 

répai Lie entre les individus... n'est rien que l'Etat 
puisse fixer à Tavîmce, parce que cela dépend à cha- 
que instant du chiiTre de la population pour un 
espace donnée ainsi que du savoir et de Thahileté des 

(I) Oor ehief crime: cause and cnre, iB&^; pp. xi-i3 
(a) i3 déc. i856, p. iS^i. 



Digitized by Google 



GBAPrm TROlSlàMB l6l 

hommes . état de choses dont l'État , comme tout 

groupement d'hommes, doit rester ignorant, tant 
qu'il n'existe pas effectivement (i). 

Restent les bénéfices du capitalisme : ne 
semble-t-ilpasqne Hodg^kin, en vieillissant, lear 
soit devenu très indulgent? En i8i5, il s'était 
fondé, dans sa critiqae du capital, snr la loi^ 
énoncée par Ricardo, de la variation inverse des 
profits et des salaires : c*est maintenant un des 
reproches qu'il adresse à Ricardo, 

de mettre en opposition le salaire du travailleur 

et le profit du capitaliste, et de regarder celui-ci 
comme un prélèvement fait sur l'autre. Ce sont là 
des erreurs funestes. Nous savons parfaitement bien 
aujourd'hui. . . que les capitalistes et les travailleurs 
peuvent, les uns et les antres, obtenir davantage et 
être mieux pourvus, par le progrès du pouvoir pro- 
ductif (a). 

En 1826, il comptait sur les coalitions ouvrières 
pour protéger les intérêts des salariés contre les 
exigences des capitalistes; maintenant, il con- 
damne en bloc 

l'intervention entre le capital et le travail des 
communistes, des socialistes et des ouvriers coalisés 
(toutes ces interventions sont mauvaises). . . Le prin- 
cipe qui commande d'observer les lois naturelles, et 



II) ao janvier 1849, pp. 72-73. 
(3j a8 novembre 1846. p. i558. 



Digitized by Google 



THOMAS HODOSKOr 



de ne pas intervenir dans lenr opération, s'adresse 
autant aux ^ouverneinenls qu'aux communîsles, aux 
socialistes et aux ouvriers coalisés. En tail, la pre- 
mière intervention est la mère des autres (i). 

Mais si ces expressions trahissent une évolu- 
tion de sa pensée, ne trahissent-elles pas, plus 
encore, Tinfirmité radicale de sa doctrine ? La 
justice et la nature veulent, nous dit Uodgskin, 
que chaque individu reçoive le produit intégral 
de son travail. Mais chaque individu sera t-il 
tenu de consommer tout ce produit ? ou bien 
d'exploiter lui-même le capital fixe que son 
travail aura produit en sus de la quantité de 
produit nécessaire à sa consommation? ou bien 
enlin sera-t-il libre d'avancer ce capital à d^autres 
travailleurs (Hodgskin semble admettre la légiti- 
mité de ces avances), et, dans ce dernier cas, 
faut-il admettre qu un régime de parfaite liberté 
suffise, à la longue, pour assurer à chacun des 
deux contractants, le producteur et l'exploitant du 
capital, la part de salaire qui lui est due ? Mais 
le producteur du premier capital fixe n*est pas 
immortel : lui disparu, à qui revient le bénéfice 
de ses épargnes et de ses inventions? A TÉtat? 
La philosophie de Hodgskin lid interdit d'envi- 
sager cette hypothèse. Aux exploitants de son 
capital et de ses procédés ? Il faut donc que FÉtat * 

(I) a6 avrU i8{»4, pp. 458-469. 



Digitized by Google 



CUAPITHB THOISlàMB 



l63 



interyienne pour limiter la liberté que pourrait 
revendiquer le producteur de transmettre sa 

richesse par donation, héritage et testament. Ou 
bien, si cela n'est pas admis, il faut admettre la 
légitimité de cette transmission et, du même coup, 
de raccuniulation capitaliste. Uodgskiu, qui ne 
veut pas de nouvelles lois contra Tusure* se borne 
à espérer que 

le progrès graduel de la société, par où le capital 

et le travail semblent de plus (;n plus se réunir dans 
les mêmes mains, est peul-être la solulion la plus 
appropriée, la plus juste, la plus aisée,de la difficulté. 

Il compte sur la multiplication des sociétés 
par actions, sur Tassociation des patrons et des 
ouvriers, et se rapproche singulièrement, par là, 
des simples radicaux (i). C'est que, depuis i832, 
les socialistes anglais sont devenus, ou bien des 
révolutionnaires qui croient préparer le règne de 
la justice par une révolution subite et violente 
et non par une évolution graduelle, ou bien des 
interventionnistes, réclamant, avec Tappui de 
certains tories^ de nouvelles lois, de nouveaux 
règlements, pour les protéger contre les patrons. 
Le public s'est remis à considérer avec laveur 

la fausse notion qu'un ou deux grands esprits — 
un Louis Blanc, un Lamartine, un lord Ashley — 
peuvent modeler la société, et que la société ne peut 

(I) 17 mars 1849» PP* ^ 4- 



Digitized by Google 



THOMAS HOD68K1N 



recevoir de secours que de l'action d'esprits comme 
ceux-là (i). 

£t les noms choisis à titres d'exemples (deux révo- 
lutionnaires, un socialiste tory) sont caractéris- 
tiques : s'il faut choisir entre un libre-échan- 
gisme bourgeois et un interventionnisme ouvrier, 
Hodgskin ne peut s'arrêter au deuxième ternie, 
qui lui parait contradictoire. Il ne voit pas dans le 
libre-échang^sme une panacée universelle, mais 
le premier pas dans 1 application d'une méthode 
qui finira par guérir tous les maux sociaux. Il 
constate en i854 T accroissement du paupérisme, 
et il l'explique. 

Toutes les causes générales» quelles qu'^es soient, 
• du paupérisme existent encore, et nous ne pouvons 
compter sur l'extinction même approximative du 

paupérisme tant qu'elles n'auront pas été écar- 
tées. Le libre-échange et les découvertes d'or, la 
nourriture à bon marché, l'accroissement rapide de 
travail, ont eu les effets les plus bienfaisants pour la 
diminution du paupérisme» mais ces influences ne 
sont plus capables de compenser l'influence néfaste 
qui cause le paupérisme en tous temps.... L'inves- 
tigation des causes du paupérisme général dans 
la société nous conduirait cependant bien loin ; 
bornons-nous à dire que le libre -échange était lait 
seulement pour en surmonter temporairement 
l'influence et qu'il nous iaut, pour nous débarrasser 



(1) octobre 1848; pp. 1190- 1191. 



Digitized by Google 



CHAPITRE TROIUÀMB 



l66 



Gomplèlemeiit du paupérisme, une succession de 
mesures libre-échangistes, ou de mesures propres à 
écarter les obstacles que l'ignorance et la présomp- 
tion ont, jusqu'ici, dressés sur la route de ilndépen- 
dance individuelle et du progrès social (x). 

En i855, Hodgskin cesse de donner à ïEco- 
nomisi des études critiques : ses vues d'économie 
politique théorique,trop excentriques encore, ont- 
elies fini par indisposer Wilson, le directeur de 
la Revue ? Mais il n'y pas encore brouille entre 
Wilson et Hodgskin, qui, de novembre i855 à 
avril 1857, poursuit, dans une série d'articles de 
fond, une campagne, depuis longtemps commencée, 
pour la l'éi'orme du droit pénal. Cest toujours, 
aux yeux de Hodgskin, le problème capital ; sur 
ce point, sa pensée n'a jamais été troublée par la 
moindre incertitude. — On est frappé de la mul- 
tiplicité des crimes ; on est porté à croire que le 
nombre eu augmente ; les réactionnaires, natu- 
rellement timides, rendent responsable de cet 
accroissement présumé de criminalité la nou- 
velle civilisation industrielle et commerciale. On 
dénonce la spéculation» mais 

sans spéculation nous n'aurions ni chemins de 

fer, ni docks, ni grandes conipa<^nies. . Quelques-uns 
des individus les plus utiles, les plus grands, les 
plus riches d'aujourd'hui — les Stephensou, les Peto» 



(I) 18 février p. 170 



Digitized by Google 



i66 



THOMAS HODGBKIN 



les Brassey, les Baring, les Thoruton, les Rothsdiiid 
— sont des spéculateurs (i). 

On dénonce le désir de la richesse ; mais, 

ce désir bien analysé, on trouve qu'il se ramène, ou 
peu s'en faut, au désir du respect mutuel. En dehors 
de cela, la richesse se ramène à la nourriture, au vête- 
ment et an chauffage. Le désir honnête de ht richesse 
consiste à recevoir des services et des honneurs en 
échange de services et d'honnenrs rendus. 11 est une 
partie intégrante et nécessaire delà société; sans lui, 
les hommes ne pourraient vivre en communauté (a). 

On dénonce le conuuerce, mais 

nous sommes tous des commerçants... et... le 
commerce ne consiste qu'en services mutuels par 
marché réciproque (3). 

On dénonce la concurrence ; mais 

elle est le principe d'excellence et donne à chaque 
homme sa juste récompense (4). 

On dénonce la civilisation elle-même, 

mais les traits caractéristiques des sauvages, de 
ceux qu'on découvre de nos jours, de ceux que l'an- 
tiquité connaissait sont un parfait égoisme, l'absence 
dniuniaiiiié el plusdcruse que d^honnêtelé (5). 



(I) mars i8.56, p. qoS. 

(a) Oar chivf criine^ i^ô7, p. 2. 

(3) Oar chief crinie^ 1867, p. 2, i" mars i856, p.iiaS. 
(4t Oar chief crime, 1867, p. 3. 
(5; Ibid. 



Oigitized by 



GHAPITRB TROmÈMB 



On s en prend à la grande industrie, aux 
grandes Tilles : lord Grey voit, dans Taugmen- 
tation de la criminalité, « la conséquence natu- 
relle d'une densité croissante de population et de 
richesse ». Mais 

que la population croisse en densité, c'est la con< 
séquence naturelle et nécessaire des plus puissants 

instincts de noire espè(!e ; qu'elle se soit jusqu'ici 
accrue, c'est un l'ait cerlain; qu'elle soit destinée à 
s'accroître par la suite, cela semble aussi certain 
qu'il est certain que le soleil continuera à se lever; 
que tons les hommes s'efforcent de devenir riches, 
cela est également certain; si, par conséquent, comme 
lord Grey l'a établi et comme l'opinion publique 
l'admet, de l'accroissement de la population et de la 
richesse découle un accroissement de la criminalité, 
il est déraisonnable d'espérer qu'un système quel- 
conque de lois pénales ou de maisons de correction 
peut arrêter le flot (i). 

Après tant de déclamations confuses, la phi- 
losophie du droit pénal reste à constituer. 

Hodgskin s'essaie à cette tâche; ou, plus 
exactement, il vérifie ses préjugés, depuis long- 
temps ûxés en ces matières, par des recherches 
statistiques approfondies. Dès le début de sa 
collaboration à V Economiste il s'est chargé des 
articles de statistique morale sur le nombre 
des mariages et des naissances, sur le nombre 

« 

(i) ij janvier iSô6, pp. 3i-3fl. 



Digitized by Google 



l68 THOMAS HODOSKBI 

des pauvres assistés, sur le nombre des erinies 
commis et des condamnations prononcées. Il 
connaît les difiicnltés de ces recherches. Les 
phénomènes sociaux sont complexes et les causes 
continuent à se prolonger dans leurs effets long- 
teuips après avoir cessé d'exister. On ne doit pas 
juger du nombre des crimes par le nombre des 
condamnations : il pourrait arriver qu'une nation 
très criminelle lût, en raison de son insensibilité 
morale elle - même, très peu sévère dans la 
répression du crime (i). Les statistiques officielles 
sont, en outre, mai faites, et dépourvues de carac- 
tère scientifique. Uodgskin croit cependant pou- 
voir établir, par l'analyse approlondie et prolongée 
de ces statistiques, que la criminalité a pour 
cause la mauvaise distribution de la richesse, la 
misère; que la misère elle-même a pour cause 
la violation des lois naturelles par la législation 
humaine; que i on ne saurait donc compter sur la 
législation pénale poui* combattre la criminalité, 
effet indirect de la législation économique et, qui 
plus est, eilet direct de la législation pénale. 

La criminalité, dit-on, a augmenté. Mais les 
statistiques criminelles, mieux faites, mettraient 
en lumière le fait que tous les délits n ont pas 
subi l'augmentation dont on se plaint. Le nombre 
des crimes conti^e la personne est l'esté statiou- 

(1) aa septembre i849» pp« 106S-1061. 



Digitized by Gopgle 



r 



CHAPITRE TROISlàlfB 



i«9 



nairt', s'il n'a pas eireclivemenl diiiiimié ; ce sont 
les ci'iuies contre la propriété qui sont devenus 
plus fréquents. Encoi*e les statistiques ne peuvent- 
elles pas nous iournir de reiiseiguements exacts 
sur raugmentation de ce second ordre de délits : 
comment dire, sur le nombre des crimes actuelle- 
ment commis contre la personne, combien sont 
dus à rinstinct de vengeance, combien à Tesprit 
de lucre et au désir de s'enricliir? Est-ce donc 
que la législation pénale a été plus habile à 
atteindre les crimes contre la personne qu'elle ne 
l'a été à atteindre les délits contre la propriété ? 
En aucune façon; mais c*est que, parmi les droits 
de l'individu, le droit à la vie est plus facile à 
délinir que le droit de propriété. Plus compréhen- 
sible, il est plutôt respecté et garanti par Topi- 
uion publique, sans contrôle législatif ou gouver- 
nemental. Carie droit de propriété est complexe» 
il est changeant. C'est un droit social et, 

de même que l'individu ne naît pas adulte, mais est 
soumis à la croissance et possède, selon son Age, 
des droits différents et des devoirs différents, de 

même la société nV st pas créée adulte, mais croît à 
mesure que la population se multiplie, et, à mesure 
qu'elle croit, eUe modilie les droits sociaux ^i). 



U) Our chief crime ^ 1867, p. 5; cf. i*^ mars et 8 mars 
1856, pp. 2a3-353. 

5. 



Digitized by Google 



170 



THOMAS HODOBKIN 



Les législateurs, les gouvernants, en préten- 
dant iixer, immobiliser ce qui, en vertu de sa 
nature, change sans cesse, sont responsables en 
partie de l'augmentation du nombre des crimes 
contre la propriété. 

D^aOleurs, la statistique nons enseigne que 
Taccroissemeut du nombre des crimes contre la 
propriété n'a pas été, depuis le début du siècle, 
uniforme et constant. Hodgskin, avec des chiffres 
a Tappui, fait voir que, de i8oa à i856, les oscil- 
lations de la criminalité ont suivi les oscillations 
de la richesse publique. 

11 y a une connexion étroite et intime entre la 
pauvreté et le crime, entre le défaut de prospérité et 
la multiplication des délits, entre le défaut de nour- 
riture et le désordre social. . . La misère et le crime 
s'accompagnent comme la substance et l'ombre, — 
comme le son et l'écho. Etant donnés, chez mi peu- 
ple, le degré de prospérité commerciale et la quantité 
de bien-être honnêtement obtenu* l'expérience du 
passé nous permettrait de déterminer, avec une exac- 
titude presque arithmétique, le taux de la criminalité 
existante à l'époque (1). 

La criminalité a pour cause non pas le désir 
de la richesse, mais Fimpossibilité où ce désir se 
trouve d'obtenir sa satisfaction légitime par 
Teffet d'une mauvaise distribution des richesses. 

(i) 18 mai 1844, p. 811 ; la oetobre 1844, pp- 11299-1300. 



Digitized by Gopgle 



GBAPmB TROI8IÈMB Z^I 

Le nombre des crimes a baissé chaque ibis — vers 
i&k5, vers i843 — que l'application de la politique 
libre-échangiste a produit, en dépit de la phrase 
célèbre de Gladstone sur les dangers de la con- 
centration des capitaux, une distribution plus 
égale des fortunes (i). Il peut même être arrivé, 
dans ces années de baisse de la criminalité, que 
le nombre des crimes de violence soit resté 
stationnaire : mais cela u iniirme pas la thèse de 
Hodgskin ; car 

on n'attendait pas que le libre-échangisme amoin^' 
, drirait la colère, la honte, la jalousie, la vengeance 

ou toute autre émotion de ce genre ; il ne faisait 
concurrence à aucune loi criminelle ; mais il visait à 
diminuer la misère, et avec elle les tentations de 
violer le droit de propriété : en conséquence, le nom- 
bre des délits contre la propriété a diminué (a). 

A ces augmentations de la richesse publique, 

dues à TémancipatioD de 1 industrie nationale, a 
correspondu, d'ailleurs, une augmentation de 
population, 

preuve à l'appui de ce principe important, que le 
principe moral se développe dans la mesure où Tes- 
pèce se multiplie. Ce principe est fécond en bril- 
lantes espérances pour Tavenir, puisqu'il nous conduit 



(i) i5 mars i856, pp. 280^81; 22 mars i856, pp. 3o(>-3o8; 
j4 juin i856, pp. ; 26 juillet i856, pp. 8i3-8i4. 

14 mai i853, p. 534' 



Digitized by Google 



IJ2 



THOMAS UODGSKUl 



à croire que i'àge d'or de nos ancêtres était un 
simple idéal propliétique, qu'il appartiendra à nos 
descendants de réaliser (i). 

Bref, pour supprimer le crime, il est néces- 
saire et suliisant de supprimer la misère ; et, pour 
supprimer la misère, il suffit de la laisser s'élimi- 
ner spontanément, après abrogation des lois qui 
prétendent protéger le commerce et l'industrie : 
par où se trouvent implicitement condamnés 
tous les procédés légisiatiTs sur lesquels on 
compte pour devancer cette élimination graduelle 
et nécessaire du crime. Car toutes les raisons qui 
valent contre Teilicacité des lois économiques 
valent, a fortiori, contre Tefficacité de toutes les 
lois. 

Dans presque tous les ordres de règleinenls 
commerciaux ~ la loi sur les céréales, par exemple, 
tout le tarif douanier» la loi fameuse de iâ44* 
fruits les plus récents des délibérations paisibles du 
Parlement sous la direction du plus sûr de tons les 
hommes d'État du siècle —, le Parlement a échoué. 
Pourtant ces lois concernent toutes des objets maté- 
riels et mesurables, aliments, or, monnaie, vêtements, 
nombre d'habitants, etc ; elles étaient toutes des lois 
modernes, faites à une époque où les sujets auxquels 
elles se rapportaient devaient être l'objet d'investi- 
gations nombreuses et étaient supposés parfaitement 
connus. Si donc les plus sages commettent de telles 



(I) ao juillet i8ôo, pp. ^^7^0. 



Oigitizeci by 



CHAPITaS TROISlàMB 



méprises alors qa*il s*agit de choses mesurables, 
n'est-on pas en droit de supposer que des lois et des 

règlements mis en vigueur il y a longlemps. alors 
que l'on ne pouvait se ligurer, même en rôve, les 
conditions sociales d'aujourd'hui, ne sont pas les 
meilleiirs moyens pour développer, dans le présent 
et l'avenir, la moralité et le bien-être poblics (i) ? 

Hodgskin reprend donc, une fois de plus, sa 

critique de la notion de loi. Les lois sont toujoui*s 
coûteuses dans leur application ; elles produisent 
de la pauvreté, et la pauvreté est la eause du 
crime (a). Elles sont immobiles dans une société 
qui se transforme à chaque instant. Elles sont 
rigides et elles s'appliquent à une matière inti- 
niment variée (3). Surtout elles entretiennent 
dans les esprits, par leur existence même, la 
coulusion entre ce que la nature interdit et ce 
que la loi condamne, entre Fimmoral et l'illégal, 
entre le droit naturel et le droit positif. 

Les notions que nous avons du crime et de la 

peine sont en train d'acculer à d'extraordinaires 

contradictions ceux qui mènent la société, ceux qui 
aspirent à en diriger l'action globale, action distincte 
des aetions isolées des individus, qui sont la cause 
de toute sa richesse. On commence par postuler que 
le crioie, c'est ce qui est détendu ; et, sans s'inquiéter 



(i) novembre i855, pp. i96o-i96f. 
ia] 7 Juin iS66, pp. 61M19. 
(3) 3o mars 1860, pp. 339-34a 



Digitized by Google 



174 



THOMAS HODOSKOr 



beaucoup de savoir ce qui est défendu ou quelles 

espèces particulières d'actions sont défendues, on 
conclut instinctivement que les actions qui blessent 
ceux qui agissent au nom de la société globale sont 
des crimes; et, par suite, au lieu de veiller seulement 
à ce que les défenses de la nature soient respectées, 
un nombre immense d'actions — par exemple yendre 
ou boire un verre de bière à une heure déterminée, 
lorsqu'un homme a chaud ou soit' — sont classées 
comme crimes et punies (i). 

. Par où s'explique l'immoralité manifeste des 
I gens de loi : ayant pour métier de défendre la 

' loi parce qu'elle est ancienne, parce qu elle est 
. loi, leur sens moral retarde toujours sur celui 
du reste des hommes, et en particulier des com- 
merçants, qui créent, progressivement et insen- 
.siblement, la morale spontanée de la société 
naturelle (2). Ceux qui font la loi, ce sont les 
riches. 

Notre jurisprudence pénale, dans la mesure où 
elle concerne la propriété, est une espèce de législa- 
tion de classe (3). 

Ceux qui l'ont créée, ce sont ceux qui, avant 
rappai*ition de la richesse mobilière^ détenaient 

(i) 3o septembre. i8ft4» pp* io65-tofi6. Cf. 37 mars i859, 
pp. 337^ 

fa) sS juin i855 : pp. 671-673 Cf. i5 septembre et 3 no- 
vembre iS56, pp. lozi, iaîo4-xso5. 
(3) 6 septembre i856, p. 989. 



Digitized by Gopgle 



I 



GHAPltRB TROlSlàMB 1^5 

le pouvoir : les propriétaires du sol, mailres 
d'esclaves. 

Sur ce point comme sur tous les autres, les 
hommes ont commencé d'agir avant d'avoir acquis, 
ou pu acquérir, la connaissance des conséquences de 
leurs actions. Dans tous les Étais de Tantiquité et du 

nioyen-âg-c, resclavage r(''gnail en Euro[)e, et c'est 
dans cet état social que les principes de notre législa- 
tion pénale furent adoptés; c'est à lui qu'ils lurent 
adaptés. A Torigine, les lois furent naturellement et 
nécessairement Texpression de la volonté arrogante 
des maîtres. . . Alors. . . la simple force brutale— la 
vigueur d'un Hercule ou d'un Saïuson — était de 
toutes les qualii és lu [)lus a<lmirée et la plus honorée . . 
11 était alors naturel que l'homme considérât cette 
qualité dominatrice comme le moyen d'obtenir le 
succès en toutes choses, et, s'il visait à atteindre une 
fin morale, c'était encore par les mêmes moyens 
physiques. La force brute fut incorporée à des lois, 
et, dans le inonde moral coiiiine dans le monde 
physique, on attendit d'heureux eilets de l'emploi de 
la violence. . . En dépit de la longue expérience con- 
traire que nous offre, en particulier, le spectacle de la 
vie domestiqué, en dépit de l'expérience des écoles et 
des universités, de la marine, des armées et des 
universités, expérience qui, à tous les degrés, tendait 
à nous convaincre que, de tous les moyens à employer 
pour atteindre un but moral, la violence étail le pire, 
nous continuons à vénérer, dans le principe de la 
violence, le tondemcnt de notre code actuel; et nous 
demandons la sécurité, la vertu, la réforme des mœurs, 
aux violences que le code prescrit sous forme de 
peines : emprisonnements, déportations, pendaisons. 



Digitized by Google 



THOMAS BOOOS&Uf 



fusillades. • . Le principe de la violence» l'espoir de 

réaliser un progrès moral par l'emploi de la force 
physique, était à la base <ie toutes les perséculions 
religieuses, aujourd'hui si justement stigmatisées. 
Le même principe est encore la base de toute notre 
législation pénale (i). 

Mais, après le triomphe du principe de la 

tolérance en matière religieuse, il est naturel et 
nécessaire que la ruine du principe de la violence 
soit un jour consommée par la disparition de 
toute espèce de législation pénale. 

En détail, Hodgskin démonti*e la vanité des 
diverses pénalités imaginées pour prévenir le 
crime. Si la peine de mort a une efficacité, ce 
n*est pas celle que cherchait le législateur en 
l'instituant. Reprenant une théorie déjà formulée 
par lui*méme, autrefois, dans son « Voyage en 
Allemagne », Hodgskin distingue deux éléments 
dans la loi : d'une part, la déclaration solennelle 
de ce que la nature interdit, ou est supposée 
interdire, et, d'autre part, la menace d'une peine 
infligée par les agents du gouvernement, menace 
destinée à intimider ceux qui éprouvent une 
tentation réelle de commettre lacté interdit. 
Avertir que telle action déterminée constitue un 
crime capital, c'est avejtir tous les citoyens, 
tous ceux qui considèrent d'ailleurs leur déca- 

(i) 219 décembre i855, p. 1428; 17 novembre i855,p. is6i. 



Digitized by 



CHAPITRE TROISIÈME 



pitation comme infiniment invraisemblable et 
iuintaine, c[ue l'acle en question est tenu^ par la 
société à laquelle il appartient, pour particuliè- 
rement détestable ; c'est inspirer, à l'égard de cet 
acte, une aversion exceptionnelle ; c'est détruire; 
chez quiconque craint la réprobation de ses sem- 
blables, la tentation de le commettre. Mais^ pour 
les criminels professionnels, pour ceux qui sont 
tentés de commettre le crime, qui sont sm* le 
point de le commettre, la crainte de la mort, que 
le législateur avait précisément le dessein d'ins- 
pirer, n exerce qu'une influence insignifiante : 
la menace du châtiment n'est qu'un risque ajouté 
à tant d'auti'es, un charme de plus dans une vie 
de dangers et d'aventures. L'action éducative de 
la peine capitale est réelle, mais ce n*est pas dans 
la mesure où son action consiste non pas à suppri- 
mer le coupable ou à lui faire craindre sa sup- 
pression, c'est dans la mesure où elle le frappe 
d'infamie ou, mieux encore, Tavertit qu il est 
frappé d'infamie par ses semblables (i). 

Avec la mort toute peine terrestre, tout chftiiment 

prend fin. Il faut pcriuettre au pécheur de vivre pour 
qu'il souHre et serve de leyon aux autres (2), 

La peine de mort n'est-elle pas, d'ailleurs, 

(I) a mai 1867, pp. 475-476. 

(aM7 mai 1866, pp. 53i-633; cf. 3i mai x856, pp. 587-58S. 



Digitized by Google 



IjS THOMAS HODGBKIM 

déjà virtuellement abolie (i) ? Les jurys| ne Com- 
mencent-ils pas à éprouver des scrupules reli- 
gieux lorsqu'ils se voient obligés par la loi d'en 

demander rapplication ? 

Ce n'est pas à nous, ni à aucun homme, de pré- 
férer ce que notre imagination peut conjecturer de 
Tavenir aux prescriptions simples de la moralité. 
Nous devons tous essayer de bien agir, et puis nous 
fier, pour l'événement, à celui des mains de qui 
dépendent tons les événements de cette vie.... Le 
jury de Devizer et le public en général chérissent la 
croyance à l'immortalité, à des peines et des récom- 
penses après la mort, et la trouvent incompatible 
avec rinfliction de la peine de mort : tôt ou tard, et, 
pour une part» en raison de cette incompatibilité, il 
faudra que Ton y renonce (a). 

A défaut de la peine de mort, conservera-t-on 

ce que le droit anglais appelle les peines secon- 
daires ? la prison ? la déportation ? La prison 
crée le récidiviste, le criminel professionnel, et 
le droit pénal moderne n a pas encore découvert 
les procédés qui débarrasseront la société du 
criminel professionnel. C'est d'ailleurs une loi, en 
économie politique, qu'en subvenant à Tentretien 
d'une certaine classe d'hommes, on assure la 
reproduction constante, i'oilï*e régulière de la 
classe d'hommes en question. Tout l'argent que 

(i) 29 janvier i853, pp. Ii4-ii5. 

(a) 18 août 1849, pp. 909-910; cf. 2G janvier i856, p. 84. 



Digitized by Gopgle 



OBAPITBK T&OlSlàlfB 



179 



coûtent il 1 Etat la déportation et les prisons 
constitue une demande perpétuelle de criminels : 
d*o(i une ofAre correspondante. La prison est « ce 
qui nourrit le crime (i) ». 

Mais la philanthropie moderne a imaginé, 
pour lutter contre la criminalité, des remèdes 
purement préventifs, des établissements pour la 
« réforme » des jeunes détenus, un système géné- 
ral d éducation du pt'uple par TEtat. Malheureu- 
sement, les reformatories n*atteignent pas leur 
but. On veut mettre les enfants en état de gagner, 
plus tard, honnêtement leur yie ; et on leur impose, 
en attendant, une existence d*esclaves, radicale- 
ment différente de leur existence future d'hommes 
libres (a). S'il s'agit d'élever paternellement les 
enfants, mieux valait s'adresser aux parents. 

— Mais ces pai^ents élevaient mal leurs enfants. 

— C'est trop souvent parce qn*ils étaient misé- 
rables : voici qu'on les appauvrit encore, en 
demandant à la nation de subvenir, par 1 impôt, 
à Tentretien des reformatories (3). Quant à Fensei- 
gnement du peuple par TËtat, on sait déjà que 
Hodgskin s*est déclaré hostile à ce procédé gou- 
vernemental de moralisation des masses, coûteux 



(I) 10^ mai x856 : pp. 5o3-5c4; cf. 90 avril 1866, aS sept. 
i856, p. 1178. 

(a) 99 déc. i865, pp. i4a7-i49B. 
(3) 6 sept. 18S6, pp. 981-a. 



Digitized by Google 



THOMAS HOOGaKUf 



et nuisible comme les autres. Si les statistiques 
prouvent, dans une certaine mesui^e, qu'il existe 
un rapport inverse entre le nombre des criminels 
et le développement de Téducation, c'est qu'il 
s'agit de Téducation privée. Mais le progrès de 
l'éducation privée, le fait que, spontanément, les 
parents sont disposés à donner plus d argent pour 
réducation de leurs enfants, implique un accrois* 
sèment général de la richesse et de la prévoyance 
populaires : et voilà la véritable cause de la 
diminution du nombre des crimes (i). 

Ni) as observons, depuis les origines de l'iiisloire, 
un progrès graduel du savoir, qui, se développant 
naturel iement et nécessairement à mesure que la 
population augmente, amène avec soi la civilisation. 
Nous espérons, certainement, qu'à la fin, et à une date 
peu éloignée, ce progrès enseignera aux hommes à se 
passer de policiers, de soldats et de geôliers. Ce genre 
de progrès, nous le voyons partout, et peul-èlre 
toujours. L'éducation, qui enrégimente conscien- 
cieusement les hommes dans la stricte adhésion aux 
connaissances antérieurement acquises, qui les 
dresse à accepter les vues et servir les fins des édu- 
cateurs, nous en avons le spectacle au Paraguay. 
L'éducation, alors, est tout entière ténèbres et des- 
truction; — le progrès du savoir est tout entier 
lumière et vie. Mais ces deux chose&r dilTérentes et 
opposées, lorsqu'elles se rapprochent Tune de l'autre 
et que l'éducation est employée à répandre tfne petite 

(i) 12 avril j856, pp. 3t)3-3y4* 



Digitized by Googlè 



CHAPITRE T&OISlàllB 



l8l 



partie da savoir continuellement acquis, sont eon- 
ibndues par bien des gens, el regardées comme une 
seule el môme chose; alors les eftels bientaisants du 
progrès naturel du savoir sont attribués à des sys- 
tèmes comme celui du Paraguay, systèmes faits pour 
FentjraTer, sinon pour rétonffer tont-à-fait (i). 

Faudra-t-il, en conséquence, abolir tontes les 

lois, et puis compter $ur la disparition, immédiate 
ou rapide, de tous les crimes ? Uodgskin ne va 
pas jusqu'à cet excès de simplisme. Si la dispari- 
tion du régime de la loi est le vrai remède contre 
le développement futur de la criminalité, encore V 
existe-tril actuellement des crimiuels, produits 
d'un état imparfait de civilisation. Que faat4l \ 
faire de nos criminels ? Au début de 185^, Hodg- 
skin aborde le problèuie (2) pour le ramener à \ 
ses termes élémentaires. Il distingue entre deux ' 
classes de criminels : les uns, que l'on rencontre 
dans toutes les circonstances et chez tous les 
peuples ; les autres, qui existent seulement dans 
les sociétés les plus civilisées et les plus complexes; 
— les premiers, coupables par accident ou par 
occasion, qui commeUent les crimes de passion ; 
les auti^es, criminels professionnels, 

qui vivent par et dans le crime, qui s'y sont 

(I) 17 avril i847« PP- 4^^440 j cf* i<> avril, pp. (^lo-^^iu 
(a) 3i janvier 1867 : How toget rid of our eriminala 

pp. IIO-XII. 

H. — e. 



Digitized by Google 



THOIIA8 HODOSKIN 



exercés dè.s renfance ou bien s'enrôlent constam- 
ment dans l'armée (ks criminels, dont la vocalion et 
Je métier est de transgresser et d'éluder la loi, pour 
qui la société est un ennemi à dépouiller,- qui, en 
définitive, exeriSent one profession dans laquelle le 
vol qualifié (pettjr larcenj) est le premier grade, le 
cambriolage ou la fabrication de fausse monnaie 
riionneur suprême. 

A propos de ceux-ci, les seuls que Hodgskin 
considérera, deux problèmes se posent encore : 
que faire des criminels quand nous avons mis la 
main sur eux ? que laire de ceux que nous remet- 
tons en liberté, une ibis leur condamnation pur- 
gée ? Sur ces deux points, Hodgskin se propose 
de déliai r les principes j puis d examiner les 
moj'ens d^exécution. 

Le 28 février, Hodgskin ti-aite de la (|tiestion 
des prisons (i). 11 réclame des prisons cellulaires, 
en Tabsence desquelles les prisons sont les écoles 
du crime. 11 critique la metUude qui consiste à 
infliger aux petits délinquants des emprisonne- 
ments répétés, mais très courls, qui finissent par 
ne plus agir sur T imagination du coupable, et par 
devenir pour lui une habitude. Le si mai, il traite 
de la peine de mort (2). Mais un article du i6 
mai (3), qui contient un éloge sans réserves des 

(I) Lihevated criminals. — How crime ia Jo8i€r€d,p, aaa. 
(a) Th^bearing of pénal laws on the criminal classes» 
pp. 4:o-4;(). 

(3) liepression of crime^ pp. âSii-ôâS. 



Digitized by Gopgle 



CHAPITRE TROISlàllB 



l83 



reformatorieSy et dénonce r«hamanitarisme faible 
et morbide, aujourd'hui à la mode », u est visible- 
ment plu» de Hodgskin. Wilson vient de rompre 
avec lui : sans doute il a trouvé ses articles trop 
doctrinaux pour une Revue d'informations com- 
merciales et financières, et trop compromettants 
pour une Revue où les articles ne sont pas signés; 
ou bien encore, plus simplement, les doctrines 
de Hodgskin lui ont déplu. Hogdskin se trouve 
réduit à liaire appel directement au public et lance 
des invitations à deux conférences qu*il organi- 
sera, le aomai et le 3 juin, à Saint-Martiu's Hall, 
pour exposer sa philosophie, toute négative, du 
droit pénal. 

Au début de sa première conférence (i), 
Hodgskin introduit dans sa philosophie sociale 
un élément nouveau, qu'il semble avoii* emprunté 
à Garlyle : ce facteur, c'est Timitation. 

L'homme est né dans la société, comme il est né 
homme. Les lois ne créent pas la société. L'homme 
est grégaire comme le mouton ; et, comme l'abeille^ 
il travaille en commun pour assurer sa subsistance 

propre et la subsistance de l'espèce (a). 

Limitation est un facteur dont V extension est 
universelle. 



{i)What ahaU we do mth our criminals ? Don't create 
them. À lecture, delivered at St-Martin's Hall, m»y aoth 
IS5:;. 

(a) FP. i3-i4. 



Digitized by Google 



THOMAS HODG8K1N 



Dans cette condition de dépendance réciproque où 
sont les hommes, la société ne serait qu'une succes- 
sion de conflits, où le frottement finirait par tout 
réduire en pièces, si les hommes n^étaient doués des 

moyens de se mouler l'un Tautre par une action 
réciproque et silencieuse ; de sorte que tous soient 
subordonnés à la fin commune, qui est de tendre au 
bien générai (i). 

L'imitation est un iketeur dont ïintenaité ya sans 

cesse croissant. 

Dans le progrès de la société, l'éducation» le loisir, 
des carrières dilTéri^ntes, bornant nécessairement 
l'attention de chacun à des objets différents, tendent 
à mettre la variété dans les connaissances et la dis- 
cordance dans les habitudes ; Tinfluence silencieuse 
de l'exemple est l'huile qui diminue et détruit le 
frottement des individus dissemblables et des classes 
dissemblables. Les procédés de l'un sont imités par 
un autre. Les jouissances sont contmùellement éga- 
lisées... U y a tendance constante à retourner à 
TégaUté originelle de l'humanité et à la conserver 
toujours pendant que tous progressent (a). 

L'influence imitative des classes supérieures 
. sur les classes inférieures, voilà le thème que 
Hodgskin se propose de traiter ; par ce biais, il 
démontrera que ni la nature ni les classes 
gouvernées ne sont responsables de l'existence 

{!) P. 14. 

(a> P. 17. 



Digitized by Gopgle 



GUAPITRB TROlâlÀMB 



l85 



du crime, que les criminels soDt « le résultat 

inévitable d'un système erroné ». Que deçons- 
nous faire de nos criminels ? demandent les diri- 
geants ; Hodgskin répond : Ne les créez pas. 

Les classes supérieures ont exercé sur les 
classes inférieures cette influence salutaire de leur 
inspirer le goût du luxe, d'augmenter leurs besoins 
et» par suite, en iin de compte, d'améliorer leur 
condition. Elles ont encore, par leur exemple, 
discrédite les habitudes violentes et la pratique 
du meurtre. Mais, d'autre part, elles ont été, de 
tout temps, les classes gouyemantes ; et, contre 
les pratiques gouvernementales.cause etprototype 
du crime, Hodgskin, une fois de plus, dans sa 
deuxième conférence (i), reprend ses anciennes 
critiques. Le droit positif est la négation du droit 
naturel, du droit de propriété en particulier. La 
loi, voilà le premier crime. Que l'on considère la 
méthode de rémunération des fonctionnaires. 
Dans les bonnes et dans les mauvaises saisons, 
en temps de prospérité et en temps de crise, ils 
se sont mis à l'abri des accidents naturels. La 
nature donne à chacun le produit de son travail 
ou bien, dans le monde de l'échange, une valeur 
équivalente à la valeur de ce produit. Mais les 

fij Onr chief crime : cause and cure. ~ Second lec- 
ture, on what shal) we do our criminais? déllvered at 
St-Mariin's Uali, june 3, 18Ô7. 



Digitized by Google 



i86 



TmOMAB HODGBKllf 



gouvernants veulent avoir des revenus certains 
et fixes, quel que soit le produit de Findustrie (i). 
Ils s'accordent tn conséquence pour prélever ce 
qu'il leur plait sur le produit annuel, du travail 
social. Pàreux, 

le droit Mcial de propriété, résultat inéçitable de 
la vie sociale^ inférieur beulement en importance et 
en sainteté au droit à la vie, et indispensable pour 
assurer la subsistance de tous» finit par être mis sur 
le même rang qu'un cérémonial de cour et par 6tre 
considéré par les Chanceliers de TÉchiqnier comme 
une chose qu'ils peuvent traiter à leur fantaisie à la 
façon d'une place de concierge dans un ministère (3). 

D'où, par réaction, les utopies communistes, 
la négation du droit de propriété, Tassimilation 
de la propriété au vol. Mais ces deux erreurs 
contraires sont destinées à dispai*aitre Tune et 
l'autre. 

Tous les besoins du peuple, physiques et sfuri- 
tuels, ne peuvent être satisfàits que par plus* de 
liberté et moins d'impôts. Les principes annoncés en 

1842, et auxquels on s'est depuis lors partiellement 
conformé dans la pratique avec un succès éclatant, 
doivent être introduits dans toutes les parties de 
la société. La concurrence illimitée, que la nature 
établit, doit être la régie de toutes nos transactions ; 
et c*est par les oscillations du marché, qui est action 

il) P. 20 
la) P. ^. 



* * Digitized by Google 



CHAPITRE TROISIÂMB 187 

réciproque et libre, que doivent être réglés les traite- 
ments des fonctioimalres et le paiement da clergé, 
aa même titre que le firofit dn boutiquier et le salaire 
du travailleur. La société ne peat rester unie si 

elle reste sous la domination de deux principes 
hostiles (i). 

Peu de monde assiste aux deux conférences ; 
parmi les assistants, plusieurs manifestent leur 
scandale. Hodgskin, en imprimant ses confé- 
rences, s'excuse du caractère nécessairement 
imparfait et sommaire qu'elles présentent et, 
dans un appendice, annonce son intention de les 
compléter 

en faisant voir que toute législation, y compris, 
naturellement, le gouyemement, est fondée sur de 
faux postulats. Il est occupé à préparer pour l'impres- 
sion un ouvrage qui sera intitulé démonstration db 
l'absurdité DE LA LÉGISLATION. Pendant toute une 
longue existence, le sujet a occupé sa pensée et sa 
plume, et il se propose d'expliquer ses vues sous une 
forme didactique et systématique (a). 

Mais Hodgskin ne publiera pas T ouvrage 
annoncé. Le loisir^ ou l'argent, ou la santé, ou 
le temps (il a près de soixante-dix ans) lui fera 

défaut. En janvier 1869, nous le voyons encore 
habitant le faubourg d'Islington, à Londres, et 



(1) P. 26. 

(a) P. note. 



Digitized by Google 



i88 



TBOlCiiS H0D08KIN 



protestant contre la légende qui attribue à Brou- 
gham la fondation dn Meehanies' Institute, En 
1860, il marie sa plus jeune fille, le seul de ses 
sept enfants qui n'ait pas encore quitté la maison 
paternelle. Lui et sa femme abandonnent alors 
une maison trop vaste, située dans un quartier 
devenu trop populeux. Us vont s'établir plus loin 
dans la banlieue, à Hounslow, puis à Feltham. 
Sans avoir complètement renoncé au journalisme, 
Hodgskin s^est affranchi de la nécessité d'écrire 
un article de journal par jour ; aidé à vivre par 
son fils, il passe quelques paisibles années de 
vieillesse, dans le repos de la campagne. Il meurt, 
le ai août 1869, après quelques jours de maladie, 
à Vkge de quatre-vingt-deux ans. Il semble que 
ses compatriotes, ses confrères, aient oublié son 
existence : pas un journal ne publie, à Londres, ' 
une notice sui^ sa vie et ses œuvres. 



Digitized by Google 



CONCLUSION 



Digitized by Google 



Ainsi s'achève, dans l'onhli, T histoire de cette 
carrière manquée. Pourquoi Hodgskin ne fit-il 
pas de ses facultés de penseur et d^écrivain 
Tusage qu'il aurait dû faire ? On peut en trouver 
la raison dans celte timidité, dans ce défaut de con- 
fiance en ses propres forces, dont il avait, jeune 
homme, tant soull'ert. On peut soupçonner aussi 
que les besognes du journalisme lui interdirent 
cette concentration de la pensée, nécessaire y)our 
la rédaction d'un ouvrage d'économie politique, 
de droit pénal ou de philosophie de l'histoire. Il 
faut tenir compte encore des circonstances histo- 
riques. Dans les années qui suivirent i83'i, il n'y 
avait pas demande pour an livre d'économie 
sociale doctrinale, de la part d'une niasse ouvrière 
insuffisamment éclairée. Les plus instruits parmi 
les ouvriers, sorte d'aristocratie parmi les travail- 
leurs, s'accommodaient de l'enseignement des 
disciples orthodoxes de Ricardo. Aussi bien, 
lorsqu'il fallait en venir à tracer un programme 
d'action pratique et de réformes, le socialisme 
libertaire de Hodgskin différait-il beaucoup du 
libre-échangisine des Ricardiens? Vingt ou vingt- 
cinq ans plus tard, Hodgskin aurait pu, à la 



Digitized by Google 



19» 



THOMAS U0DG3KIN 



rigueur, développer la philosophie anarchiste 

de l'histoire et de la société que Spencer et 
Buckle allaient pupulaiùser en Angleterre. Mais 
il était vieux, Spencer et Buckle étaient jeunes ; 
c'est Tannée iiiéme où parait» avec un succès 
foudroyant, le premier volume de V « Histoire 
de la Civilisation », que Ilods^skin, chassé de 
V Economiste dispai'ait dans la retraite. 

Son rôle est important, néanmoins, dans Fhis- 
toire des idées, et nous ne connaissons peut-être 
pas d'exemple plus propre à laisser voir quelle 
utilité présente l'histoire de la filiation des doc- 
trines pour la connaissance des doctrines elles- 
mêmes. 

Le point de départ des spéculations de 
Hodgskin, c'est le radicalisme utilitaire ; mais^ ' 
pour qui l'étudié au point de vue logique, le 
système de Bentham est un système équivoque : 
à demi autoritaire, à demi libertaire. Tantôt 
Bentham se fonde sur le principe de Tidentîté 
spontanée des intérêts pour ailirmer que le gou- 
vernement doit tendre à sa propre annihilation 
et [)oui' demander qu'on abandonne la société à 
l'opération naturelle de ce principe bienfaisant. 
Tantôt il a£9rme qu'il appartient au gouverne- 
ment, par 1 espoir des récompenses, et surtout 
par la crainte des peines, de créer artificiellement 
rharnionie des intérêts individuels. Godwin avait 



Digitized by Google 



GONCLUSION 



déjà, en se fondant exclusivement sur le premier 
principe, développé Tidée d^nne « société sans 
gouvernement ». Mais, lorsque Godwin écrivait, 
Bentham n'avait pas encore amalgamé les deux 
principes dans l'unité apparente d'un système, et 
leb industriels, maîtres de l Angleterre, n'avaient 
pas encore fait le snccès d'une doctrine qui leur 
promettait l abolition de toutes les entraves légales 
à l'esprit de spéculation commerciale, en même 
tem])s que la rédaction d'un code clair et efficace 
pour la répression des délits contre la propriété. 
Hodgskin ressuscite Godwin contre Bentham. Le 
premier, avant Herbert Spencer, il fonde une 
philosophie libre-échangiste sur la critique de la 
philosophie benthamique du droit. Alors que 
Carlyie, dans un mouvement de réaction 
passionnée contre les idées en cours, confond 
dans une même réprobation le benthamisme et 
le cobdenisme, Hodgskin aperçoit et met en 
lumière la contradiction des deux philosophies. 
Il ne peut admettre que le parti radical s'accom- 
mode d'une politique tantôt antigouvernementale 
et libérale, tantôt administrative et codifiante : 
« la société ne saurait rester plus longtemps sou- 
mise au joug de deux principes hostiles ». 

Mais, si les idées de Hodgskin ont leur point 
de départ dans la philosophie de Bentham, c'est 
dans la philosophié de Karl Marx, on le sait. 



Digitized by Google 



194 



THOMAS H0i>08K]N 



qu'elles vont se perdre ; et c'est sous leur ibrme 
marxiste qu'elles acquerront une universelle po- 
pularité. Karl Marx n'avait peut-être pas encore 
lu Uodgskin lorsqu'il publia là « Misère de la 
Philosophie »; cependant, sans compter que, dans 
cet ouvrage, il mentionne Thompson, disciple 
de Hodgskin, .il nous avertit qu'il pourrait nom- 
mer bien d'autres économistes anglais à l'appui 
de sa thèse. Dans le « Capital », il cite à plu- 
sieurs reprises les trois ouvrages de Hodgskin, 
aux passages les plus importants de sa théorie de 
la valeur. Qui sait même si, de i85o à 1860, tous 
deux étant journalistes, tous deux habitant Lon- 
dres, Hodgskin se trouvai! U en outre, par sa 
femme, en relation avec la colonie allemande, 
ils ne se connurent pas personnellement? — On 
ne saurait, dit Marx, admettre que le ti*avail est 
cause et mesure de la valeur, et en même temps 
admettre avec Ricai'do que le salaire est le prix 
du travail, ou en mesure la valeur ; car, si le 
travail mesure la valeur de toutes les marchan- 
dises, il n'est plus une marchandise ; le salaire 
représente la valeur non du travail, mais de 
Touvrier, source de travail, de la force de travail 
qui, pourvu que Ton prenne garde à en réparer 
la fatigue et Tusure, fournit toujours plus de 
valeur (pi'elle n'en crée. — Que d'analogies avec 
la théorie^ de Hodgskin ! Ricardo, nous dit Hodg> 



Digitized by Google 



CONCLUSION 



skin« reproche à Adam Smith d*avoir tour à tour 

défini la valeur par la quantité de travail néces- 
saire à produire la marchandise, et par la quantité 
de travail qne la marchandise, une fois produite, 
est ea[)able de commander sur le marché; or, il 
est évident que Tonne saurait, sans contradiction 
logique, considérer la quantité de travail comme 
mesurant la valeur des marchandises lorsqu'elles 
s'échangent les unes contre les autres, et le 
travail comme s'échangeaut lui-même contre une 
marchandise; car k le travail n'est pas une 
marchandise 0 ; mais, dans la seconde définition 
d'Adam Smith, » substituez le mot travailleur 
au mot travail », et alors peut-être exprime-t-elle 
mieux que la [)remière définition, reprise par 
Ricardo, la réalité des phénomènes de l'échange, 
dans une société où plusieurs classes économiques 
existent et où le capitaliste est une personne 
distincte du travailleur, auquel il commande. — 
Mais, d'autre part, il y a des analogies, également 
i'rappantes, entre la philosophie sociale de 
Hodgskin et celle de Herbert Spencer, qui a été 
son ami et, peut-être, à certains égards, a subi 
l'influence de ses livres et de ses entretiens. 
Deux idées fondamentales, deux postulats, disons 
si Ton veut, pour employer une expression de 
Hodgskin, deux <x ]M éjugés », leur sont communs. 
Ces deux préjugés, que nous proposons dappe- 



Digitized 



196 



THOMAS HODOSKIN 



lep le préjugé anarchiste et le préjugé juridique, 
essayons de voir dans quelle mesure Karl Marx 
les désavoue, dans quelle mesure, cependant, il 
en subit rinilueuce. Ce sera peut-être le meilleur 
moyen de déterminer par quels liens, psycho- 
logiques et logiques, Karl Marx se rattache à 
la tradition anglaise, excelle ni ment représentée» 
avant Spencer, par Thomas Hodgskin. 

Le premier « préjugé » de Hodgskin, c'est, 
disons-nous, le préjugé anarchiste. Quil existe 
un droit naturel et que, s^l existe un droit naturel, 
la notion de droit positif est absurde ; voilà, sa 
vie diurant, le thème fondamental, on serait tenté 
de dire le thème iniicjiie de toutes ses spécula- 
tions. Nous nous sommes attachés à conserver 
à Tanticapitalisme de Hodgskin la place subor- 
donnée qu'il a toujours occupée, dans son système, 
par rapport à son anarchisme ; sa critique du 
capitalisme n'a été qu'un incident, un «( épisode », 
dans la campagne incessante qu'il mène contre 
tous les privilèges gouvernementaux, contre toutes 
les oppressions légales. C'est dans la mesure où 
il croit qu il existe des lois naturelles et justes de 
la distribution qu'il conteste les fausses lois 
naturelles, admises par l'école de Ricardo, causes 
d'injustice et de misère. Qu'estHse donc que le 
capitalisme, véritable cause de l'injustice et de la 
misère ? Un accident historique, le résultat d'une 



Digitized 



G0NGLU810N 



conquête, qui ne peut déranger ni d'une manière 
très profonde ni d*ane manière très durable 
l'équilibre naturel des phénomènes économiques. 
Les lois positives ne peuvent avoir qu'une action 
mauvaise, elles ne peuvent avoir qu'une action 
insignifiante sur les lois permanentes de la 
nature : voilà les deux thèses de Tanarchisme 
de Hodgskin. 

Assurément Karl Marx n'accepte pas, pour sa 
part, la distinction, familière à l'école anglaise et 
fondamentale chez Hodgskin, de l'artificiel et du 
naturel. IL est d'accord avec Hodgskin pour 
critiquer les prétendues lois naturelles suivant 
lesquelles s'opérerait la distribution des richesses 
entre le propriétaire, le capitaliste et le salarié ; 
mais sa critique ne s'arrête pas devant la loi 
naturelle de l'échange, respectée par Hodgskin 
et sur laquelle il se fondait pour critiquer les lois 
de la distribution artificielle des richesses. Pour 
Karl Marx, la nature n'a pas créé de {toute éternité 
des individus autonomes, et ne leur a pas enseigné 
comment ils devaient échanger les produits de 
leur travail respectif, prolongements de leur 
personnalité, de telle sorte que chacun reçût 
l'équivalent du produit intégral de son travail. 
Il n'y a rien de permanent dans la nature, et la 
seule loi à laquelle elle obéisse est une loi de 
changement. La société humaine a préexisté à 



Digitized by Google 



198 THOMAS HCMMflKnr 

réchange ; c'est seulement à une époque déiiQie, 
dans et par l'échange, que les individus sont 
devenus des êtres séparés, indépendants les uns 
des autres. Si plus tard le jeu primitif de l'échange 
a été progressiyement altéré par Tappropriation 
du sol et r accumulation capitaliste, c'est là un phé- 
nomène historique, naturel et nécessaire comme 
tout autre. Le régime capitaliste est condamné 
lui-même à périr : mais ce ne sera pas pour laisser 
reparaître de prétendues lois naturelles, dont les 
incohérences du régime actuel auraient un instant 
masqué l'opération. Lorsqu'il aura disparu, la 
distribution des richesses s'opérera suivant des 
règles imprévisibles aujourd'hui, mais qui diffé- 
reront certainement autant de la distribution 
entre producteurs autonomes qu'elles pourront 
dilférer, par ailleurs, de la distribution actuelle. 

Quelle que soit cependant la différence entre 
la philosophie marxiste de l'histoire et l'opti- 
misme naturaliste de Hodgskin, des analogies 
profondes se laissent découvrir, soit que Ton con- 
sidère la théorie marxiste de la valeur, soit que 
Fon considère la théorie marxiste du progrès, soit 
que Ton considère la manière dont Karl Marx se 
représente le but final vers lequel ce progrès nous 
achemine. 

Karl Marx, dans sa théorie de la valeur, tient 
réiément différentiel pour négligeable ; il consi- 



Digitized by Google 



CONCLUSION 199 

dère la rente différentielle comme un simple pré- 
lèvement du propriétaire foncier snr le profit du 
capitaliste; de même pour le proiit commer- 
cial ; lui enfin, qui attache aux crises commer- 
ciales une telle importance dans sa pliilosophie 
de rhistoire, commence cependant par en 
démontrer Timpossibilité théorique, pour réintro- 
duire plus lard seulement, et par un détour, les 
théories d'Owen et de Sismondi sur la sm> 
production et Tengorgement du marché. Pour- 
quoi, sur tant de points, cette tendance à atténuer 
les imperfections de la distribution actuelle 
des richesses ? Pour le comprendre, il faut se 
reporter à Hodgskin ou, d'une façon plus géné- 
rale, aux économistes ëgalitaires anglais. Hodg- 
skin s'attache à diminuer l'importance de la 
. rente diûérentieile, justifie expressément le pro- 
fit commercial et nie le caractère normal 
des crises commerciales, parce que procéder 
autrement ce serait blasphémer contre la nature. 
Qui, demande Hodgskin en i854» se préoccupe 
aiyoui'd'hui de ce que Ricardo écrivit sm* la 
rente ? C'est, pourtant, en se fondant sur la 
théorie de la rente différentielle, approfondie et 
uniTersalisée,qu un nouveau socialisme va surgir, 
quelques années plus tard, différent de la doc- 
trine de Hodgskin, différent aussi, et pour les 
mêmes raisons, du collectivisme marxistei — un 



Digitized by Google 



200 



THOMAS UODGSKir<f 



socialisme fiscal et interventionniste. Le pré- 
jugé anarchiste interdisait à Hodgskin, avant 
tout examen, de le tenir pour légitime; et, si 
Ton songe anx ressemblances qni existent entre 
la théorie de la valeur chez Hodgskin et la même 
théorie chez Karl Marx, on voit comment, par 
contre-coup, la pensée de Karl Marx a* subi 
l'influence du préjugé anarchiste. 

Cette loi de Téchange, que Karl Marx em- 
prunte à Ricardo et à ses disciples, hétérodoxes 
ou orthodoxes, a d'ailleurs cessé pour lui d'être 
une loi étemelle ; la philosophie sociale de Marx 
est une philosophie de l'histoire ; mais, si nous 
cherchons quel est, dans son hypothèse, le fac- 
teur explicatif de Fhistoire, il semble que nous 
voyions repai^aitre, chez Karl Marx, l'opposition, 
anglaise par son origine, entre la réalité natu- 
relle et les artifices de l'esprit. Seule, nous dit 
Karl Marx, révolution économique est autonome ; 
elle commande l'évolution morale, révolution 
juridique, que les philosophies idéalistes avaient 
considérées comme indépendantes, comme suffi- 
sant à leur propre explication, et qui ne sont, en 
réalité, que le reûet de l'évolution économique. 
Or, l'école anglaise avait appris à Karl Marx à 
isoler ainsi l'évolution économique d'avec toutes 
les autres ; à définir un monde de la richesse, où 
des mobiles simples souffiwnt mie évaluation 



Digitized by 



CONCLUSION 



20 1 



quantitative, se matérialisent en quelque sorte 
sous forme de numéraire et de marchandises, 

monde à demi-pliysique et qui obéit à des sortes 
de « lois de la nature » ; et Hodgskin, sur cette 
conception du monde éconouiique, avait fondé, 
avant Karl Marx, une interprétation économique 
ou matérialiste de Thistoire. Marx a beau expri- 
mer en termes hégéliens son matérialisme histo- 
rique; c*est Hume, maître de tous les écono- 
mistes anglais et en particulier de Hodgskin, qui 
avait déiini Tidée comme «la copie d'une im- 
pression ». Uorigine de la philosophie marxiste 
de rhistoire est dans cet anarchisme économi- 
que, qui est un des préjugés fondamentaux de 
Hodgskin. 

L'évolution économique aura un terme ; et 
ce terme, Karl Marx, dans le même langage et 
pour les mêmes raisons que Hodgsldn, refuse de 
le déiinir : car Fesprit ne peut pas devancer la 
marche des choses, dont il est le reflet et la 
copie. Il est donc dillicile de conjecturer même 
si, dans le régime collectiviste, TÉtat aura fini 
par absorber toutes les fonctions sociales, ou 
bien si nous assisterons à Taonihilation com- 
plète de rÉtat ; le plus exact serait peut-être de 
dire, en termes hégéliens, que nous assiste- 
rons à Tidentification absolue de ces deux 
termes et, par suite, à la suppression simultanée 



Digitized 



THOMAS HODG6KIK 



de Tun et de T autre. Cependant Marx, lorsqu'il 
parle de la chute, prochaine ou éloignée» du 
capitalisme, préfère indéniablement parler un 
langage anarchiste. Alors on ne demandera plus 
à Tindividu, comme faisait Hegel, de se sacrifier 
ou de se subordonner à T entité de l'Etat ; alors 
I mdividu cessera d'être mystifié par les formes 
substantielles de l'économie politique bourgeoise, 
et de croiic que la terre ou le capital reçoivent 
une part du produit de son travail par Topération 
fatale des lois de la nature. Or, tout cela, c'est 
du Uodgskin. Quel([ue influence qu ait pu exercer 
sur Tesprit de Karl Marx Tanarchisme néo-hégé- 
lien de Bruno Bauer et, sur l'esprit d Engels, le 
radicalisme de Feuerbach, comment nier que 
cette influence ait été confirmée et fortifiée par 
rinllueucc tics économistes anarchistes de Lon- 
dres, de Uodg^skin et de son disciple Thompson ? 

Le second des « i)réjugés » inspirateurs de la 
philosophie sociale de Hodgskiii, c'est ce que 
nous avons appelé le préjugé juridique. Les lois 
de la naluro, nous dit Hodgskin, sont bienfai- 
santes et justes, parce qu'elles accordent à chacun 
le produit intégral de son travail. Ne voit-on 
pas, dès lors, quelle philosophie dui*e et triste se 
dissimule sous son optimisme apparent ? 11 iaut 
admettre que la justice condamne à mort le 
malade, Tinfirme, le vieillard, du moment où 



Oigitizeci by 



CONCLUSION 



leur vigueur naturelle leur fait défaut, et la philo- 
sophie de Hodgskin se rapproche, dès lors, 
étrangement de celle de Malthus. « La nécessité, 
nous dit-il, est la mère de Tinvention ; et l'exis- 
tence continuelle de la nécessité ne peut s'expli- 
quer que par laccroissement continuel du peuple ». 
Malthus se serait-il exprimé autrement? — Mais 
Hodgskin insiste sur ce point que le résultat de 
la « nécessité )», c'est Tinvention et le progrès. — 
Mais, demanderons-nous à notre tour, n'est-ce pas 
une manière détournée de dire, avec Malthus,' 
que rinyention et le progrès ont pour condition 
la « nécessité », la misère, et la misère « conti- 
nuelle »?. — D'ailleurs, le droit de chacun au 
produit de son travail, est-ce autre chose que le 
droit de la force? Et cela n'est-il pas implicitement 
avoué par Uodgsiûn ? Voulant démontrer que la 
nature elle-même nous enseigne le respect du 
travail d' autrui dans ses produits, il se fonde sur 
ce que la nature donne, à celui qui eut la force de 
produire, assez de force aussi pour défendre le 
produit de son travail. Le droit au produit intégral 
du travail, c'est le droit de la force pacifié et 
réglé. Le juriste admet que la lutte des égoïsmes 
deviendra légitime, à condition que les individus 
observent cette règle de ne pas dépenser direc- 
tement leur force les uns contre les autres, mais 
de la dépenser directement contre la nature, et 



Digitized by Google 



THOMAS UODGSKIN 



seulement d*une manière indirecte les uns contre 
les autres, dans la mesure où les uns se trouTeront 
prendre I avantage sur les autres. Après quoi, 
pour conclure que la nature est juste, il suffit 
de faire abstraction de tous les monopoles 
naturels, et de supposer que la nature confère 
le succès À quiconque, par un travail plus intense 
ou une ingéniosité plus grande, a le plus abaissé 
le coût de production. Ainsi se trouve substi- 
tuée à la guerre ouverte et sans lois une lutte 
bien réglée, une concurrence ou, mieux encore, 
un concours ; mais, en dernière analyse, la 
guerre reste toujours la loi de la vie. Ou bien 
Hodgskin réintégrera dans sa psychologie les 
sentiments de famille, à titre de sentiments natu- 
rels : et c'est ce qu'il fait, se rapprochant ainsi 
davantage des économistes orthodoxes, mais il 
ne peut le faire sans violer le principe de sa 
philosophie du droit. Ou bien son système, qui 
consiste dans Félimination de tout ce que la 
société actuelle contient d éléments communistes, 
aboutit non pas au socialisme, mais au . plus 
extrême individualisme. 

Or, le principe suivant lequel chacun aurait 
droit à tout le produit de son travail n'est cer- 
tainement pas le pi'iiicipe de la philosophie 
marxiste. Ou bien, nous dit Karl Marx, on peut 
réaliser cet idéal juridique par quelque institution 



Digitized by Google 



GONGLUSIOlf 



gouvernementale, où chaque individu recevra, 
contre telle durée de travail fournie, telle quan- 
tité du produit du trayaii national. Mais c*est 
oublier que la théorie ricardienne de la valeur- 
travail se réalise seulement dans et par Féchange 
libre, c'est favoriser le paresseux aux dépens de 
l'ouvrier industrieux, c'est aboutir à la diminu- 
tion de la production et à Tappauvrissement du 
genre humain. Et jusqu'ici Karl Marx se trouve 
d'accord avec Hodgskin. Ou bien on compte que 
Tanomalie capitaliste s'éliminera d'clle-jnême, 
pour laisser enfin le jeu naturel de l'échange 
• restituer à chacun toute la valeur produite par 
son travail. Mais c'est manquer de sens histo- 
rique, oublier que le mécanisme de l'échange 
a naturellement produit raccumulation capita- 
liste, et que, si le capitalisme disparait à son 
tour, ce sera pour faire place ft un nouveau 
régime, aussi difl'érent de Téchangisme que du 
capitalisme lui-même. Et c'est ici que Mai*x se 
sépare de Hodgskin. — L'interprétation écono- 
mique de riiistoii'e permet, d'ailleurs, d'expliijuer 
la genèse de ce prétendu idéal juridique. Il est, 
comme tout idéal humain, le reflet d'une réalité 
économique. Les hommes, échangeant les mar- 
chandises proportionnellement aux quantités de 
travail qu'elles conlienueiit, ont traduit ce fait 
de la vie matérielle en théorie juridique. Que 



Digitized by Google 



THOMAS HODG8KUI 



le régime de Téchange vienne à disparaître, et 

ridéal juridique en question deviendra vide de 
sens, comme il deviendra vide d*objet. — Enfin, 
c'est seulement dans des limites restreintes, selon 
Marx, que les objets s'échangent les uns contre 
les autres, proportionnellement anx quantités 
de travail producteur. D'abord, il faut que 
rhomme fasse en quelque sorte violence à la 
nature pour réduire conventionnellement à un 
même dénominateur des qualités de travail 
diverses. G*est seulement avec le temps, avec le 
progrès des machines, que le travail tend à deve- 
nir une quantité naturellement homogène. Mais 
alors le régime capitaliste s*est développé, et, 
lorsque les capitalistes exigent des profits égaux 
pour des quantités égales de capital engagées 
dans des entreprises diverses, de nouveau la 
théorie de la valeur-travail se trouve inappli- 
cable à la rigueur. 

Cependant, en dépit de cette dernière restric- 
tion, la théorie de la valeur-travail est bien la 
théorie marxiste de la valeur. Cette théorie, Karl 
Mai*x Ta empruntée telle quelle à Ricardo ; et, 
sans doute, il se propose de réfuter Ricardo ; mais 
on sait quelle méthode essentiellement dialec- 
tique ou historique il applique à la réfutation des 
systèmes économiques. Il n'y a pas de théorie 
éternellement vraie, mais il n'y a pas non plus 



Digjtized by 



GOMGLUSION 20^ 

de théorie élerneiiement fausse. Le temps, succes- 
sivement, consacre et condamne les systèmes : une 

théorie fausse, c'est une théorie qui a cessé d'être 





1 


m 





mènes économiques, est devenue vide de sens 
à dater du jour où la réalité sociale à laquelle 
elle correspondait, ruinée par des contradictions 
internes, a cessé d'exister. De sorte que, pour réfu- 
ter Téconomie politique de Kicardo, Marx se croit 
tenu» d^abordy d'établir qu'elle est vraie dn monde 
de l'échange, qu'elle est « rexpressiou scienti- 
fique des rapports économiques de la société 
actuelle ». Si, d'ailleurs, elle n*est jamais vraie 
que d'une manière approximative et imparfaite^ 
c'est que le mécanisme de l'échange, constam- 
ment altéré par Tintervention d'éléments pertur- 
bateurs, ne tend à sa réalisation que pour retour- 
ner aussitôt au néant. Mais la question se pose, 
de savoir si nous sommes en droit d'attribuer à la 
théorie ricardienne même cette justification par* 
tielle. Elle est vraie, mais elle cessera d'être vraie: 
voilà ce que nous dit Karl Marx. Mais, si, par 
hasard, elle était fausse ? Déjà Ricardo doutait 
qu'elle fût l'expression exacte des phénomènes 
de réchange. Vers i82i5, elle aurait peut-être été 
réformée, en Angleterre, par Malthus, par Samuel 
Bailey, par d'autres encore, si un groupe organisé 
de disciples intransigeants, par l'activité de leur 



Digitized by Google 



nOMAS HODGSKOf 



progagande, par le simplisme même de leur eiïsei- 
guemeiit, n avaient réussi à étoud'er, autour de 
Ricardo, toutes les dissidences. Une autre cause 
contribuait à déterminer, cependant, le triomphe 
de la théorie : les adversaires démocrates de 
James Mill et de MacCulloch, les premiers doctri- 
naires du prolétariat, au lieu de s'attaquer à la 
théorie ricardienne de la valeur* s^emparèrent du 
principe pour en tirer des conséquences nouvelles, 

et réfuter, en quelque sorte par Tabsurde» l'éco- 
nomie politique de Ricardo. De là une sorte 
d^obsession universelle, dont Karl Marx, une 
vingtaine d'années plus tard, ne pouvait pas ne 
pas être la victime. 

Mais, sur un point, renseignement des Ricar- 
dicus égalitaires est précieux pour Thistorien 
des doctrines ; car il nous renseigne, et lui seul 
nous renseigne, sur la véritable origine psycho- 
logique de la théorie eu question, (^ue les mar- 
chandises s^échangent proportionnellement aux 
quantités de travail qu'elles ont coûtées, cela nous 
est donné par Adam Smith et par Ricardo pour 
un ffdt évident, sorte d*axiome ou de postulat 
d'une nouvelle géométrie ; et l'on ne saurait tenir 
pour une démonstration Tai^mentation dialec- 
tique sur laquelle Marx semble vouloir fonder 
cette proposition. Mais Hodgskin, philosophe 
en même temps qu'économiste, en découvre chez 



Digitized by Google 



CONCLUSION 



309 



Locke la source véritable ; si les hommes échan- 
gent leurs produits proportionnellement aux quan- 
tités de travail cfu' elles lenr ont coûtées, c'est dans 
la mesure où ils sentent indistinctement que cha- 
cun a naturellement droit au produit total de son 
travail. En d'autres termes, de la doctrine de 
Uodgskin, il ressort que la théorie classique de la 
valeur en échange est le reflet, non pas de la 
réalité économique actuelle, mais d'un idéal juri- 
dique préconçu. Si Karl Marx, dans une certaine 
mesure au moins, l'a faite sienne, n*a-t-il pas été la 
victime, à son insu, indirectement, et en dépit 
de ses efforts pour dissiper le préjugé juridique, 
de ce môme préjugé juridique ? La théorie de 
Uodgskin, ainsi considérée, ne suffît pas à réfuter 
la philosophie économique de Karl Marx ; mais 
elle suffit, certainement, pour frapper de suspi- 
cion légitime l'appareil dialectique dont» chez 
Karl Marx, cette philosophie s^enveloppe. 



Oigitized 



BIBUOGRÂPHIE 



ŒUVRBS 



1. An Bssay on Naval IMscipline, shewing part 
of ils evil effecls ou the minds of the officers and 
Ihe mindsof ihemen and on the communily; wilh an 
aineuded sysleiii by whicli Pressing iiuiy be iiiiiiie- 
diulely abolislied,by Lieut. Thomas Hodgskiii, il. N.; 
London, i8i3. 

2. Travels in the Norlh of Gemiany, describing 
llio présent state of the Social and Polilical hislilii- 
lions, the Agriculture, Mauut'aclures , Commerce, 
Education, Arts and Manners in that Country, parli- 
cularly in ihe Kingdom of Hannover, by Thomas 
Hodgskin esq. in two volâmes; Edinburgh, i8ao. 

3. Labour deteoded against tlie claim» of capital ; 
or, ihe improduciiveness ol* capital proved wiih 
référence to the présent combinaiions amongst 
joumeymen, by a labourer; London, mdcccxxv. 

4. Popular political economy, tour lectures deli- 
vered at the London Mechanics' Institution, by Thomas 
Hodgskin, tbrmerly honorary secretary to ihe insti- 
tution. London, 1827. 

5. The natural and artilicial righl ot jnojx'rty 
conlrasled, a séries ot' letters, addressed without 
permission, to H. Brougham, esq. M. P. F. R. S., etc. 
(now the Lord Ghancellor), by the author of « Labour 



Digitized by Google 



THOMAS UODGSKIN 



defended against the claimfi o£ capital », Londoiiy 

18^2. 

6. What shall we do with our criminals ? Don t 
creale ihem. A lecture, delivered al St. Martin's 
Uali, may aoth 1807» Thomas Hodgskin. 

7. Our cbief crime: cause and core. Second 

lecture, on what shali we do with our criminals ? 
delivered at St. Martin's Uali, Juue 3, 1867. 

8. Un certain nombre d'anides paras an conrsde 
la première année (i8a3) dn MeehanM Magazine 
(3o août, programme. — 6 septembre et 4 octobre) 
sur les Spitaltield Acts. — 11 et a5 octobre, londation 
du Mechanics' Institute). 

9. Une série d'articles paras, de 1844 à iS$7« éuks 
VEconomisty et dont void la liste, avec des omis- 
sions possibles : 

Année i8/f4^ octobre. — Connection between 
poverty and crime. 

Année 1846. — Articles de fond : The Panish- 
ment of I>eath (16 et 93 mai). — Études critiques sur : 

les Principles of Polilical Economy de Ricardo, ed . 
MacCulloch (28 novembre); les Outlines of Social 
Economy, anonyme (u décembre), et le Progress 
oi the Nation, de Porter (19 décembre). 

Année i8/}y . — Ai-ticles de fond : National Sys- 
tems of Education (ao mars) ; Shaii the State educate 
the people? (3 avril) ; Education and Crime (10 et 
17 avril) ; The Education question. — M. Macaulay 
(a4 avril). — Adam Smith rescued from Mr Macau- 
lay (i*' mai); What is to be donc with our crimi* 
nais? (a4 juUlet). 



Digitized by 



BIBUOORAPHIB 



2lB 



Année 18^8. — Articles de fond: Jncrease of 
pauperisin and crime; 17 juin: PresuinpUon oï. ihe 
liierary classes; ui octobre : Mr. Macauiay'â Phiio- 
sophy; 3o décembre. — Étude» critiques sur : ihe 
Rights of Industry* par G. Ponleit Scrope {og avril) . 
Les Principles of Political Economy, de Siuart Mill 
(27 mai); the Pasl, the Présent and Ihe Future, de 
Carey (28 octobre); the Ilistory of Civilisation and 
Pablic OpinioD, de McKiimon (3o décembre). 

Année iS^g. — Articles de fond : Marriages and 
Abundance (26 niai) ; Punishment ol'dealh (18 août). 
— Études critiques sur : The Nature and the Office 
of ihe State, par Andrew Goventry Dick (ao janvier); 
Labour and' other Capital, par Edward Kellogg (17 
mars) ; Introduction to the study of the social sciences, 
par 1 auteur des Oullines of Social Econoniy (26 
mai); John Howard and Ihe Prison World of Europe, 
par tlepworlh Dixon (i5 septembre); Suinraary of 
the moral statistics of ËnglandandWales^par Joseph 
Fietcher (aa septembre). 

Année i85o. — Articles de fond : Scarcity. — 
Marriages. Bïrths (a février); Education of the People 
(a mars) ; Law and Justice (3o mars) ; National Edu- 
cation (18 maiJ;Griminal Retnms (22 juin); Scarcity 
and Criminalily — France and Germany (29 juin); 
Diminished Criminality (20 juillet) ; The Dllfusiou of 
Wealth (10 août). 

Année i8ni. — Articles de fond : Educational 
schemes (24 mai); Pauperism and free lrade(24 mai); 
Education, pauperism and crime (3i mai); Criminais 
in England and Wales, i85o (9 août) ; Pauperism. — 
Jnly retorns — prosperity ci the conntry (16 août); 



Digitized by Google 



THOMAS HOD68KIN 



Pauperisin and distrcss formerly aiid now (2*3 août) ; 
Iricrease oï population and decrease ot' criminality 
(i3 septembre). — Études critiques sur : Social Statics, 
par Herbert Spe&cer (8 février); Lectures on social 
science and the organization of labour, par James 
Hole (i*^*" mars); Crime in England, par Th. Flint 
(23 août); A trealise on political economy, par 
George Opdyke (22 novembre); A trealise on the rate 
of wages» par J.-A. MacGoliodi (27 décembre). 

Année i852, — Articles de fond : National E^lu- 
cation(i7 janvier); Education question (7 février); 
The Protectionist Policy, Mr. Henley (i3 mars); 
Decrease of pauperism and criminality (27 mars) ; 
The Pnnishment of Death (27 mars); Diminution of 
Crime and Pauperism (17 juillet); Marriages, Births 
and Deaths (ii juillet); Ireland iiuprovement — Cri- 
minals — Paupers (ai août); Mr. Henley and Pauperism 
(a octobre); Marriages, Births, and Deaths (6 novem- 
bre). — Études critiques sur : Methods of observation 
and reasoning in politics, par George Gomewall 
Lewis (27 novembre) ; Money and Morals, par John 
Lalor (17 juillet). 

Année 18 53. — Articles de fond: The Task of 
Governement : the disposai of our eriminal population 
(29 janvier); Continuai decrease of pauperism (ô 
mars); The Ministerial Plan of Education (3 avril); 
Grime in i859 (14 mai); Pauperism. — Ireland and 
En gland (2 juillet); Réduction of Pauperism (24 sep- 
tembre). — Etudes critiques sur : Tlieory of Politics, 
par R. Uiidreth (20 août) . 

Année zSô^-^ Articles de fond : Increase oi Pau- 
perism (18 lévrier); Further Increase of Pauperism 



Digitized by 



BIBLIOGRAPHIE 



317 



(26 août); Too iiiuch care taken oï criiuinals (3o 
septembre); Griminals. — England and Wales. 
Increased criminality ol' females (pS octobre) ; The 
eriminal retums (4 novembre).—- Études critiques 
sur : An Essay on the relations between Labour and 
Gapilal,par Morrison (29 avril); les Œuvres de Locke, 
édition St-John (16 septembre) Population and Capital, 
par George K. Hickards (18 novembre); Knowledge 
is power, par Charles Knight (3o décembre). 

Année i855, — Articles de fond: Increase of 
Pauperism (3 mars); Pauperism. — Emigration (19 
mai); The Morality oF trade and of law (23 juin); 
Pauperism. — Ireland (23 juin); Messrs Strahan and 
C* and their Defence (3o juin) ; Marriages, births 
and deaths, quarterly returns (4 août); Pauperism (18 
août) ; What shall we endow 7 (95 août) ; Committal 
of messrs Strahan, Paul, and Baies (i5 septembre); 
Pauper removals and popular émigration (29 sep- 
tembre); The conviction of Paul, Strahan, and fiâtes 
(3 novembre); Quarterly retum of marriages (10 
novembre); Methods of moralimprovement(ionovem- 
bre); What stands in the way of improvement? (17 
novembre); New retormatories for criminals (29 dé- 
cembre). — Études critiques sur : A Manual ol Poli- 
tical Science, par Humphreys (7 avril); Natural Ele- 
nients of Political Economy, par Richard Jennings 
(aS juin). 

Année 18 56, — Articles de fond : Population, 
wecdth, criminality (la janvier); Murder andpunish- 
ment of death (26 janvier); Invasions oi property 
et 8 mars); Criminals — Bngiand and Wales 
^8 mars); Pauperism — Ireland (8 mars) ; Continued 
increase of pauperism (l5niars) ; Relations betw een 



â 



Digitized by Google 



THOMAS HODG8KIN 



crime and material wellare (i5 mars); Relations bet- 
ween crime and the distribution of wealth (22 mars) ; 
The sources of Grime — Dninkenness (29 mars); Re- 
port of Prison lii8pectors(i!i avril); Transportation (a6 
avril) ; What feeds crime? (10 mai); Shall exécutions 
be public, private,or abolished (17 mai); Palmer, — a 
grcat culpril (3i niai) ; Expense of Paupcrism (3i mai); 
The Philosophy of i.egislation (7 juin); Marriages 
and commitments (14 juin) ; Griminalily promoted by 
distress (ai juin), Griminais. — Ireland, — i855 (19 
juillet); Griminality and poverty in Ireland (a6 juil- 
let) ; Criminal statistics (sS août); Decrease of Pau- 
, péris m (23 août); Theproposed Reformatories(G sep- 
tembre); Transportation. — Report of the Committee 
(i3 septembre); Ireland. — Gcnsus, Cultivation, etc. 
(i3 septembre); What feeds crime (26 octobre); An 
admitted effect of Reformatories (6 décembre); Gri- 
terion of law reform. Means of determining social 
rights (i3 décembre); Griminal law reform (ao 
décembre) . 

Année i85y.^ Articles de fond: How to get rid 
of onr criminals (3i janvier); Liberated criminals. 

How crime is fostered (28 février) ; The bearing of 
peuai laws on the criminal classes (2 mai). 

10. Ses lettres (inédites) à Francis Place ( 18 i7-i8a3). 
Voir F. Place, Private correspondence, vol. 11, 1817- 
1837. Brit. Mus. Add. Mss. 35, i53, if. 52-2i5. 

Sur Hodgskin, voir : 

I. Les Place Papers du British Muséum» — a) Pri- 
vate correspondence, vol. I» i8io-6(Add. Mss. 35.i5a 
. ff. 184. 195, 229), et vol. II, cité ci-dessus. — b). 

Schooi institutions, Add. Mss. 27 823. — Early His- 



Digitized by 



BULIOGRAPHIE 2X9 

tory of the London Mechanics' Institution (i82*3-a6), 
flF. 240 sqq. — c). Polilical Narrative, vol. 111. Add. 
Mss. 27,791. — Historical Sketch of Ihe National 
Union of the Working Classes, to 3i dec. i83i, en 
particulier ff . 368-70 : renseignements biographiques 
sur Hodgskin. 

2. Les ouvrages suivants, conlempoi*ains de 
Hodgskin : Samuel Aead> Natural groands of right 
to venàible properiy, 1829; Thomas Gooper» Lectures 
on the éléments of PoUtical Economjr ad ed. i83o; 
Charles Knight, the Rights of Industry, i83i (trois 
réfutations). — John Lalor, Moiicy and Morals, a 
bookfor the tmies, London, 1802 ; mention élogieuse 
de Hodgskin dans la préface, p. XXiV ; extraits du 
« Labour Detended 9, en appendice. 

3. Dans Mengor, JJas Hecht aiif den ^mllen Ar- 
beitsertroLg in geschichtlicher Darstellung , une 
simple mention du nom dans une note (a* éd. pp.da-3 
note» — trad. fr. p. 74)* Égaré par une inexactitude 
commise par Engels (Kapital, Buch ll,Vorrede,p.xvu), 
Menger reproche à Marx d'avoir dans sa « Misère de 
la Philosophie », écrit « Hopkins » pour « Hodgskin ». 
Mais Hopkins, Tauteur des Economical enquiries 
relative to the laws which regulate rent, profit^ wages, 
and the çalue of monejr (London, 1829) est un écri- 
vain socialiste, ou tout au moins présocialiste. — 
Dans la trad. angl. Tanner, voir : introduction and 
bibliography by H. S. Foxwell, pp. LV sqq. — V, 
encore Grahain Wallas, /.//e of Place, 1898, et G. 
Godard, George Birkbeck, the pioneer of popular 
éducation, London, 1884. 



.y 



Digitized by Google 



Digitized by Google 



TABLE DES MATIÈRES 



Digitized by Google 



Digitized by Googlc 



Avant-Propos x . 

Chapitre I'iumikii (1787-1823). — Enfance. — Années 
de navigation. — L'« Essay on Naval Disci- 
pline » (181 3). — Voyaj^e sur le continent : les 
(( Travels in tlie North of Germany » (1820). — 
Séjour à Édinibourg et correspondance avec ' 
Francis Place (i8i9-i8aa) 3 

GuAPiTHK 11 (i823-i83l0. — I^e Mechanics' Ma<2:aziiu'. 
— Le Meehanics' Inslitute. — Labiiut- (U lVacled 
against Ihe elainis ol Cai)ital (182.")). — Popiilar 
Politieal Ecouoniy (18^7). — The Natural and 
Arliliciai Right of Property contrasled (i83a). 77 

CuAPiTRK III (i832-iS(;<)). — Les années de journa- 
lisme. — La e(>li;i])()rati()n à !'« Ëconouiist 
Les deux conférences de 1867 187 

Conclusion 189 

BlBLIOORAPHIB SII 



. Ce volume a été œmposé et liré par des ouvriers syndiqués, 

mi'MlUKRIE UL BIGOT mftM». 



Digitized by Google 



Digitized by Google 



SOCIÉTÉ NOUVELLE DE LIBRAIRIE ET D'ÉDITION 

17, rue Cujas, PARIS (V). - T»Méphono 801.04 



Anatolk FKANCR, Of}iniotis sorinlea. Dvu iu-i'i : 

rhcHiiie voluiiit' 

* 

Danïel HAIiKVY. — f'Jssais sui' le inoiivement oin^nev rn 
France. Un voL iu-i8 . . 

Jkan JALTIÈS. — Action socialiste. 

i" série: Le socialisme cl rfnsoiirncni'^nt — Le s<»eia- 

lisiue et les peuples. 
Vu vol. in-i(> ; cinquième édition 

1' VI I. LACOMBE.— La guerre et Vhonime (<mvrafçe eoiii'onnr 
\n\v rinslitut). Un vol. in-i8 

AuoLPHi-: LANDUV. L'utilité sociale de la propriété 
individuelle. Un vol. in-8 . . 

-^'.H. LHA Histoire de l'Inquisition an Moyen-Age. 
Traduit» j»ar Salomon Ukinacii, membre de rinstilul : 
Trois-^vol. iii-i8 ; chaque volume 

K. MAUX ET V. KNGliUS. — Le Manifeste coiuitiLinL^ic. 

I. Traduction nouvelle pai- Chaules Anulrr, un vol. 
in-iG . . . 

II. Introduction historique et coniiMentaire ])ar ('n ai;i.k> 
Andler; un vol. în-i<'< 

l-lMin^ VANDERVELDK. Lr roUfrtirisnw et rrvolutiofi 
iiidustrielff Un vol. i; , 



IMIV I h IIKÎOT FUi'HKS